Le récit de Simone Veil Une jeunesse au temps de la Shoah, le roman de Philippe Grimbert Un secret, l’anthologie La Résistance en poésie : voici quelques coups de cœur que font résonner en vidéo et en ligne les 3èmes d’Aurore Delubriac. « Dans la mesure où les jeunes consomment et produisent de l’image sur les réseaux sociaux, notamment TikTok qui propose des vidéos très courtes cherchant à remporter un maximum d’adhésion, l’idée de proposer une pratique similaire pour susciter l’envie de parler d’une lecture a émergé ». Et c’est ainsi qu’au collège Didier Daurat à Mirambeau en Charente-Maritime, les élèves s’engagent dans leurs lectures en les partageant sous la forme de vidéos plans-séquences de 30 secondes. A l’heure des réseaux sociaux, faut il-élargir à la cité la si essentielle socialisation de la lecture ? A l’heure numérique, faut-il réinventer les supports et formats du travail en classe de la littérature ?
Vous invitez vos élèves de 3ème à rendre compte d’une lecture à travers un format oral plutôt qu’écrit : pourquoi ce choix ?
Lors d’un exposé, d’un concours d’éloquence ou de l’oral du DNB, force est de constater que les élèves peinent à regarder leur auditoire et à se détacher de leurs notes. Ajoutons que les prises de parole spontanées en classe sont loin d’être légion. Aussi me suis-je demandée : quelles activités et quels outils proposer aux élèves pour motiver la prise de parole et travailler les compétences orales comme nous y enjoignent les programmes ?
Je tenais à m’affranchir des traditionnels exercices pour rendre compte d’une lecture cursive. Le fait de demander un compte-rendu de lecture oral lève en outre les freins/blocages liés à l’écriture. En effet, beaucoup d’élèves, faute d’une maîtrise satisfaisante de l’orthographe et de la syntaxe, font montre de blocages dès lors qu’il leur faut écrire. En outre, dès que l’attendu en matière d’écriture est conséquent, ils peinent à fournir des efforts. Il m’apparait enfin important d’apprendre la précision et la concision, de développer l’esprit de synthèse. Parce qu’il concoure à cela, le format court a-t-il été privilégié.
Le format, c’est celui d’une vidéo plan-séquence de 30 secondes : pourquoi le choix d’un tel dispositif, fort peu scolaire en apparence ?
Dans la mesure où les jeunes consomment et produisent de l’image sur les réseaux sociaux, notamment TikTok qui propose des vidéos très courtes cherchant à remporter un maximum d’adhésion, l’idée de proposer une pratique similaire pour susciter l’envie de parler d’une lecture a émergé. Le challenge relevé par les chroniqueurs de La Grande Librairie de présenter une œuvre en 30 secondes afin de susciter le désir de la lire avait déjà retenu toute mon attention. Le parallèle était tout trouvé pour promouvoir l’activité ! Il m’importe en effet de rechercher des activités motivantes et inscrites dans les pratiques des élèves afin de remporter leur adhésion.
Le choix du plan séquence s’est imposé car, lors d’une prise de parole préparée, je constate que les élèves lisent beaucoup. Je voulais leur faire prendre conscience de la nécessité de maitriser leur texte pour que la présentation ait l’apparence de la conversation, sans tomber dans le travers d’une récitation. Interdire le montage permet selon moi d’atteindre cet objectif.
Quelles ont été les étapes de travail pour amener les élèves à réaliser ces vidéos ?
Dans un premier temps est analysé en classe un extrait de La Grande Librairie où quatre chroniqueurs sont mis au défi de présenter leur coup de cœur littéraire en 30 secondes afin de donner aux téléspectateurs l’envie de lire les ouvrages durant la période estivale. Les élèves doivent relever les informations contenues dans chacune des présentations faites. La liste des invariants est dressée. Un temps est ensuite consacré à l’analyse des prestations orales. Les attendus formels sont mis en avant.
Le choix de l’ouvrage a été la deuxième étape de ce travail. Il convenait de choisir un livre en fonction de son niveau de lecture et surtout de ses goûts parmi les ouvrages proposés. En effet, je reste convaincue que l’élève contribue plus volontiers s’il sent qu’il a un espace de liberté. J’ai veillé à proposer différents genres littéraires et des textes de longueur variée. La sélection a été projetée au tableau via un mur Digiscreen. Les élèves, munis d’une tablette, ont scanné les QR codes et ont pris connaissance du résumé et des étiquettes avant d’opérer leur choix.
