Corinne Pierotti, conseillère pédagogique départementale EPS dans l’académie de Paris, a participé à la rédaction de l’ouvrage collectif « La cour d’école. Un enjeu pour le bien-être des élèves » publié par les éditions Canopé. On y apprend, entre autres, que la cour d’école est un haut lieu de socialisation, mais aussi d’apprentissages. Langage, mathématiques, sciences… sont aussi abordés dans le temps informel d’échanges entre élèves que représente le moment de la récréation. Tout est une histoire d’aménagement. Elle répond aux questions du Café pédagogique.
La cour de récréation un lieu stratégique en matière de socialisation des élèves?
La cour doit être envisagée tout d’abord comme un espace de liberté pour le corps et l’esprit, une parenthèse régénératrice, un moment de détente, de décompression, permettant le bruit et le mouvement des corps.
Elle est le premier espace public partagé que les enfants rencontrent sans leurs parents, et dans lequel l’enseignant ou l’animateur réduit le plus souvent son action à de la surveillance et à la régulation de conflits, même s’il peut parfois proposer des activités et être actif dans l’animation de la cour.
La cour de récréation est le lieu d’une culture enfantine où se construisent des relations entre pairs sans l’intervention systématique de l’adulte à travers des règles sociales, où se créent des routines ludiques, des transmissions de savoir-faire enfantins. Julie Delalande, chercheuse au Cirnef, explique que les enfants apprennent à vivre ensemble dans la cour de l’école en développant des relations amicales, en résolvant des conflits entre pairs. Les élèves se fixent des règles et des conduites à tenir qui reposent sur des notions de sociabilité dont les codes évoluent et s’adaptent pour réussir à vivre ensemble le mieux possible en groupe.
En matière d’apprentissages aussi ?
Au travers des différents jeux et des relations qui se tissent entre eux, les enfants vont apprendre les uns des autres, des savoirs vont se transmettre d’enfant à enfant, de groupe en groupe, des plus grands aux plus petits. Le jeu libre va permettre la découverte, le développement de l’imaginaire, de l’autonomie, de l’initiative. Dans le jeu structuré, l’enfant va devoir apprendre à s’organiser et construire des stratégies, il y a moins de place au hasard. L’aménagement de la cour aura comme ambition notamment de répondre aux différentes formes de jeu.
Le jeu constitue un appui efficace et pertinent pour poser les fondations sur lesquelles s’appuieront ultérieurement d’autres apprentissages tels que les mathématiques, le langage, l’EPS, les sciences…
Pratiquer quotidiennement librement des jeux d’exploration, symboliques, de construction et à règles, favorise le bon développement physiologique, neurologique, psycho-socio-affectif et cognitif de l’enfant. Il appartient à l’adulte d’aménager alors la cour d’école dans la perspective de favoriser les échanges et donc les apprentissages des élèves tout en préservant cette liberté de corps et d’esprit.
L’enfant va interagir avec son environnement matériel et social en explorant. Il s’approprie cet environnement, notamment les objets et leurs propriétés, les végétaux, les structures motrices, au travers de l’ensemble de ses perceptions sensorielles. L’enfant découvre et entraîne son pouvoir à agir sur les choses et sur ses proches et se confronte aux réactions qu’il suscite : il apprend.
Les jeux de « faire-semblant » – jeux d’imitation – vont favoriser le langage via une grande communication, l’imaginaire, les interactions entre pairs.
Les jeux de construction développent les capacités créatrices de l’enfant et contribuent à construire une identité individuelle et au sein du groupe.
À travers les jeux à règles, l’enfant apprend à adapter ses conduites sociales et à mettre en œuvre des stratégies au service de projets ou d’objectifs. Il y développe ses capacités réflexives dans l’analyse de ce qu’il a fait et dans l’anticipation de ce qu’il envisage de faire.
À travers les jeux moteurs variés, l’enfant va construire les grands patrons moteurs de base que sont les locomotions – les déplacements, les équilibres – les attitudes stabilisées, et les manipulations, projections et réceptions. Tous les jeux moteurs contribueront efficacement à la construction du schéma corporel de l’enfant.
Comment faire pour que la violence qui s’y exerce parfois soit jugulée ?
Il est bien évidemment nécessaire de prévenir et sensibiliser aux signes de violence tous les élèves, tous les adultes de la communauté éducative – enseignants, animateurs, éducateurs – et les parents. On travaillera sur le respect de l’autre et de soi, sur la gestion des émotions et sur le développement de l’empathie avec les élèves, on formera et informa les adultes aux gestes et postures adéquats face aux violences et à leurs signes. On développera les compétences psychosociales par un travail régulier en classe.
L’aménagement de la cour va aussi avoir une grande incidence sur les comportements violents des enfants ou les conflits. En effet, il est souvent observé que, dans une cour sans aménagement, ce sont les corps et les vêtements qui sont support de jeux, et les conflits, voire les dérives de harcèlement, ne sont alors jamais très loin. En aménageant la cour de l’école avec une grande diversité d’espaces délimités, les enfants vont être amenés à pratiquer une multitude d’activités choisies librement. Ils vont ainsi se détourner des jeux violents que l’on pourrait observer dans des cours non aménagées. On sait aussi que végétaliser la cour est un moyen d’apaiser les tensions et favorise un climat serein.
Cet aménagement, c’est ce que vous nommez « une cour ludique » ?
En effet, une cour ludique est une cour aménagée afin que, dans le jeu libre, les élèves puissent s’exercer aux jeux d’exploration, aux jeux symboliques, aux jeux de construction, aux jeux à règles et aux jeux d’activités physiques. Cela va permettre aux élèves de se développer de façon harmonieuse tant d’un point de vue physiologique, neurologique, psycho-socio-affectif, cognitif et moteur. Des espaces de jeux délimités qui donnent envie d’être investis sont le gage d’un mieux vivre la cour de l’école.
Comment arriver à un cette cour ludique ?
Cela implique l’investissement de tous, des enseignants, des animateurs, des éducateurs, des personnels communaux, des parents et des élèves. Les thèmes de la mixité, de l’inclusion, de la prise de risque, des jeux violents, des conflits pourront être abordés en classe avec les élèves, en salle des adultes avec les enseignants et les animateurs, en réunion avec les parents. Les aménagements seront pensés avec la commune.
Les enseignants devront envisager la cour à la fois comme un espace de récréation, mais aussi comme un espace à part entière d’enseignement – activité physique, sciences, maths, arts, langage et débat. Les élèves s’approprieront cette cour, quels que soient leur âge et leur genre, d’autant mieux qu’elle sera un lieu connu dans tous ses recoins et où les espaces d’activités y seront facilement identifiés.
Cela permettra de proposer facilement des temps de jeux libres conséquents dont la richesse sera d’autant plus importante que les élèves auront à leur disposition quantité de matériaux à explorer.
Bien évidemment, il s’agira aussi de faire respecter le règlement de la cour de récréation, construit avec les élèves, partagé et validé par l’ensemble des adultes de l’école, en veillant à appliquer les mêmes règles et sanctions, quels que soient les temps de l’enfant.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
La cour d’école. Un enjeu pour le bien-être des élèves. Éditions Canopé.