Jean-François Thémines, professeur des universités en géographie à l’INSPE de Caen signe un livre avec ses étudiantes de master MEEF, « Les écoles, leurs professeurs et le territoire ». Alors qu’une nouvelle réforme de la formation initiale des enseignants et enseignantes se profile à la prochaine rentrée, cet ouvrage témoigne de la dimension essentielle du travail de recherche des étudiant·es de master MEEF. « En ces temps de nouvelle réforme où le mot recherche a disparu des premiers cadrages des futurs masters, ce n’est pas inutile de rappeler l’importance de la professionnalisation par la recherche » explique le chercheur. Il répond aux questions du Café pédagogique.
Vous publiez le livre « Les écoles, leurs professeurs et le territoire », co-écrit avec vos étudiantes de master MEEF. C’est assez original, pourquoi cette démarche?
Cette démarche répond à deux objectifs. Le premier est de valoriser le travail de recherche d’étudiantes en master MEEF, travail peu mis en avant alors que la professionnalisation dans les masters MEEF se construit aussi par ce moyen. En ces temps de nouvelle réforme où le mot recherche a disparu des premiers cadrages des futurs masters, ce n’est pas inutile de rappeler l’importance de la professionnalisation par la recherche. Mais ce n’était pas prémédité. Le second objectif a été de rendre à ces étudiantes ce qu’elles avaient donné. Lorsque j’ai proposé l’atelier de recherche « Les professeurs, les écoles et le territoire », c’était avec l’idée que les étudiantes pourraient valoriser au mieux leurs stages, mais je n’étais pas bien sûr que cela prenne. Or, elles ont pleinement investi le cadrage de l’atelier et réalisé de beaux mémoires. Au moment des soutenances, je me suis dit et je leur ai dit que cela ne peut pas rester comme cela, à l’état dormant en quelque sorte. Les étudiantes auteures sont donc, par leur engagement, à l’origine de cet ouvrage.
Vous utilisez comme méthodologie la monographie d’école. Qu’est-ce donc?
Plutôt que « la », c’est « une » monographie d’école possible parmi d’autres. Il s’agit d’une collecte organisée de matériau de nature diverse – observations, documentation, entretiens – réalisée à partir du terrain de stage : une école, resituée dans les espaces de vie ou les territoires de ses acteurs – professeurs, élèves, parents d’élèves, élus. Chaque étudiante y entre avec un thème qui l’intéresse. Cela peut être la co-éducation, cela peut-être la dimension collective du travail enseignant, etc. La mise en série des monographies, école après école, couplée à la lecture de travaux de recherche, soutient une problématisation qui se consolide au début du M2. J’impose l’approche monographique pour cultiver l’art de la description qui est aussi celui de l’interrogation – pourquoi est-ce comme cela plutôt qu’autrement, l’attention aux petites choses qui conduisent sur des pistes nouvelles, le croisement des points de vue. La monographie, c’est donc à la fois un moyen de collecte de matériaux et leur analyse réfléchie au prisme d’une problématique qui s’affirme progressivement.
Quel est l’intérêt de cette méthodologie dans cette recherche ?
J’y vois trois intérêts. Un premier concerne la représentation de la recherche. La monographie permet de travailler la représentation dominante chez nos étudiantes d’une recherche nécessairement quantitative, conduite avec des questionnaires standard et gommant toute subjectivité du chercheur. Or, en sciences sociales, c’est l’implication personnelle et concrète du chercheur débutant ou non qui lui permet de construire un regard pour une analyse fine des situations : les chapitres dont les étudiantes sont les auteures sont écrits à la première personne du singulier. Un deuxième intérêt, plus professionnel, c’est qu’elle constitue une formation à l’observation, essentielle dans l’exercice du métier. Un troisième intérêt, c’est l’attention portée à la singularité des situations locales qui permet de déboucher sur des combinaisons de facteurs explicatifs des variations observées d’une école à une autre. Chaque chapitre de l’ouvrage se termine par ce type de résultats.
En quoi une telle connaissance du territoire est-elle importante pour les enseignants ?
Il s’agit d’une connaissance du territoire au sens d’espace de vie des habitants que les politiques éducatives et pas seulement scolaires structurent de façon inégale ou en tout cas de telle sorte que les enfants ne sont pas placés sur un pied d’égalité dans l’accès aux ressources éducatives dans et en dehors des écoles. C’est particulièrement le cas, au vu des monographies, pour le numérique, pour les activités physiques et sportives et pour les activités culturelles. L’important pour l’enseignante ou l’enseignant, c’est de se donner les moyens de diagnostiquer ces inégalités et de partager ce diagnostic. Ce type d’analyse est le prélude en général à des formes d’action, dans la mesure des possibilités des équipes et du soutien qu’elles trouvent dans leur hiérarchie, chez les élus et dans les familles. L’autre aspect important, c’est justement l’identification par les enseignantes et enseignants de ressources locales sur lesquelles s’appuyer, de manière à faire dialoguer des formes de savoir qui s’éclairent et se légitiment par la complémentarité de leurs éclairages. Par exemple entre savoirs experts des milieux locaux et de leurs changements tout à fait perceptibles par différentes catégories de professionnels – je pense aux agriculteurs et agricultrices et leurs enfants dans des écoles rurales du Calvados – et savoirs plus formalisés sur le changement climatique et ses effets. C’est un exemple parmi beaucoup d’autres possibles.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda