Le « parti de l’abstention » fera-t-il les élections ? A quelques jours d’une échéance cruciale, ce marronnier de soirée électorale prend une toute autre résonance. Le fossé entre les citoyen·nes et les politiques est-il si profond que même les élections des 30 juin et 7 juillet pourraient ne pas mobiliser massivement ? C’est de cette question qu’Aminata Dembélé, accompagnatrice de campagnes de mobilisation citoyenne, s’empare dans un court essai « engagé et percutant » de la collection ALT, destinée aux 15-25 ans, Voter, est-ce encore utile ? publié aux éditions de La Martinière. Une réflexion qui ne stigmatise personne, mais cherche à comprendre ce que nous dit l’abstention de notre société, trace des pistes pour la combattre, et propose des « solutions de réengagement » citoyen. A explorer et à partager, en classe et partout …
Des obstacles au vote
La démocratie représentative traverse depuis un demi-siècle une crise, en témoigne une abstention grandissante, notamment chez les moins diplomé·es et les moins de 30 ans : iels n’étaient déjà que 45% à voter au second tour des législatives en 2002 – contre 69% chez les 65 ans et plus – et plus que 28 % en 2022. C’est à cette génération « qui compte » et qui « façonnera l’avenir et réformera la démocratie » que l’autrice dédie cet essai.
D’où vient cette abstention ? Contrairement à ce qui se dit trop souvent, ce n’est pas par paresse que cette génération ne vote pas, ou par désintérêt pour l’engagement citoyen, mais plutôt parce qu’elle entend protester ainsi contre un système « inefficace ou injuste », déconnecté des réalités sociales, dans lequel elle ne se sent pas représentée, et par lequel la population ne se sent pas écoutée. Pourquoi voter alors que « l’espace dédié au débat » se réduit, alors que le recours autoritariste au 49.3 méprise les mobilisations et fait taire les manifestations ?
Des raisons de voter
Pourtant, c’est bien l’inverse qu’il faut en conclure : mais s’il faut continuer à « se regrouper en associations et signer des pétitions », pour se faire entendre au « plus haut niveau », il faut impérativement « s’engager dans le processus électoral ». Aujourd’hui le recours protestataire au vote blanc n’a aucun pouvoir, il faut donc choisir parmi les candidat·es celui ou celle qui défend des politiques publiques dans lesquelles on se retrouve.
Car si « aucun parti n’est parfait, tous ne se valent pas » en termes, par exemple, de lutte contre les discriminations – car on ne vote pas que pour soi, on vote aussi pour défendre les droits des autres -, en termes de climat, ou de pouvoir d’achat… D’ailleurs si les populations de milieux populaires, et les jeunes votaient davantage, ces préoccupations-là seraient aussi davantage prises en compte.
Alors oui, 84 % des Français·e·s ne font pas confiance aux partis politiques, et cette méfiance est particulièrement marquée chez les jeunes qui, à 69%, estiment même le monde politique est corrompu. Mais voter est justement « un levier puissant » pour pousser à un changement de cet appareil politique, en choisissant des représentant·es capables de porter une autre conception de la vie démocratique ; et même si l’on juge indispensable, voire plus utile de « s’impliquer activement dans la vie politique en dehors du cadre traditionnel des élections », voter reste LE moyen le plus efficace de « ne pas laisser les autres décider à [sa] place », et « dans le climat et la période d’urgence que nous vivons aujourd’hui », de s’engager.
Des perspectives à construire
L’autrice étudie alors quelques pistes concrètes pour revivifier la démocratie par « une gouvernance inclusive et participative », et construire une société plus horizontale à laquelle beaucoup, notamment chez les jeunes, aspirent. Chaque proposition est pesée en termes d’avantages et d’inconvénients, invitant ainsi au débat et aux échanges.
Quels sont les intérêts de la démocratie directe et des référendums d’initiative populaires tels qu’on les pratique en Suisse ? Quels problèmes posent-ils ? La démocratie participative, les assemblées citoyennes sont-elles efficaces ? Comment éviter que la démocratie par tirage au sort, comme la connait l’Irlande, soit confrontée au manque d’expertise ? La démocratie continue des conseils de quartiers ou des budgets participatifs est-elle accessible à toustes ?
Toutes ces pistes sont sur la table et il faudra les exploiter pour « revitaliser notre démocratie ». Mais aujourd’hui, rappelle l’autrice, il s’agit de voter pour « faire pencher la balance vers un futur plus équitable, plus juste et plus lumineux », et montrer que « l’espoir et l’engagement peuvent triompher de la peur et de la division ».
Charline Vanhoenacker et sa bande le chantaient dimanche 23 juin, lors de la dernière du Grand Dimanche soir sur France Inter :
« Aujourd’hui on n’a plus le droit De dire moi j’men fous, je vote pas. »
Claire Berest
Voter est-ce encore utile ? Aminata Dembélé. Sur le site des éditions La Martinière