Quelle sera l’École sous la gouvernance d’un parti d’extrême droite ? Dans cette tribune le Collectif Langevin Wallon propose de « mettre au jour ce qu’il adviendrait concrètement de l’école si jamais ce parti et ses alliés parvenaient au pouvoir, compte tenu de l’idéologie qu’ils portent de longue date ». Une tribune qui, point par point, montre l’impact des promesses contre républicaine du rassemblement national. « Sommes-nous prêts à accepter les effets mortifères de cette idéologie d’extrême-droite et de son programme pour nos élèves et nos collègues ? Pourrons-nous dire demain aux générations futures que nous ne savions pas ? » interroge-t-il. Des interrogations que partagent bon nombre d’entre nous.
Nous, qui avons publié une tribune, signée par une trentaine de professionnels de l’éducation nationale le 21 décembre 2023, sur la liquidation du programme du Conseil national de la résistance par le président Macron, nous ne pouvons être que très inquiets de l’arrivée possible au pouvoir des forces d’extrême droite dès le 7 juillet au soir. Il est encore temps de l’éviter, car les conséquences concrètes, et pas seulement les menaces, pour nos élèves et pour nos collègues seraient redoutables.
Il ne s’agit pas tant ici de discuter des mesures prévues sur l’école par le programme du rassemblement national, au risque de leur conférer une respectabilité qu’elles n’ont pas. Peut-on examiner sérieusement les propositions d’un parti qui institue la préférence nationale comme principe intrinsèque de sa politique, principe contraire à la constitution et aux idéaux républicains inscrits dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? Nous souhaitons plutôt mettre au jour ce qu’il adviendrait concrètement de l’école si jamais ce parti et ses alliés parvenaient au pouvoir, compte tenu de l’idéologie qu’ils portent de longue date.
Rappelons que l’article 1 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipule que « les hommes naissent libres et égaux en droit ». Or l’idéologie de l’extrême-droite repose sur le principe inverse : l’inégalité naturelle des hommes, des civilisations, des religions. C’est ici que s’origine la préférence nationale, elle refuse qu’un homme en valle un autre. Certains, en raison de leur supériorité (« raciale », « sexuelle », « culturelle », « religieuse », « nationale ») auraient ainsi plus de droits que les autres. Ceci étant posé, une telle conception aura des effets concrets pour nos collègues et nos élèves. Concernant les premiers, ça commence par « réserver l’accès à l’emploi dans l’administration aux « Français », ce qui implique la révocation de nos collègues étrangers, puis ça continue avec l’interdiction des « emplois extrêmement sensibles » à nos concitoyens bi-nationaux, alors qu’il existe pour ce type de poste une habilitation secret-défense, et ça s’amplifie avec leur exclusion des postes ministériels. Et puis, au vu du glissement subreptice qui s’opère depuis quelques jours, pourquoi pas demain la révocation de nos collègues « regardés comme musulmans ou comme homosexuels » ou considérés comme « insuffisamment français » ? A partir de quel degré d’ascendance sera-t-on « Franco-Français » ? Ici le bannissement ne se fonde pas sur ce que nous faisons, mais sur ce que nous sommes.
Concernant les élèves maintenant, il est fort probable que soit remis en cause le principe universel de l’inscription à l’école de tout enfant dès trois ans, voire même dès deux ans quel que soit le statut (régulier ou non) de ses parents ou l’instabilité de leur habitat. On se souvient qu’il a déjà fallu dans le passé faire appel aux préfets pour faire appliquer la loi par des maires proches du rassemblement national, et quelques autres dits « républicains », qui refusaient l’inscription des enfants au prétexte de la précarité de la situation de leur famille. Si demain les préfets sont invités à suivre ces maires que deviendront ces enfants ? L’intervention de la justice, qui prendra du temps, suffira-t-elle à obtenir ce qui est de droit dans la République ? De même, réserver les aides sociales aux « nationaux » suppose d’exclure les enfants étrangers et bi-nationaux des bourses et des fonds sociaux. Quel effet peut-on attendre d’une telle mesure sinon violence et déchirement doublés d’un accroissement de la pauvreté qui mine déjà nos réseaux d’éducation prioritaire ? L’exclusion commencerait d’ailleurs par les accompagnatrices de sorties scolaires portant le voile interdisant de fait les sorties dans certaines écoles et créant en cela une inégalité de traitement de plus entre les élèves et entre les parents d’élèves. Évidemment rien n’est dit des effets concrets de la préférence nationale sur le service d’enseignement dans les quartiers populaires ou les lycées professionnels, dans les hôpitaux et pour le ramassage de nos déchets.
