Il y a une semaine, le Café pédagogique relayait l’appel à faire grève du Grand Oral de l’Apses – association des professeurs de sciences économiques et sociales. Depuis, le ministère semble avoir entendu leur revendication. Il a annoncé le retrait de trois chapitres du programme de terminale de l’année prochaine. Mais pas n’importe quels chapitres, des chapitres sensés éclairer les élèves, citoyen·nes de demain, sur les inégalités sociales et le rôle des banques dans les crises financières. Un choix loin d’être anodin et qui interroge. Amandine Oullion, co-présidente de l’association de professeur·es, répond aux questions du Café pédagogique.
Vous avez appelé à faire grève du grand Oral si le ministère n’apportait pas de modifications au programme de SES. Vous avez manifestement été entendu. Pourquoi demander un allègement du programme ?
Les programmes de SES publiés en 2019 et 2020 sont problématiques à plusieurs points de vue. Ils avaient d’ailleurs fait l’objet d’un rejet unanime par le CSE (Conseil Supérieur de l’Éducation) au moment de leur publication. Notre association en avait fait une analyse assez détaillée. Ce que nous soulignons depuis le début, c’est en particulier la lourdeur de ces programmes. En classe de Terminale, cela pose encore plus problème, car les élèves doivent s’approprier l’ensemble du programme pour le bac. Cette année, à la suite de la modification du calendrier du bac – dont nous nous réjouissons puisque c’était une demande de l’APSES, il nous a été annoncé fin septembre que l’ensemble du programme de terminale serait au programme du bac, soit 12 chapitres, contre 7 chapitres l’an dernier – pour des épreuves au mois de mars, 12 chapitres que l’on nous a imposé de traiter en un temps record, tout en préparant les élèves à l’épreuve de grand oral, qui porte sur leurs deux disciplines de spécialité.
Cette situation a mis les professeurs et les élèves dans une situation intenable toute l’année. Nos enquêtes et les remontées spontanées de nos adhérents convergent vers un même bilan: nos collègues ont dû renvoyer certains points de cours à la maison. Ils n’ont pas pu faire de remédiation, c’est-à-dire revenir sur les difficultés rencontrées par les élèves. Ils n’ont pas pu entraîner suffisamment leurs élèves ni les préparer correctement à la méthode, notamment celle de la dissertation. Ils ont dû pour trois quarts d’entre eux renoncer à s’absenter pour maladie ou formation en raison de la lourdeur du programme de terminale. Ils n’ont pu consacrer que très peu de temps, voire pas du tout, à la préparation du grand oral. Et beaucoup de stress ressenti évidemment, par les professeurs comme par les élèves.
Le ministère a décidé de retirer trois chapitres. Quels sont-ils ?
D’après nos échanges avec le MEN et les messages envoyés dans les académies par les IA-IPR de SES, les trois chapitres supprimés sont : comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ? Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ?
L’APSES estime ce choix problématique. Pourquoi ?
Ce choix est bien sûr problématique. Le chapitre sur l’École permettait de s’interroger sur les inégalités face à l’École, en lien avec un autre questionnement sur la mobilité sociale, et sur le rôle que doit jouer l’École en matière d’égalité des chances. Le chapitre sur les crises financières permettait de comprendre les mécanismes à l’origine des crises financières et économiques, et le rôle joué par les banques et les autorités de régulation dans la survenue de ces crises. Le chapitre sur la justice sociale, surtout, permettait de comprendre le rôle joué par les pouvoirs publics dans la lutte contre les inégalités, par le biais notamment de la redistribution, de la fiscalité, des prestations sociales et services publics. Ces objets disparaîtraient donc totalement de nos programmes. Du point de vue de la formation citoyenne des élèves, c’est évidemment une régression majeure. D’autant que le déséquilibre est important quand on considère les programmes de SES sur l’ensemble du cycle terminal puisque ce sont, par exemple, trois chapitres entiers qui sont consacrés au fonctionnement du marché en classe de première. Ce chapitre sur la justice sociale nous tient aussi à cœur, car il s’agit d’un chapitre de « regards croisés », qui permet d’approcher un même objet en associant les apports de nos différentes disciplines. Cette approche par objet tournée vers la formation citoyenne, c’est ce qui fait l’esprit singulier des SES depuis leur création.
Allez-vous demander une révision de cette décision ?
À court terme, il nous semble prioritaire d’alléger les programmes pour pouvoir relâcher la pression sur les collègues et les élèves. Dans ce cadre, nous demandons que le ministère procède à des allègements plus ciblés au sein des chapitres, à partir de propositions élaborées au sein des instances de notre association. Dans le cas contraire, nous demandons que ces suppressions de chapitres restent temporaires, dans l’attente d’une réécriture des programmes. En effet, à moyen terme, il est impératif d’engager un travail de réécriture des programmes de SES, de la seconde à la terminale. Nous demandons que soit constitué dès maintenant un groupe de travail, auquel les professeurs de SES et leur association représentative, l’APSES, doivent être associés. Ce groupe de travail doit aboutir à des programmes moins lourds, davantage problématisés pour permettre aux élèves de réfléchir, de débattre, de disserter, et qui prennent appui sur l’actualité de la recherche pour éclairer des questions vives de société, à commencer par les questions environnementales, sur lesquelles nous avons déjà entamé un travail de réflexion avec les universitaires.
Finalement, les élèves de cette année sont les laissés pour compte. Le ministère a-t-il annoncé une forme de « bienveillance » à l’égard des copies des élèves?
Oui, l’obstination du Ministère à ne pas prendre en compte les remontées de terrain a abouti à une nouvelle promotion de bachelières et bacheliers sacrifiés, qui ont dû avaler les chapitres au pas de course et se sont retrouvés bien seuls dans la préparation de leur grand oral. Les sujets donnés à l’épreuve écrite de SES ont essentiellement porté sur les 8 chapitres que l’APSES appelait les collègues à traiter en priorité cette année. Toutefois, cela ne change rien aux conditions dans lesquelles cet examen a été – mal – préparé.
Lors des réunions d’entente préparant la correction des copies, les IA-IPR et leurs représentants lors des réunions d’entente ont pour beaucoup appelé à la bienveillance. Pour autant, le déroulement de ces réunions a été problématique à plusieurs égards. Par une absence de concertation avec les enseignants travaillant sur le terrain dans la définition des attentes. Par un changement brutal dans les pratiques de notation et dans les attendus, qui intervient après les épreuves et alors même que les collègues ont travaillé toute l’année avec leurs élèves à partir des standards établis lors des sessions précédentes. Par la fin d’une entente réellement collégiale, avec des réunions menées de manière verticale, en visio pour l’immense majorité des cas, et sans travail sur des copies test. Et enfin, par des consignes qui ne permettent pas toujours de valoriser le travail d’appropriation par les élèves des savoirs et savoir-faire vus en classe.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda