Comme chaque vendredi, le café pédagogique publie un épisode du podcast consacré aux métiers de l’éducation « Docs sur l’Éduc, la parole à celles et ceux qui font l’école » réalisé à Marseille avec des personnels travaillant majoritairement auprès d’élèves en difficulté scolaire. Aujourd’hui, ce sont Sabine Savalli et Sheynesse Tani, AESH dans les quartiers nord de Marseille, qui sont à l’honneur. « On y croit pourtant, il faut y croire, c’est cela qui nous fait tenir. Il faut se battre, agir, se syndiquer, faire grève quand on peut, même si avec le salaire que nous avons ce n’est pas évident. On a obtenu le CDI, la prime de fonction, la prime Rep+ et on ne va pas s’arrêter là. » confient-elles.
La loi sur l’école inclusive.
En 2005, une loi pour « l’égalité des droits et des chances » voit le jour et décide de la scolarisation des élèves en situation de handicap dans une école qui se veut inclusive pour ceux que l’on appelait auparavant les « attardés », les « arriérés », les « handicapés ». Le nombre d’élèves concernés est passé alors de 134 000 il y a vingt ans à plus de 436 000 à la rentrée de septembre 2023, selon la Ministre chargée des Personnes âgées et des personnes Handicapées. Les enseignant·es accueillent donc dans leurs classes des élèves dits « à besoins éducatifs particuliers » qui englobent une population très diversifiée – handicaps physiques, sensoriels, mentaux, grandes difficultés d’apprentissage ou d’adaptation… des situations par ailleurs sans commune mesure entre elles, regroupées sous un même intitulé.
Leur scolarisation, si elle est une évidence, a toujours posé un problème de prise en charge tant les moyens mis en œuvre n’ont jamais été à la hauteur des besoins sur le plan quantitatif, mais aussi sur le plan institutionnel et humain. La situation matérielle et morale des personnels concernés (enseignants et personnels accompagnants) a toujours été et reste problématique. Et évidemment, en conséquence, les enfants et leur famille en pâtissent aussi.
La réalité de l’inclusion scolaire
Elle est tout d’abord l’expression d’un progrès : des dizaines voire des centaines de milliers d’enfants en situation de handicap qui auparavant étaient « placés » sont aujourd’hui accueillis dans les classes et ont ainsi accès à une socialisation par le biais de l’école et à une culture commune. Cela représente une évolution majeure. Mais les moyens mis en œuvre pour permettre cette inclusion ne sont pas à la hauteur des attentes pour être bénéfique à tous les enfants.
Dans de nombreuses classes, la promesse d’une telle scolarité reste vaine et entraîne des difficultés majeures tant pour les élèves que pour les personnels enseignants et d’accompagnement. Cela peut se traduire parfois par des atteintes à leur santé morale ou physique, ainsi que par un traumatisme chez le/les élèves concernés. Confrontés à des difficultés éprouvantes pour lesquelles ils ne sont pas soutenus, ces personnels peuvent se trouver en difficulté quand l’institution semble vouloir faire peser sur eux la responsabilité des problèmes rencontrées.
Pour un des derniers épisodes du podcast « Docs sur l’éduc » et de l’article associé, je me penche sur la situation des AESH qui sont le maillon fondamental de l’inclusion de ces élèves qui ne peuvent suivre seuls leur scolarité.
Quelques chiffres
Avec l’augmentation des enfants scolarisés, le nombre d’accompagnant•es a également augmenté (+ 42 % depuis 2017). Elles étaient environ 136 000 à la rentrée 2023. Ces personnels sont en grande majorité des femmes (96%), elles ont entre 40 et 50 ans en moyenne et n’en sont pas à leur première expérience professionnelle. 84 % du corps possède au moins le baccalauréat.
