Dans cette tribune, Yannick Trigance revient sur les urgences de la rentrée. Quelles sont les mesures qui devraient être mises en avant ? « A l’aube d’une nouvelle année scolaire et après un cycle politique particulièrement chaotique dont les effets collatéraux ne sont pas sans impacter notre système éducatif, à l’image de notre société, notre école a plus que jamais besoin d’apaisement, de temps et de confiance afin que tous ses acteurs, au premier rang desquels les élèves, leurs parents et les enseignants puissent progresser ensemble sur le chemin de l’émancipation individuelle et collective. »
La victoire du Nouveau Front Populaire face à l’extrême-droite en juillet dernier a sans équivoque marqué la volonté forte et claire des Françaises et des Français de préserver les valeurs de la République plutôt que l’instauration d’une société de la haine, de l’exclusion et du refus de toutes les différences.
Pour autant nous devons garder à l’esprit que ce sont quelque 10 millions d’électrices et d’électeurs qui ont voté pour des candidats porteurs d’une vision passéiste de l’école, d’une école à exclure et à stigmatiser les élèves comme les enseignants, d’une école de la répression plutôt que de l’éducation et de l’émancipation.
Si cette « déferlante » a pu être contenue, la situation de notre école en cette rentrée scolaire n’en demeure pas moins extrêmement préoccupante, dans une instabilité politique majeure au sortir d’une dérive macroniste ultra-libérale dont rien n’indique à ce jour qu’elle pourrait changer : or notre école de la République et ses personnels ont besoin d’être confortés, valorisés, reconnus et légitimés au cœur d’un projet d’émancipation, de coopération et de fraternité pour plus de justice, d’égalité et de démocratisation de la réussite.
C’est pourquoi, parmi les urgences de la rentrée, les sujets en suspens et ceux à venir, trois mesures mériteraient plus que jamais d’être mises en avant à l’occasion de cette rentrée scolaire.
-La réduction des effectifs par classe pour faire mieux que la moyenne européenne de 19 élèves-
La France est en effet connue pour être l’un des pays européens aux effectifs par classe les plus élevés. Plus précisément, près d’un tiers de nos écoles primaires affichent des effectifs de plus de 25 élèves quand de nombreux collèges sont à 25 et 26 élèves par classe et des lycées à 29 et 30.
Or la Depp (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) prévoit une baisse des effectifs scolaires du 1 er degré de près de 300 000 enfants sur quatre ans, passant de 6 462 000 élèves à la rentrée 2022 à 6 166 200 en 2026.
Il convient donc de profiter de cette baisse démographique en l’utilisant comme un puissant levier pour améliorer les conditions de travail des élèves et des enseignants, la qualité d’accueil et de fonctionnement de notre système d’enseignement public.
Cette baisse démographique constitue en effet une occasion unique d’alléger les effectifs des classes à 19 élèves et au-delà, de travailler en petits groupes et de mettre en place des parcours différenciés pour mieux traiter la difficulté scolaire.
-La revalorisation des grilles de salaires de l’éducation nationale-
C’est aujourd’hui connu de toutes et tous : les enseignants français sont ceux qui font le plus d’heures (900 heures contre 700 heures en moyenne en Europe), devant des classes aux effectifs les plus chargés d’Europe et pour un salaire inférieur de 20 % à celui des enseignants du 1er degré dans l’OCDE.
Délaissés, dévalorisés, déconsidérés, nos enseignants attendaient à juste titre une revalorisation conséquente, sur la base d’une promesse présidentielle d’augmentation immédiate de 10% pour tous les enseignants et sans missions supplémentaires.
Après s’être transformée en hausse « moyenne » de 10% par rapport à 2020, incluant de surcroît d’anciennes primes mais également le gel du point d’indice, l’augmentation finale appelée « socle » fut de 5.5% en septembre 2023 quand 70% des enseignants ont eu une augmentation limitée à 95 euros.
A ce « socle » est venu s’ajouter le fameux « pacte », ensemble de nouvelles missions qui, sous forme de « briques », aggravent les charges de travail, les inégalités femmes/hommes, le clivage premier /second degré, ignorant par ailleurs la prise en compte de tâches supplémentaires que font les enseignants -professeurs principaux, accueil des enfants en situation de handicap… – , laissant ainsi sous – entendre que les enseignants disposeraient de suffisamment de temps libre pour s’adonner au « travailler plus pour gagner plus » du quinquennat Sarkozyste.