Dans un troisième temps, les élèves ont dû lire en autonomie le livre et rédiger avec leur binôme, sur un mur d’écriture collaborative en ligne disponible sur l’ENT de l’établissement, leur présentation en fonction des attendus mis à jour lors de l’analyse des présentations des chroniqueurs de La Grande Librairie. L’élève le plus à l’aise passait devant la caméra, l’autre filmait. Les élèves ont réalisé leur vidéo dans le patio de l’établissement et ont intégré la première de couverture avec l’application Capcut pendant les heures de permanence ou durant la pause méridienne.
Un tel travail est-il évaluable ?
Lors d’une séance dédiée, les élèves, curieux de découvrir le travail de leurs camarades, ont visionné les productions et les ont évaluées au moyen d’une grille que j’avais élaborée à partir des attendus formels et des invariants qui avaient émergé lors de la séance d’analyse des chroniques des journalistes de La Grande Librairie.
Les vidéos ont été projetées au tableau et chaque critère a été analysé de manière collégiale. Chaque élève qui émettait un niveau de compétence devait motiver son avis. Quand ces derniers divergeaient, j’animais un mini-débat jusqu’à ce que les élèves arrivent à un consensus. Les compétences ont ensuite été reportées dans Pronote.
Il est tout à fait envisageable que l’activité de correction ne soit dévolue qu’à l’enseignant afin de gagner du temps. Mais il me semble important de montrer aux élèves que cette étape repose sur une analyse fine et justifiée. Mon objectif est vraiment d’asseoir les compétences argumentatives des élèves.
A la lumière de l’expérience, quels vous semble l’intérêt du format court ? d’autre part du support vidéo ?
Le format court, même s’il nécessite un certain temps de préparation (la rédaction du résumé et de l’avis motivé comme storyboard), est moins rejeté par les élèves. La mémorisation/appropriation d’un écrit court est du reste moins coûteuse.
El l’intérêt du support vidéo ?
Le format vidéo rend la correction plus dynamique et motivante. L’attention est focalisée sur le contenu et la prestation orale, et n’est pas parasitée par une orthographe défaillante. L’objectif de cette proposition était en effet de travailler la qualité de la prise de parole et la pertinence du propos. La vidéo est enfin un outil imparable pour prendre conscience de sa posture, de son débit, de son volume, de son élocution, de ses tics langagiers et corporels, et de la manière dont le discours est investi.
Quelles difficultés ont pu rencontrer les élèves dans un tel dispositif ? avec quelles remédiations possibles ?
Force est de constater la pauvreté des avis motivés et le peu de temps qui leur est consacré. Les élèves ont en effet privilégié le résumé. Ce dernier a par ailleurs été souvent plagié sur des productions existantes sur le net. Aussi à l’avenir ferai-je composer les élèves en classe.
Donner un avis est la partie la plus délicate pour les élèves faute de mots et en raison d’une difficulté importante à justifier leur opinion. Sans doute la qualité des avis de lecteur aurait été optimisée si j’avais pris un temps avant l’enregistrement pour écouter ou lire chaque présentation d’œuvre afin de souligner les manques et les axes d’amélioration. Une fiche de vocabulaire a donc été proposée à l’issue de la séance d’évaluation afin de permettre aux élèves d’avoir un lexique plus conséquent et précis pour caractériser l’histoire et l’écriture, et ce, afin de nourrir leur prochain avis motivé de lecture.
Par ailleurs, même si c’est l’élève le plus à l’aise qui est passé à l’image, les productions proposées montrent la difficulté des jeunes à regarder la caméra. La peur du regard de l’autre est bien prégnante chez nos adolescents. Pour remédier à cela, des activités pour apprivoiser le regard de l’autre peuvent être proposées. Les techniques théâtrales offrent à cet égard quantité d’exercices.
Enfin, il aura fallu bien des prises à certains groupes pour produire une prestation de qualité, faute d’une maîtrise suffisante du texte. Bien que les élèves disposent d’une fiche méthodologique qui recense des conseils pour mémoriser, force est de constater qu’ils rechignent à se donner cette peine. J’avoue ne pas avoir encore trouvé comment leur insuffler ce goût de l’effort…
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Exemple sur « Un secret » de Philippe Grimbert
Exemple sur « Une jeunesse au temps de la Shoah » de Simone Veil
Sur le site Lettres de l’académie de Potiers
Aurore Delubriac dans Le Café pédagogique