La rentrée et l’automne 2023 ont été le théâtre d’actualités tragiquement violentes au sein du système éducatif, recontextualisant le métier de professeur au-delà de la simple transmission des savoirs. Ces problématiques vives et transverses comme par exemple le harcèlement, la violence scolaire ou encore les tensions relatives à la laïcité, sont depuis peu, finalement, au cœur de la formation initiale des futurs enseignants que nous accueillons. Combinant les exigences de formation et cette triste actualité de rentrée 2024, les responsables de formation des master MEEF (pour Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) de l’université Paris-Saclay (Sites d’Orsay et Versailles Saint-Quentin en Yvelines) ont décidé de mettre sur pied une journée d’étude relative aux violences scolaires. Yann Imine, responsable du Pôle Paris-Saclay de formation des enseignants pour l’INSPE de Versailles, en propose un compte-rendu.
Une journée d’étude
Depuis 3 années désormais, nous organisons une journée d’étude à destination des futurs professeurs de notre site universitaire. Les master MEEF articulent à la fois des compétences universitaires et des compétences professionnelles. En ce sens, la journée d’étude proposée aux étudiants de master 1 croise le regard d’experts universitaires et d’experts « de terrain ». C’est ainsi que près de 130 étudiants issus de parcours et disciplines différents (1er et 2nd degrés, SVT, EPS, Anglais, Physique-Chimie) ont pu assister à des conférences sur les tensions religieuses en milieu scolaire – par un professeur des universités chargé de mission laïcité, et sur l’actualité des violences scolaires – par des hauts fonctionnaires – DGESCO. Pour Louise (M1 MEEF 2nd degré EPS), « les conférences nous ont éclairées sur l’ensemble des instances de l’éducation nationale permettant de signaler et de gérer les différentes situations de violence et nous a permis de comprendre que nous ne serons pas seuls face à ces violences ! ». Ce que reprend Soumeya (M1 MEEF 2nd degré SVT) : « Nous avons eu des informations précises sur les chaines de signalement, sur les personnes à contacter ou prévenir en cas de situation compliquée. »
Ces conférences permettent de mettre en lumière des travaux de recherche récents questionnant le type de violence, leurs récurrences, leurs gestions ou encore leurs perceptions par les professeurs et les élèves. Elles sont complétées par des ateliers en plus petits groupes. Ceux-ci sont animés par des personnels reconnus pour leur expertise dans ce domaine : membres du centre académique d’aide aux écoles et établissements, personnels de direction ou directeur d’école en éducation prioritaire, conseillers pédagogiques du 1er degré ou encore professeurs de collège lycée formés à la prévention des violences scolaires.
Ainsi, ligne directrice de la journée est double : proposer aux étudiants un contenu ambitieux par des experts de la question et les mobiliser pour les rendre producteurs de leur connaissance.
Expertise, regards croisés et activité de l’étudiant
Si l’on se plonge plus particulièrement dans ces ateliers, nous souhaitions faire vivre aux étudiants une tranche de vie « à l’école ». D’une part, les groupes d’étudiants ont mêlé les différentes disciplines. Cette forme de groupement est suffisamment rare en formation initiale pour être soulignée ; alors même que cela sera leur quotidien d’établissement à moyen terme. La situation déclenchante est un récit d’expérience en stage relatif à une situation de violence vécue par l’étudiant. Cela peut recouvrir des violences physiques, psychologiques, d’élèves entre eux, des cas de cyberharcèlement… La diversité des situations prend tout son sens pour explorer l’étendue de la thématique abordée lors de cette journée. Les étudiants produisent, sur cette base, un poster (cf. ci-contre pour exemple) proposant des pistes de remédiations, de prévention, réelles ou envisagées. Après exposition de ces posters, cela amène des débats pour lesquels les experts de « terrain » requestionnent les étudiants, les guident et leurs proposent des solutions auxquelles ils n’ont pas nécessairement pensé. Les scénarios sont envisagés à l’échelle de la classe et à l’échelle de l’école ou de l’établissement, tenant compte de la qualité des intervenants. C’est ainsi que les étudiants ont pu découvrir le dispositif pHARE, la méthode de la préoccupation partagée ou la notion de justice restauratrive, l’existence de personnels ressources en dehors de l’établissement (CAAEE par exemple)… Les experts ont pu s’appuyer sur leur parcours personnel mais aussi ont pu exposer des circuits de prise en charge des cas de violence qui leur semblaient opportuns dans le contexte ou encore décaler le regard des étudiants de la simple sanction vers une prise en charge plus préventive et constructive. En somme, les notions de violence scolaire ou de harcèlement scolaire ont vite laissé place aux questions de restauration de la confiance envers l’école, de bien-être à l’école ou encore de climat scolaire propice aux apprentissages.
C’est ce que pointe Léa (Master 1 MEEF 1) : « Les activités de cette après-midi ont véritablement enrichi notre compréhension des différentes situations de violence. Ce fut un moment de partage, de cohésion et d’écoute. Le mélange des filières de professeurs a été très stimulant. » ou encore Louise « échanger avec les étudiants d’autres disciplines a été enrichissant : ils ont vécu des situations différentes de celles qu’on a vécu en stage, ce qui permet d’augmenter nos connaissances. »
De façon plus large à l’échelle de la formation, c’est aussi important d’impliquer des professionnels au sein de cette journée. Cela s’explique par leur niveau d’expertise qui permet d’opérationnaliser de façon concrète et utile des éléments académiques d’une part, et par l’aspect finalement professionnalisant de ces masters. Finalement c’est ce que verbalise Camille (M1 MEEF 1er degré) : « Cette journée (…) a commencé par une partie théorique avec une conférence sur la violence à l’école. (…). La deuxième partie de la journée a été pour moi plus concrète et cela m’a davantage captivé. Le fait de prendre des situations vécues pour argumenter, réfléchir aux solutions, aux conséquences et à la manière de gérer ce genre de situation était particulièrement instructif. »
Un pas vers le concours et la salle des profs
Alors même que le métier d’enseignant est en pleine mutation avec une réforme du recrutement des professeurs à venir de façon imminente, cette journée est malgré tout un pas de plus vers les épreuves d’admission et finalement… l’école, le collège ou le lycée.
En effet, qu’il s’agisse du CRPE, du CAPEPS ou des CAPES, le jury apprécie les compétences du candidat au travers de deux mises en situation professionnelle, l’une d’enseignement, la seconde en lien avec la vie scolaire. Sont visitées notamment les valeurs de la République, dont la laïcité, et les exigences du service public (droits et obligations du fonctionnaire dont la neutralité, lutte contre les discriminations et stéréotypes, promotion de l’égalité, notamment entre les filles et les garçons, etc.). En ce sens, il est évident que les situations liées aux violences scolaires sous toutes leurs formes peuvent être une toile de fond utile à cet oral. Sur la forme, la méthodologie de présentation du poster permet aussi d’engager le futur candidat dans une démarche réflexive, première brique de réponse qu’il pourrait fournir à moyen terme lors de ses futures épreuves.
Néanmoins, pour voir à des horizons plus lointains, si la journée d’étude a « reflété la réalité du terrain et mis en lumière le fléau de la violence à l’école de nos jours » (Léa, Master MEEF 1er degré), elle sensibilise nos étudiants à des problématiques transverses qui traversent nos enseignants au-delà de leur discipline sur la voie d’un professeur « éducateur responsable et selon des principes éthiques » (compétences professionnelles, BO 2013).
Yann Imine