Comme chaque vendredi, le café pédagogique publie un épisode du podcast consacré aux métiers de l’éducation « Docs sur l’Éduc, la parole à celles et ceux qui font l’école » réalisé à Marseille avec des personnels travaillant majoritairement auprès d’élèves en difficulté scolaire. Aujourd’hui, ce sont Anna Buccieri et Fabienne Baroni- Rochat, psychologues scolaires qui sont à l’honneur. « Il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de résistances de la part des équipes (pluridisciplinaires Ndlr). Nous n’échappons pas aux stéréotypes liés au psychologue clinicien dans son cabinet, avec son divan… La psychologie à l’école, c’est une spécialité de la psychologie, comme cela peut exister au travail par exemple. Comment accompagner des élèves de la maternelle jusqu’à l’université, comment aider un adolescent – en ce qui me concerne – face à sa scolarité, ses relations avec ses pairs, avec les enseignants, avec l’autorité, le travail scolaire… la façon de se projeter dans l’avenir. Au-delà de l’orientation nous sommes des psychologues spécialisés dans l’enfance et l’adolescence », confient-elles.
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Anna Buccieri PsyEN EDO dans le second degré travaille au Centre d’Orientation et d’Information (CIO) de la Belle de Mai à Marseille, elle intervient au collège Jean-Claude Izzo (classé Rep+). Fabienne Baroni-Rochat est en poste dans le premier degré – PsyEN EDA à Martigues sur un ensemble d’écoles mixtes socialement, certaines sont en Rep.
Le corps unique des psychologues de l’Éducation Nationale
La création d’un corps unique des Psychologues de l’Éducation Nationale était une ancienne demande de la profession composée des « Psychologies scolaires » (premier degré) et des « Conseillers d’Orientation – Psychologues » (second degré). C’est chose faite depuis la rentrée 2017.
Dès 1946, les auteurs du plan Langevin-Wallon en faisaient la promotion au bénéfice de la réussite des élèves : « Tous les enfants, quelles que soient leurs origines familiales, sociales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte » disaient-ils. Cela n’a pas toujours été appliquée. Et surtout l’approche n’était pas forcément la même selon le niveau d’enseignement. Les psychologues du premier degré avaient des missions orientées vers le dépistage et éventuellement l’orientation vers des établissements spécialisés, tandis que celles et ceux du second degré qui étaient issu·es du corps des conseillers d’orientation (COP) puis des CO-PSY) mettaient au service de l’information et de l’orientation leur approche psychologique.
Sous l’effet conjugué de la revendication syndicale et de l’évolution du système éducatif (quasi-disparition des Réseaux d’Aide Spécialisés aux Élèves en Difficulté et création du concept d’école inclusive), ce corps unique devait permettre de proposer une réponse globale à la difficulté psychologique en milieu scolaire.
Bien que la profession de psychologue ait été réglementée dès 1985, l’Éducation nationale a toujours éprouvé des difficultés – et fait preuve de réticences – à adapter son approche de la psychologie de l’éducation aux avancées d’une science en constante mutation.
Les psychologues scolaires faisaient face à certaines résistances à être reconnu·es en tant que tels dans le cadre statutaire de professeur des écoles. Quant aux conseillers d’orientation-psychologues, certes statutairement identifiés, ils avaient hérité en 1991, après 6 années d’atermoiements ministériels et de nombreuses années de lutte, du titre de psychologue. Mais leurs missions n’avaient réellement été revues à l’aune de cette reconnaissance.
Aujourd’hui ce corps unique est divisé en deux parties : les Psy-EN EDA (Éducation, Développement et Apprentissages) – premier degré – et les Psy-EN EDO (Éducation, Développement, Orientation) – second degré. Sept ans après sa mise en place, Anna et Fabienne en tirent le bilan en parlant de leur métier, des difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des missions initiales, des réformes contradictoires, de leur proposition pour l’avenir.
Anna : « Nous avons été attaqués notamment au travers de la loi « choisir son avenir professionnel » (septembre 2018) qui a permis aux Régions de prendre en charge le volet Information. Ce qui a augmenté le flou entretenu sur nos missions. Nous sommes toujours sur le volet « conseil en orientation » bien qu’une nouvelle circulaire des professeurs principaux mette au premier plan l’accompagnement à l’orientation des élèves. Cela renvoie à une conception différente de l’orientation qui serait basée uniquement sur les résultats scolaires et qui ne prendrait plus en compte le développement de l’adolescent et l’affirmation de sa personnalité. […] Notre travail évolue de plus en plus sur les questions du mal-être adolescent, des élèves à besoins particuliers, du handicap… L’idéal serait d’avoir moins d’élèves en charge pour pouvoir assurer l’ensemble de nos missions […]
La mise en place du corps unique devait nous permettre de traiter globalement la difficulté scolaire, mais l’institution n’a rien fait dans ce sens. Ce sont nos collègues qui ont pris eux-mêmes des initiatives en se coordonnant premier et second degré, notamment pour traiter l’avenir de la scolarisation des élèves suivis au primaire ».