Comment s’étonner alors que cette année encore à l’issue des concours, pas moins de 1163 postes restent non pourvus dans le premier degré public -1227 en 2023-, portant ainsi à 5500 le nombre de postes non pourvus entre 2017 et 2021 avec une aggravation notable depuis le déplacement des concours à la fin du bac +5 en 2022 ?
Cette indispensable revalorisation devrait s’accompagner d’une formation initiale et continué effective ainsi que d’une amélioration des conditions de travail seules à même de rétablir une attractivité forte et durable du métier d’enseignant. Le flou persistant sur la formation des enseignants contribue à renforcer l’instabilité de notre système et la précarisation du métier.
-La modulation des dotations des établissements scolaires-y compris privés-en formation de leur respect d’objectifs de mixité sociale-
Chacun le sait : l’enseignement privé trie ses élèves. Depuis une quinzaine d’année la composition sociale des élèves du privé est de plus en plus favorisée. C’est ainsi que depuis le début des années 2000, la part des élèves issus des catégories sociales dites très favorisées est passée de 30 % à 41 % quand dans le même temps la part des élèves dite favorisés est passé de 24 % à 16 %.
Notre pays est par ailleurs le seul à monde où l’Etat finance son propre concurrent à hauteur de 75 % : ce financement public n’a cessé d’augmenter avec tout récemment la prise en charge des maternelles du privé actée par la loi Blanquer et dont le montant s’élèvera en 2024 à 46 millions d’euros.
Au regard de cette situation quasiment unique au monde et profondément inégalitaire, il convient en conséquence d’instaurer un contrôle financier, administratif et pédagogique plus systématique lié à la mission de service public qui est celle des établissements privés sous contrat , une modulation des moyens financiers en fonction des Indices de Position Sociale des élèves accueillis dans les établissements, une contractualisation entre les établissements et les rectorats sur la base d’objectifs et de moyens notamment liés à la mise en place d’une réelle mixité sociale et scolaire.
C’est un enjeu politique mais également pédagogique et moral qui, rappelons-le, passe également et prioritairement par la réhabilitation qualitative des enseignements et des conditions d’accueil au sein de l’École publique.
En ce sens les propositions de loi déposées avant l’été par des parlementaires au sénat et à l’assemblée nationale visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés méritent d’être soutenues et popularisées.
Enfin, la mise en place de ces mesures devrait s’accompagner de la suppression du « choc des savoirs » et des groupes de niveaux, comme de la révision de la réforme du lycée professionnelle qui fragilise les élèves issus des milieux les plus modestes, funeste héritage de la politique éducative des gouvernements macronistes.
-Pour une méthode respectueuse de tous les acteurs-
Mais au-delà des mesures elles-mêmes, les attentes et les espoirs de nos concitoyens portent également sur la question cruciale de la méthode pour mener à bien les objectifs fixés, l’école étant concernée au premier chef quant aux mutations, adaptations et réformes qui se succèdent à un rythme effréné.
Redisons-le avec force : les problématiques de mixité sociale et scolaire, de conditions de travail, de revalorisation et d’attractivité du métier comme l’ensemble des problématiques éducatives nécessitent d’être débattues, partagées et co-construites dans une relation d’écoute, de respect et de dialogue.
Or depuis 2017 et la succession des nombreux ministres de l’éducation, ce sont l’ensemble des membres de la communauté éducative qui ont non seulement été ignorés mais surtout mis devant le fait accompli face à des réformes incessantes, injonctives voire infantilisantes.
A l’aube d’une nouvelle année scolaire et après un cycle politique particulièrement chaotique dont les effets collatéraux ne sont pas sans impacter notre système éducatif, à l’image de notre société, notre école a plus que jamais besoin d’apaisement, de temps et de confiance afin que tous ses acteurs, au premier rang desquels les élèves, leurs parents et les enseignants puissent progresser ensemble sur le chemin de l’émancipation individuelle et collective.
Une école de la mixité sociale et scolaire qui permet le brassage et favorise l’altérité, une école aux effectifs allégés, une école qui reconnaît, valorise et forme ses enseignants, une école fraternelle au service de la réussite de tous nos jeunes : telles sont les urgences de cette rentrée scolaire.
Yannick Trigance
Conseiller régional Ile-de-France