Par ailleurs, tout le programme du rassemblement national prétend lutter contre le supposé déclin de l’école et contre le prétendu relâchement de l’autorité. Les comparaisons internationales, qui ont largement été utilisées par Gabriel Attal pour faire peur à ce sujet et introduire des mesures inadaptées proches de celles préconisées par l’extrême droite, ne valident pas cette conception des choses. La France s’inscrit logiquement dans la moyenne des pays de l’OCDE présentant une richesse comparable. Le seul point sur lequel elle diffère sérieusement c’est le fait qu’elle est très inégalitaire pour les enfants des milieux populaires. Y-a-t-il dans les perspectives tracées une quelconque prise en compte de cette question centrale ? Quant à ce qui concerne les relations au sein de l’école, là aussi les comparaisons invitent la France à travailler pour aller vers davantage de bienveillance afin de générer moins de violence. Répondre à la violence par l’exclusion ne résout pas les problèmes mais ne fait que les déplacer : un enfant exclu se retrouve dans la rue et est susceptible d’y devenir auteur ou victime. L’idéologie mortifère de ce parti, qui apparaît pour certains comme un sauveur possible, marque l’échec des politiques néo libérales qui ont tant clivé la société, au contraire des politiques sociales et démocratiques de pays qui ont su établir un contrat social acceptable en faveur des plus vulnérables.
L’école, que Jordan Bardella et ses affidés nous promettent, serait aussi une école de l’épuration et de la délation : tout chef d’établissement qui n’appliquerait pas les « sanctions planchers » lors des conseils de discipline serait sanctionné ; de même, tout inspecteur qui, contrôlant les enseignants en matière politique, idéologique et religieuse, serait contraint de signaler « les cas problématiques en la manière » sous peine là encore de sanction. Ceci rappelle furieusement ce qu’exigeait le régime de Vichy de ses recteurs et de ses inspecteurs d’académie : la transmission de liste de noms des fonctionnaires à « l’activité coupable », à défaut d’être eux-mêmes sanctionnés, voire révoqués. Cette épuration n’épargnera pas non plus les enfants « perturbateurs » orientés vers des centres spécialisés ou centres éducatifs fermés, dont on sait l’échec retentissant du temps du président Sarkozy, et ils le seront sans retour possible, au mépris du principe d’éducabilité pourtant inscrit dans le code de l’éducation
Ce serait enfin une école où l’inégalité serait juridiquement consacrée. Avec la suppression de la discrimination positive inscrite dans la Constitution, c’est le principe même de l’universalisme proportionné aux difficultés scolaires et sociales des écoles et des établissements qui serait aboli, et l’éducation prioritaire, qui concerne les établissements où se concentrent les élèves les plus en difficultés sociales et scolaires, qui disparaîtrait des politiques publiques. Pour l’école privée socialement privilégiée, très majoritairement catholique et financée par l’argent public, ce parti ne dit rien. Il est vrai qu’il est apparu récemment qu’un de ses soutiens financiers est un catholique intégriste de Versailles dont on peut se douter que la laïcité n’est pas la première des préoccupations contrairement à ce que martèle régulièrement le rassemblement national. A propos de laïcité versus contestation des enseignements, on a vu comment l’éducation à la sexualité a pu être combattue et des enseignants mis en cause par des parents dits « vigilants ». On peut donc s’attendre au pire quand les dirigeants disent qu’il n’est pas question de cela mais quand, en même temps, en pratique, les chiens sont lâchés.
L’ère macronienne a largement préparé les esprits à cette école régressive en singeant ce programme sur beaucoup de points. Loin d’être un rempart contre l’extrême droite, le président Macron n’a cessé de lui préparer l’accès au pouvoir. En introduisant la fin du collège unique, quoiqu’en dise la circulaire de rentrée, l’uniforme à l’école, la labellisation ministérielle des manuels, la focalisation sur les fondamentaux, la réduction horaire des enseignements généraux dans les lycée professionnels et l’article L. 111.3-1 du code de l’éducation qui insiste sur « l’engagement et l’exemplarité des personnels », il a contribué à banaliser des idées délétères et a laissé croire à la faible différence entre ce qui est aujourd’hui et ce qui peut advenir demain avec l’extrême droite. Il a préparé les esprits à la résignation et à l’obéissance.
Toute l’ampleur de la xénophobie, de l’islamophobie, de la haine pour les savoirs, la culture, l’esprit critique se déploie pourtant dans le programme de l’extrême droite dévoilant l’immense mépris qu’elle a pour les milieux populaires qui comptent sur l’école publique pour construire un avenir meilleur pour leurs enfants. Dresser, punir, dénoncer, discriminer, éliminer, tel est l’avenir de l’école marquée du sceau de l’infamie que le rassemblement national promet et promeut.
Sommes-nous prêts à accepter les effets mortifères de cette idéologie d’extrême-droite et de son programme pour nos élèves et nos collègues ? Pourrons-nous dire demain aux générations futures que nous ne savions pas ?
Le Collectif Langevin Wallon