Selon un rapport de l’Éducation nationale de 2021, on compte aujourd’hui 1 Psy-EN pour 1500 élèves – ce chiffre est contesté par les collègues – qui considèrent que suivre entre 600 et 800 élèves serait une norme convenable.
Le nombre de Psy-EN est en chute libre depuis les années 1980 : 3 300 Psy-EN actuellement, contre 4 700 conseillers d’orientation il y a quarante ans sans compter celles et ceux du premier degré. L’Association des psychologues et de psychologie dans l’Éducation nationale (APsyEN) ainsi que l’ensemble des organisations syndicales estiment évidemment que cela n’est pas suffisant.
Fabienne : « La semaine de travail est très variable selon le secteur d’intervention. Actuellement sur les Bouches-du-Rhône, les Psy-EN ont en charge entre 6 et 15 écoles ; il nous arrive d’intervenir dans un autre secteur que le nôtre sur des situations d’urgence quand il n’y a personne pour le faire. On peut suivre entre mille et trois mille élèves quand les postes ne sont pas affectés. C’est une gageure !On passe d’une urgence à l’autre sans avoir le temps d’écouter les élèves ou les collègues. Nous passons la majorité de notre temps à effectuer des bilans. J’essaie de travailler toujours en lien avec les équipes pour répondre à tel ou tel questionnement ; je n’arrive plus à faire le suivi des élèves qui expriment une difficulté au regard de leur scolarité. Le temps passé dans chaque école est vraiment insuffisant pour faire vivre des collectifs de travail. On ne peut plus faire de prévention. Nos missions changent de fait. Nos urgences – la prise en charge de tel ou tel élève qui va mal – sont confrontées à celles de l’institution et ce ne sont pas les mêmes – établir un bilan, prévoir des orientations en SEGPA… ».
Une santé mentale qui se dégrade chez les enfants et les adolescents.
Les indicateurs présentés par Santé publique France dans un dernier bulletin notaient une santé mentale encore dégradée chez les adolescents : « Depuis le début de l’année 2023, les passages aux urgences pour idées suicidaires semblaient rester dans une tendance toujours en légère hausse, avec des niveaux supérieurs à ceux observés en 2020 et 2021. Par ailleurs, les passages aux urgences pour geste suicidaire et troubles de l’humeur restaient à un niveau élevé en 2023. »
Les chiffres ne mentent pas.
20% des 15-24 ans souffrent de symptômes dépressifs, a alerté en 2021 la Défenseuse des droits, chiffre en hausse de 50% par rapport en 2019. Pendant le premier confinement, 13% des enfants de 8 à 9 ans ont subi des troubles socio-émotionnels, d’après l’Inserm et l’Ined. La pandémie COVID-19 a considérablement aggravé cette situation.
Qu’est ce qui a changé ? Où sont les invariants ?
Anna : « Devant l’impossibilité de traiter correctement la difficulté scolaire en interne avec les équipes pédagogiques, les personnels de santé, les chefs d’établissement, les psy-EN, les AS… la tentation est grande d’externaliser tout ce qui relève de la difficulté d’apprentissage et de faire appel à des professions libérales – orthophonistes, psychologues, médecins… – alors que la réponse est peut-être là devant nos yeux dans le système éducatif. Tout accompagnement à l’intérieur de l’école devient problématique. […]
Il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de résistances de la part des équipes (pluridisciplinaires Ndlr). Nous n’échappons pas aux stéréotypes liés au psychologue clinicien dans son cabinet, avec son divan… La psychologie à l’école, c’est une spécialité de la psychologie, comme cela peut exister au travail par exemple. Comment accompagner des élèves de la maternelle jusqu’à l’université, comment aider un adolescent – en ce qui me concerne – face à sa scolarité, ses relations avec ses pairs, avec les enseignants, avec l’autorité, le travail scolaire… la façon de se projeter dans l’avenir. Au-delà de l’orientation nous sommes des psychologues spécialisés dans l’enfance et l’adolescence ».