L’ensemble des accompagnant·es est en situation de précarité. 80 % des AESH occupent des emplois en contrat à durée déterminée (CDD), 98 % sont à temps partiel imposé (24 ou 32 heures selon qu’elles travaillent dans le premier ou second degré), qu’elles soient en CDD ou en CDI. Depuis 2022, un CDI peut être proposé aux AESH ayant exercé de trois à six ans en CDD. Cette disposition, si elle est une avancée par rapport aux emplois à durée déterminée ne règle pas la question de la précarité. Elle ne permet pas d’accéder au statut de fonctionnaire bien que les missions officiellement définies sont des missions pérennes (accès aux apprentissages, aide aux gestes de la vie quotidienne, prise de médicaments, gestes techniques spécifiques, activités péri-scolaires).
Sabine et Sheynesse comme beaucoup d’autres, ont fait leur première entrée dans le métier par le biais de contrats aidés financés par les Conseils Généraux, les CUI (Contrats unique d’insertion). « C’était une situation d’urgence, il fallait recruter, recruter sans formation, sans condition de diplôme. Nous nous sommes retrouvées dans une classe confrontée à des situations très difficiles et nous nous sommes accrochées. Notre activité professionnelle s’est interrompue deux ans après faute de financement de l’État. Deux ans plus tard nous avons basculé sur des contrats Éducation Nationale, avec un CDD d’un an pour commencer. Maintenant il faut avoir le bac, et nous sommes recrutées pour trois ans, ensuite l’académie propose un CDI à temps partiel ».
Cette disposition nouvelle ne permet pas l’obtention d’un salaire décent. Le salaire mensuel d’un•e AESH varie (pour un temps de travail de 24 heures/semaine) entre 895 € et 1101 € net par mois, auquel il faut rajouter une prime de 62 € mensuels nets. Ce qui signifie que ces personnels souvent des femmes cheffes de famille, se situent en dessous du seuil de pauvreté.
« En 2019, j’ai commencé à 800 €, Je (Sheynesse NDLR) suis au deuxième échelon et je gagne maintenant 1160 € primes comprises. (Sabine est au 3ème échelon gagne 1200 €, il y a sur toute la carrière 11 échelons, soit une progression globale de 200 € NDLR). Notre prime Rep+ n’est que partielle alors que nous sommes au contact des enfants tout autant que les enseignant•es. C’est injuste. On est même gênées de parler de nos salaires à nos proches.
Nous avons honte, c’est dégradant. Tous les jours je calcule, je consulte mon compte bancaire. La plupart d’entre nous a un deuxième travail pour pouvoir vivre décemment (Sabine).
Notre contrat inclus 36 semaines de travail en présence d’élèves et 5 semaines connexes à rendre hors accompagnement. Ce temps peut être décompté sur des activités de type réunion, accompagnement entre midi et deux, sorties scolaires, bien que ce soit dans ce cas devant élèves ».
Sabine travaille depuis 2016 dans une école primaire du 13ème arrondissement en classe ULIS TFC (Unité Locale d’Inclusion Scolaire – Troubles des Fonctions Cognitives). Elle a en charge deux enfants trisomiques qu’elle accompagne pendant 12 heures par semaine chacun. Elle peut aussi suivre des élèves ne relevant pas du handicap comme ceux qui ne maitrise pas la langue française par exemple.
« Nous accompagnons des élèves en très grande difficulté, notre rôle premier est de faire accepter les règles de vie en classe. Avec l’enseignante nous soignons les conditions matérielles d’accueil, pour que l’enfant se sente en sécurité […] Nous ne sommes pas du tout dans une démarche d’apprentissage de la lecture ou de l’écriture, nous restons dans le celui du comportement. Je suis quand même arrivée à leur faire apprendre les couleurs. Au fur et à mesure ils reconnaissent les lettres. »
Sheynesse travaille dans le 15ème arrondissement depuis 2019 dans une classe ULIS TSA (Troubles du Spectre Autistique). Elle s’occupe de tous les enfants de la classe (huit élèves cette année) selon un planning hebdomadaire. Avec sa collège professeure des écoles, elle, cherche à créer un cadre propice à une mise au travail avec l’instauration d’un rituel rassurant. Elles évitent que ces élèves qui ne supportent pas le bruit, le tumulte, l’agitation soit le moins possible en contact avec les autres élèves de l’école (horaires de rentrée et de sortie, temps de récréation et de pause repas distincts).
