Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce troisième épisode, il s’attarde sur la licence professionnelle, « un hub en construction ».
Le baccalauréat professionnel avait été proposé, en 1985, dans un rapport s’efforçant de préciser ce que devraient être les éléments d’une « Stratégie convergente du système éducatif et des entreprises ». Un rapport qui aurait connu le sort de beaucoup d’autres s’il n’y avait pas eu Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Éducation nationale, qui en a été à l’origine et qui, ensuite, l’a pris à son compte. L’introduction du baccalauréat professionnel a constitué, au-delà de son « impact » économique – avec aujourd’hui plus de quatre millions de bacheliers professionnels en activité, un fait de société. Nous y reviendrons.
La création du baccalauréat professionnel s’inscrit comme une étape dans l’élaboration d’une voie professionnelle complète, dont la construction s’est poursuivie, de façon explicite, en 1999, avec l’introduction de la licence professionnelle, créée par un arrêté du 17 novembre 1999 signé de Claude Allègre, alors ministre de l’Éducation nationale. Les premières licences professionnelles ont été mises en place, dès la rentrée 2000 – 2001, par Jean-Luc Mélenchon, nommé, le 27 mars 2000, comme ministre délégué à l’enseignement professionnel. Il agissait d’adapter les formations professionnelles supérieures courtes au modèle LMD, ou 3-5-8, qui apportait une architecture européenne commune à la licence (L), au master (M) et au doctorat (D). Et pour cela, il avait été choisi, non de remodeler les DUT ou BTS existants, pour porter leur préparation de deux à trois années mais, plus simplement, et plus rapidement, de leur ajouter une année supplémentaire, conduisant alors jusqu’à la licence professionnelle une partie – mais une partie seulement – des étudiants déjà titulaires d’un DUT ou d’un BTS, ou encore de ceux ayant validé les deux premières années de la licence générale. Ainsi, ne serait-ce que pour un temps, une licence d’un nouveau genre, réduite à sa troisième année.
La licence professionnelle, telle qu’elle apparait aujourd’hui, avec ses 50 000 diplômés, constitue un véritable hub, même s’il est encore dans un état stabilisé. Elle se caractérise par :
- Son public formé de bacheliers de toute nature: les bacheliers généraux sont les plus nombreux à l’obtenir – environ 50% – suivis des bacheliers technologiques – 35 % -, puis, pour 15 %, des bacheliers professionnels, encore peu présents.
- Ses étudiants de toutes origines, un peu plus de 50 % détenant un BTS et 30 % un DUT. En dépit de la possibilité offerte aux étudiants, à la suite des deux premières années de la licence générale, d’effectuer une troisième année dans le cadre de la préparation d’une licence professionnelle, seulement 5 % des licenciés professionnels relèvent de cette catégorie.
- Sa formation en alternance, avec ses différentes formes, sous statut d’étudiant avec 12 à 16 semaines de stages en entreprises, mais plus encore pour ceux placés sous statut d’apprenti. Avec, pour tous, une pédagogie de projet. Les formations en CFA y prennent la plus grande part : 68 % des 50 000 diplômés le sont en tant qu’apprenti ou sous contrat de professionnalisation.
- Son diplôme accessible par des voies multiples, en formation initiale à temps plein, par la formation continue, à distance, ou encore au titre de la validation de l’expérience professionnelle. Ainsi, parmi ces 50 000 diplômés, 12 500 le sont au titre de la formation continue et 800 au titre de la validation des acquis de l’expérience (VAE) : certes un petit nombre, mais néanmoins le plus important des diplômes de l’enseignement supérieur acquis par la VAE.
- Sa capacité à conduire à un emploi dans le secteur d’emploi correspondant au secteur de formation et avec la possibilité d’accéder rapidement à un statut de cadre : le taux d’insertion professionnelle des diplômés, 30 mois après leur diplôme acquis en 2019, était ainsi de 95 % dont 84 % sur des emplois stables, 98 % à temps plein, et 78 % en tant que cadre.
A un niveau stable pendant ses vingt premières années, à hauteur de 50 000 diplômes par an, la croissance du nombre de licences délivrées est désormais « à deux chiffres », sachant que si le terme licence professionnelle n’est pas toujours celui qui, administrativement, convient, il s’agit bien de cela, une fois acquise l’augmentation de deux à trois années de la durée de formation, comme pour le secteur paramédical, avec ses diplômes d’infirmier, de psychomotricien, d’ergothérapeute. Mais aussi pour les diplômes du secteur social, avec les diplômes d’éducateur spécialisé, d’éducateur de jeunes enfants, d’assistant social…Ou encore, au ministère de la culture, avec le diplôme d’études en architecture ou le diplôme national d’arts plastique.
