« Mais cela ne va pas changer grand-chose », « vous êtes trop alarmiste »… Ces phrases, on les entend tous les jours depuis l’arrivée du Rassemblement National en tête des législatives du 30 juin. Des phrases qui résonnent comme une insulte à celles et ceux qui sont directement visé·es par le projet – et les diatribes – de ce parti d’extrême droite. Comme l’a dit Charline Vanhoenacker lors de la dernière du Grand Dimanche soir, « si vous n’êtes pas homosexuel, pas féministe, pas noir, pas musulman, pas pauvre, pas trans, pas écolo, pas juif, pas fonctionnaire, pas humoriste, pas famille monoparentale, pas syndicaliste, pas chômeur… C’est vrai que cela ne devrait rien changer… ». Dans une école primaire de Carcassonne, l’angoisse est déjà là tant il est vrai que certains et certaines cumulent les adjectifs utilisés par Charline Vanhoenacker. Ils et elles sont pauvres, chômeurs, immigrés ou enfants d’immigrés, famille monoparentale… À Carcassonne, le RN, on connait. À la tête de la première circonscription de l’Aude depuis 2007, Christophe Barthès, député RN. Lors du second tour des législatives, une lueur d’espoir pour les carcassonnais·es, il s’opposera à Philippe Poutou, du Nouveau Front Populaire. Mais en attendant, c’est l’angoisse. C’est parce qu’ils et elles connaissent le parti d’extrême droite que leur inquiétude frise le malaise. Depuis près d’une semaine, élèves, parents, enseignants et enseignantes craignent de voir leur vie bouleversée. Ils et elles témoignent.
La peur, le sentiment prédominant
Christelle Lecoeur est professeure dans une école élémentaire dont l’Indice de Position Sociale ne dépasse pas la barre des 84. Les inquiétudes de l’enseignante sont vives et multiples. « Je m’inquiète qu’un certain nombre de mes élèves soient expulsés parce que leurs parents ne sont pas français. J’ai peur qu’on les déracine et qu’ils se retrouvent dans un pays dont souvent ils ne parlent même pas la langue – pas mal de familles d’origine maghrébine n’apprennent pas l’arabe à leurs enfants parce qu’elles veulent qu’ils parlent français ». Mais au-delà de ces possibles départs, c’est aussi le risque de voir abimée leur appartenance à la nation. « Je passe ma vie à leur dire qu’ils sont français, ni plus ni moins que les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, et qu’une double culture est une richesse. Et là ils entendent que les binationaux sont des sous-citoyens ».
Ces inquiétudes, Rosa, maman de Luis scolarisé en 6e, les partage. Immigrée espagnole, cela fait plus de 16 ans que la kinésithérapeute dans une structure publique et son mari œnologue, vivent sur le territoire français. « Mon fils est né en France, mais il n’est pas encore français, il faut qu’il attende ses 16 ans pour demander sa naturalisation », nous raconte-t-elle. « Le droit du sol est perçu comme quelque chose d’automatique, que tout le monde a, sans demander. C’est faux. Il y a beaucoup de méconnaissance ». La jeune maman a peur pour son fils, peur qu’il soit « restreint dans ses études » si les places sont réservées selon une priorité nationale. « J’ai peur pourtant je suis espagnole et pas noire, ni maghrébine. Eux reçoivent déjà des commentaires désobligeants. J’ai peur que mon fils soit insulté. Ça lui est déjà arrivé d’être traité par un gamin d’ « espèce de sale espagnole ». C’était un acte isolé, mais, avec le RN au pouvoir, les racistes se sentiront plus forts ».
En tant que femme aussi, Rosa s’inquiète. « Le Rassemblement Nationale est un parti misogyne, qui n’aime pas les femmes. Je crains pour nos droits. Que deviendront les services d’aides aux femmes ? Les collectifs qui accompagnent, et parfois sauvent, des femmes victimes de violence ?… C’est déjà compliqué aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? ». « Finalement, je paie mes impôts, j’ai les mêmes devoirs, mais pas les mêmes droits… », conclut-elle, amère.
Un projet terrifiant pour l’école
Si Christelle Lecoeur, enseignante engagée et militante pédagogique, craint pour ses élèves, elle a aussi peur pour l’École de façon plus générale avec l’arrivée possible du parti d’extrême droite au pouvoir. « Le projet pour l’éducation est terrifiant pour les classes sociales défavorisées, chez qui les difficultés scolaires sont plus importantes. Au lieu d’aider ces familles et ces élèves pour réduire l’écart de résultats, on dit officiellement que l’égalité des chances on s’en fout, qu’on va faire de la ségrégation à tour de bras. Dans mon école beaucoup d’élèves ne réussiront probablement pas le test d’entrée en 6e et se retrouveront éjectés du système scolaire. C’est immonde ». Son inquiétude va aussi à l’avenir des enfants en situation de handicap. « Si on bafoue sans complexe les droits de milliers d’enfants, je ne donne pas cher de la peau des handicapés, qui seront sortis eux aussi du système scolaire et enfermés entre eux ». « Le projet pour l’école est le reflet du projet de société puisqu’on y forme les futurs citoyens. Et avec le RN, on veut des citoyens obéissants, pas trop éclairés, divisés, dont pas une tête ne dépasse. C’est ça, la société qu’ils veulent ».
Sortir de la résignation
Pour Philippe Poutou, candidat qui s’opposera à Christophe Barthès du Rassemblement Nationale dimanche, plusieurs sentiments dominent : « la peur d’une victoire malheureusement très possible de l’extrême droite avec toute la violence exacerbée de la xénophobie, racisme, de la misogynie et même d’un ultralibéralisme encore plus débridé », mais c’est aussi la consolation de voir « la riposte qui a été impulsée avec les manifestations à l’annonce de la dissolution et dans la foulée la constitution du bloc des gauches, cette unité dans la rue et dans les urnes ». « Le danger est là, proche, immédiat. Cela nécessitait un sursaut. On sait que cela est possible, que nous pouvons sortir de la résignation, reprendre le chemin de la résistance, du refus des idées de haine pour remettre en avant les idées de solidarité, d’égalités des droits pour toutes et tous, des combats contre les discriminations et les oppressions. La gauche, au sens profond du terme, le mouvement social doit repasser à l’offensive, retrouver et réaffirmer ses « valeurs » historiques, avec un programme radicalement social et antilibéral, pour des services publics, pour la santé, l’école et les transports, tous ces besoins fondamentaux à satisfaire, pour nos salaires et revenus, pour nos retraites, contre la pauvreté et la précarité, pour la répartition des richesses, toutes et tous devons pouvoir vivre décemment, radicalement antiraciste et anticolonial, radicalement féministe et LGBTI, solidaire des luttes des peuples ». Et pour le candidat du NFP, quoi qu’il arrive dimanche 7 juillet, « on a toutes les raisons de reprendre les chemins de la lutte, le combat va bien au-delà de l’enjeu électoral ». « Dans les quartiers, dans les villes, dans les campagnes, nous devons retrouver la confiance pour défendre nos intérêts collectifs, nous devons urgemment prendre nos affaires en main, pour un monde fraternel, humain, accueillant, sans haine ni violence. On y croit, ici dans l’Aude, comme partout ailleurs ».
Alors dimanche, lorsque vous mettrez votre petite enveloppe dans l’urne, dites-vous bien que si. Le Rassemblement National au pouvoir, ça changera beaucoup de choses, À commencer par des millions de vies, des millions de vies d’enfants et d’adultes.
Lilia Ben Hamouda