Alors, sans moyens véritables, de plus en plus d’établissements font appel à des prestataires privés : des libéraux, mais aussi des associations. Selon une responsable associative : «On n’est encore qu’aux balbutiements de la prise en charge de la santé mentale à l’école. Il n’y a pas de réel accompagnement, les rendez-vous que nous organisons ne sont que ponctuels.» Autrement dit nous n’en sommes qu’au début de l’externalisation de la souffrance mentale vers des structures privées financées par les collectivités locales. Le gouvernement a également lancé des chèques psychologiques destinés aux enfants et adolescents, de 3 à 17 ans, pour rembourser jusqu’à dix séances avec un thérapeute libéral.
Fabienne : « Au vu de notre faible présence dans les écoles, un enfant qui va mal n’arrive pas à nous identifier. Le besoin de prise en charge est bien présent, mais parfois ne peut pas s’exprimer parce que nous ne sommes pas là avec eux. C’est aussi vrai avec les familles qui parfois peuvent être dans le déni. Le problème se pose avec les équipes enseignantes qui souvent sont amenées à se débrouiller seules. Le pouvoir a enlevé les moyens aux psychologues et aux maîtres spécialisés dans les Rased de bien faire notre travail. In fine ce sont les enfants des milieux populaires qui en supportent les conséquences. Leur famille ne va pas faire appel spontanément à d’autres ressources dans le privé. C’est dur de voir cela. »
Une évolution possible des missions vers un désengagement de l’Éducation Nationale ?
La création de référents dans le second degré qui dotés d’une formation de quelques jours, interviennent sur les terrains complexes du harcèlement, de la santé mentale, de l’orientation, de la grande difficulté scolaire et du handicap, en lieu et place des Psy-EN, est le signe d’une ignorance délibérée de leur place dans l’École.
Le rapport de l’Inspection Générale sur les Psy-EN EDO trace une redéfinition des missions et des modalités de travail : limitation de leur intervention auprès des seuls élèves en grande difficulté, après filtrage et orientation par les profs référents, extension des interventions des Psy-EN vers d’autres secteurs et d’autres missions, notamment en rapport avec les réseaux santé gérés par les collectivités territoriales. Par ailleurs, les Psy-EN EDO pourraient être nommé·es dans les établissements collèges et lycées au lieu de dépendre des Centres d’Orientation et d’Information (CIO).
Le dernier rapport de la Cour des comptes renouvelle une nouvelle fois sa demande de transfert des Psy-EN dans le bloc budgétaire des Médecins, Assistantes Sociales et Infirmier·res. Ce qui entre autres ouvrirait délibérément la voie à une opération d’harmonisation du temps de travail des Psy-EN avec celle des personnels médico-sociaux qui évoluent entre 38 et 39 h par semaine.
Un projet de loi porté au Sénat par Françoise Gatel (UC) va dans le sens d’un transfert des Psy-EN, des médecins, des AS et des infirmier·res aux départements volontaires. Déjà adopté au Sénat le 20 mars 24, il devait être discuté à l’Assemblée nationale avant sa dissolution. Les départements pourraient récupérer les Psy-EN pour assurer les bilans obligatoires que leurs structures ne sont plus en mesure de faire, faute de personnels qualifiés. Enfin, une nouvelle proposition de loi sur la création d’un ordre pour tous les psychologues parachève l’édifice de ce recadrage.
Quelle alternative à cette évolution ?
Anna : « Réhabilitons le travail des spécialistes, il y a trop de référents formés en quelques jours sans réelle qualification. La conception des Psy-EN « personnels ressource » faisant partie de brigades qui vont d’une situation d’urgence à une autre doit être rejetée. Cette conception ne permet pas de prendre en charge les situations difficiles, de les comprendre, ni de mettre en place des politiques de prévention et de suivi.
Fabienne : « Quand les CMPP ne feront plus que des diagnostics, on sera bien avancés, plus personne – dans le service public – ne prendra en charge les trouble neurocomportementaux des enfants. […] C’est une école publique que l’on prive de ses moyens et qui s’écarte un peu plus de ses objectifs d’émancipation. Moins d’élèves par classe, plus d’enseignants que de classes, plus de psy, d’Aesh présent•es sur le terrain, plus de temps de concertation avec les personnels municipaux nous permettrait de construire une réelle réponse aux problèmes posés. Tout le monde est référent de quelque chose mais il n’y a plus personnes sur le terrain. Qu’on nous fasse confiance, qu’on arrête de nous contrôler, que l’on retrouve du sens à nos métiers ! ».
Pour écouter l’intégralité des entretiens avec Anna Buccieri et Fabienne Baroni-Rochat
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Alain Barlatier
barlalain@gmail.com