Sabine Aussenac est professeure d’allemand depuis 40 ans dans l’académie de Toulouse. A la veille de son départ à la retraite, elle partage avec le Café pédagogique son regard et son expérience de professeure. Dans la première partie de l’entretien publié la semaine dernière, Sabine Aussenac présentait sa carrière de professeure d’allemand, le sort de TZR et des changements observés le long des décennies. Dans cette seconde partie, elle revient sur sa carrière et le métier d’enseignante.
Quels bons souvenirs de votre carrière gardez-vous ?
Des milliers de souvenirs formidables ! Cette satisfaction inhérente à notre fonction de voir les yeux brillants des élèves lorsqu’ils comprennent et progressent dans la joie et la bonne humeur. Les sixièmes qui sont capables de faire des phrases et dialoguer en allemand dès la Toussaint, les débats passionnants en lycée. Les moments de grâce quand un cours est juste parfait, exactement comme on l’avait imaginé en le préparant, ou au contraire improvisé suite à un événement extérieur, mais tout aussi réussi. Les « tâches finales » souvent originales et qui font cohésion, comme une visite guidée d’une ville en 4°, avec les élèves qui jouent à merveille les différents rôles dans de petites saynètes, ou un débat en première, les récitations de poésie ou les scènes de théâtre, les audios où les élèves imaginent des émissions de radio… Les flashmobs organisés à Noël avec des chants allemands, les goûters… Les élèves de ZEP qui m’accueillaient avec un « Ich bin ein Berliner ! »… Les magnifiques expositions avec des reproductions d’œuvres d’art crées par les élèves, leurs exposés sur des sujets importants…
Chaque classe est différente, et c’est un réel bonheur que de l’accompagner durant toute une année. Une autre très grande satisfaction réside bien sûr dans les rapports que nous développons certes avec un groupe classe, mais aussi avec les élèves pris individuellement. De beaux liens se créent, de confiance, de confidence, parfois d’amitié. J’ai gardé des contacts au fil de ces 40 années avec une dizaine d’élèves, certains sont de vrais amis…
Il y a bien entendu aussi d’excellents souvenirs avec des collègues ! Un des collèges de ZEP où j’ai enseigné organisait des tournois de pétanque dans la cour, à chaque pause méridienne. Dans un autre, les collègues s’amusaient à mettre des photos drôles sur les casiers ! Je n’oublierai jamais ce repas avec un groupe de collègues italiens que j’ai accompagné en visite de plusieurs villes de notre région, dans une soirée festive où nous échangions en un joyeux mélange d’anglais, de français et d’italien !
Et des souvenirs plus tristes ?
J’ai été confrontée à des décès d’élèves, cela m’a énormément marquée. Une de mes élèves s’est tuée en scooter, un autre, quelques années après son bac, en voiture ; nous étions restés amis et je n’ai jamais pu oublier cette perte. Un autre de mes élèves s’est suicidé, alors qu’il était en terminale, c’est épouvantable. Dans un collège de montagne où je travaillais, un père de famille a tué l’un de nos élèves entre midi et deux d’un coup de fusil de chasse, ainsi que la maman.
J’ai été extrêmement bouleversée, comme nous tous, par le décès de Samuel Paty. Et par divers suicides d’enseignants, comme celui d’un jeune stagiaire dans un collège où je fis ensuite aussi nommée comme stagiaire.
Partir à la retraite, un soulagement ou un pincement ?
Les sentiments sont très contradictoires. Oui, peut-être un soulagement « physique », car les dernières années ont été difficiles en passant par les années covid où j’ai été confrontée à des soucis de santé, et je sens que je supporte plus difficilement la fatigue. Mais la décision a été très très difficile à prendre, car j’aime infiniment mon métier et le contact avec les élèves, d’autant plus que la dernière année scolaire a été vraiment sereine, avec des classes presque toutes formidables, des moments fabuleux avec les élèves, de belles réussites de ces derniers.
Ce sera vraiment difficile de ne plus profiter de ces échanges formidables, et je pense que je garderai « un pied dans la maison » en essayant de donner quelques cours dans des formations post-bac, et/ou en me rapprochant d’associations pour faire du bénévolat auprès de primo-arrivants, ou en milieu hospitalier ou pénitentiaire. Mais les projets ne manquent pas, puisque je suis aussi en écriture, et que j’ai inscrit depuis quelques années une thèse en recherche-création sur trois artistes allemandes.
Quel conseil à une future ou jeune professeure ?
Ne jamais renoncer. Ne pas baisser les bras. Garder le goût de la transmission, et savoir se renouveler au niveau des méthodes tout en gardant la passion des débuts. Aimer les élèves. Oui, les aimer, pas seulement les respecter. Les voir comme des êtres humains à part entière, pas comme des personnes sur lesquelles nous avons autorité, même si c’est le cas. Nous ne sommes pas simplement là pour leur transmettre des savoirs, mais aussi des valeurs, une éducation, de belles choses, de la culture, de la bienveillance… Garder toujours aussi une légèreté et le sens de l’humour. On a toujours beaucoup ri dans mes cours, il y a eu des boutades, des fous rires, des bons mots, de part et d’autre. La salle de classe n’est pas une arène, mais une agora.
Se respecter, aussi. Demeurer le capitaine de ce navire qu’est la classe, donc ne pas arriver dépenaillé, mais toujours tiré à quatre épingles, car nous sommes aussi là pour aider les élèves à se repérer avec les codes sociaux. Leur expliquer qu’on ne parle pas en classe comme on parlerait dans la rue. Toujours tenter de déjouer les agressivités par de l’humour et de la bienveillance, tout en n’hésitant pas à sévir si besoin.
Et ne pas rester seul s’il y a des problèmes : nous sommes un des éléments d’une équipe qui va des collègues au CDE en passant par les CPE, la VS, les personnels de santé… La communication et la solidarité demeurent capitales.
Et quels conseils pour un professeur d’allemand ?
Spécifiquement au sujet de l’allemand, je pense qu’il faut à la fois répéter encore et encore que l’Allemagne a existé avant et après la Shoah, et que l’on ne peut la réduire à cela, donc jouer à fond la carte de la culture, des merveilles géographiques, historiques, culinaires… du pays, tout en ne se voilant pas la face et en intégrant cet événement gravissime dans nos cours, en en parlant sans tabous, en le reliant à l’actualité, en en profitant pour expliquer encore et encore ce qui s’est passé, pourquoi, et pourquoi cela ne doit pas se répéter. Là aussi, nous ne sommes pas seuls. Le ministère met à notre disposition de nombreux outils.Nos cours en effet ne doivent pas être de simples cours dédiés à notre matière, mais s’intégrer dans une dynamique et une perspective commune, interactive, en interdisciplinarité lorsque c’est possible. J’ai par exemple toujours profité des « journées spéciales », même avant que EDUSCOL mette à notre disposition de précieux outils pédagogiques, pour sensibiliser les élèves aux droits des femmes, au SIDA, pour faire de la prévention contre l’homophobie, pour parler de l’Holocauste, etc.
Pour conclure, je dirais que j’ai été une prof heureuse et que ne n’ai aucun regret ! Oui, nous faisons bien le « plus beau métier du monde » !
Propos recueillis par Djéhanne Gani