« Travailler en ULIS TSA est un choix a priori compte tenu des difficultés et des spécificités des tâches. […] Il est impossible de scolariser ces élèves dans des classes ordinaires. […] Nous sommes obligées de répéter les choses. Tout au long de l’année par exemple nous allons travailler sur la date et le jour […] Travailler harmonieusement avec une enseignante, c’est très important pour nous et pour les élèves. C’est ce qui se passe dans mon cas. […] Dans les autres classes (hors ULIS) c’est tout à fait différent. À cet endroit là, le travail de l’AESH est de reformuler, expliquer ce que vient de dire l’enseignante, ce qu’elle attend. Aider et inciter à lire, parfois à écrire, c’est un processus d’apprentissage des fondamentaux ».
Le pôle inclusif d’accompagnement localisé (PIAL) ou comment gérer la pénurie de personnel ?
Depuis 2022, le PIAL est un regroupement d’établissements ou d’écoles avec un pilote qui répartit les AESH au sein du pôle selon les demandes. Elles peuvent exercer dans tout le secteur ainsi défini. Deux ans après sa mise en application, les objectifs fixés (répondre aux besoins des élèves, professionnaliser les accompagnant•es, améliorer leurs conditions de travail) ne sont pas atteints. Au contraire les élèves ont été mis en concurrence et n’ont plus le suivi personnalisé qu’ils pouvaient attendre. Les conditions d’exercice du métier se sont dégradées, obligeant les personnels à se déplacer en permanence d’un site à l’autre tout au long de l’année.
«La mise en place PIAL a été une véritable catastrophe. Auparavant chaque élève avait le nombre d’heures définies par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Depuis, les AESH courent d’une école à l’autre et les enfants sont perdus, ils n’ont plus la prise en charge attendue et peuvent changer d’accompagnant•e ce qui est très déstabilisant pour eux. L’enfant peut aussi se retrouver tout seul dans sa classe. En fait on peut se retrouver un jour ici , un autre là, on peut t’appeler le matin même pour changer d’école. C’est le coordinateur PIAL qui prend la décision » dit Sheynesse.
Quelles perspectives pour l’école inclusive et les personnels qui la font vivre ?
L’histoire de la prise en charge des enfants en situation de handicap a évolué tout au long du 20ème siècle pour arriver à l’évidence de l’école inclusive. Mais le processus n’est pas terminé, nombre d’enfants ne sont pas encore pris en charge, les listes d’attente sont trop longues, la scolarisation ne se fait pas dans de bonnes conditions, les enfants et leurs familles sont en souffrance comme le sont aussi les personnels faute de reconnaissance. Seule une politique déterminée qui remettrait l’éducation au cœur des priorités publiques permettrait d’atteindre les objectifs que partagent tous les personnels : une école émancipatrice socialement et culturellement, une égalité des droits pour les personnes handicapées, une pleine participation à la vie citoyenne et sociale.
« Le CDI a représenté une grosse avancée mais ce n’est pas suffisant aussi bien pour nos salaires, que pour nos statuts. 24 heures de travail par semaine, cela devrait correspondre à un temps plein. Il y a beaucoup de démissions dans notre métier. Pourquoi ne sommesnous pas fonctionnaires ? Pourquoi n’existerait)il pas un corps des AESH comme il en existe un pour les enseignant·es. Nous sommes pourtant indispensables ».
Toutes les deux : « On y croit pourtant, il faut y croire, c’est cela qui nous fait tenir. Il faut se battre, agir, se syndiquer, faire grève quand on peut même si avec le salaire que nous avons ce n’est pas évident. On a obtenu le CDI, la prime de fonction, la prime Rep+ et on ne va pas s’arrêter là. »
Le podcast « Docs sur l’Éduc » a consacré deux épisodes sur le sujet des AESH.
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Alain Barlatier
barlalain@gmail.com