On notera également que sous l’intitulé « équivalent » de bachelor, elle est désormais la norme de formations délivrées dans la plupart des Écoles de commerce, en étant présente jusqu’à HEC ou à Sciences Po. De nombreuses écoles d’ingénieurs ont également ouvert des formations à ce niveau, à l’exemple de l’ENSAM ou encore de CentraleSupélec. Avec, pour ces écoles, une évaluation effectuée par la Commission des titres d’ingénieur (CTI).
La transformation du DUT- 2 ans, avec ses 50 000 diplômes annuels, en Bachelor universitaire de technologie, le BUT- 3 ans, devrait encore faire croître, dès la fin de cette année scolaire, de quelques dizaines de milliers le nombre de titulaires de ce diplôme, le BUT ne constituant en effet que l’intitulé attribué à la licence professionnelle dès lors qu’elle est préparée en IUT. Une forte croissance attendue, même si 30 % des licences professionnelles étaient antérieurement attribuées à des titulaires d’un DUT, et même si les sortants du BTS y trouvent aujourd’hui moins leur place.
D’autres chantiers s’ouvrent aujourd’hui, notamment celui visant à une licence préparatoire au professorat des écoles, qui ne serait de fait, rien d’autre qu’une licence professionnelle, pour autant, notamment, que la part réservée aux périodes de formation, en situation, dans les classes, y soit suffisante.
À court terme, le nombre de licences, ou de « diplômes » équivalents, devrait ainsi dépasser celui, 120 000, des licences générales. On peut s’en réjouir, tout en regrettant que cette montée en charge se soit effectuée, pour une part, hors de tout contrôle qualitatif, notamment dans le cadre de l’enseignement supérieur lucratif. Il est nécessaire d’y mettre rapidement de l’ordre.
Mais dans ce tableau, une grande absente : l’Université. Pourtant celle-ci est bien un haut-lieu de formation professionnelle. De tous temps elle a, par exemple, formé les médecins, les juristes ou encore les enseignants. Mais elle s’est peu investie dans le champ des formations supérieures professionnelles courtes, et notamment dans celui de la licence professionnelle, sauf – et modestement – par ses IUT. Les Universités ont eu la possibilité réglementaire d’en mettre en place, mais rares sont celles qui se sont engagées dans cette voie.
Il importe qu’elles soient encouragées à ouvrir des licences professionnelles – 3 ans, à destination, – en priorité- des bacheliers généraux souhaitant s’engager dans une formation professionnelle supérieure courte, mais refoulés, du fait de la politique de quotas, des STS comme des IUT. Il y va aussi de l’image de nos Universités, et de leur intégration dans leur environnement économique et social.
Les Campus des métiers et des qualifications constituent eux-mêmes, à leur manière des hubs où coexistent formation initiale et continue, formations par la voie scolaire ou en apprentissage, enseignements secondaires et supérieurs, avec des plateformes technologiques communes. Leur objet est bien également de contribuer au développement économique territorial. Il pourrait leur être confié le soin de mettre en place ces premières licences professionnelles « universitaires » – 3 ans.
Comme l’a écrit, dans le Monde du 10 mars 2024, Jean-Luc Dubois-Randé, président de l’Université Paris-Est-Créteil : « L’essor de la formation par apprentissage, le développement de la formation continue, la co-construction de formations professionnelles avec notamment les petites ou les moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, les plates-formes de recherche ouvertes à l’industrie, les chaires universitaires – souvent cocréées et soutenues par du mécénat privé – répondant aux enjeux contemporains, et bien d’autres dispositifs, sont autant de vecteurs d’interactions fructueuses entre les universités et les acteurs socio-économiques ». La licence professionnelle a toute sa place dans ce contexte. Apparier les mots licence et professionnel, et considérer la licence professionnelle comme équivalent, de plein droit, à une licence générale, demande là encore un changement de regard sur les métiers et sur les compétences qu’ils impliquent. Et aussi un autre regard sur ceux qui les exercent.
La création du baccalauréat professionnel avait résulté, pour une large part, de ce qu’elle apparaissait comme un moyen de contribuer à la réduction du déficit du commerce extérieur de la France – 6 milliards d’euros à l’époque, en 1985 – un déficit attribué alors à l’insuffisance du niveau de compétences professionnelles des actifs. Le baccalauréat professionnel devient alors le diplôme professionnel de base, devant le CAP, et notre commerce extérieur se retrouve en position excédentaire au bout de quelques années, au début des années 2000, le baccalauréat professionnel ayant ainsi apporté – modestement – sa contribution. Le déficit de notre balance commerciale – depuis 2004, est aujourd’hui d’un ordre de grandeur supérieur à ce qu’il était en 1985, notamment en raison d’une lente dégradation de notre compétitivité. Voisin de 60 milliards d’euros, il provient, pour 80 milliards d’euros, des biens de consommation, 80 milliards non compensés par l’excédent de 20 milliards d’euros des services. Si l’enseignement professionnel devait véritablement être traité comme une « grande cause nationale », comme l’avait annoncé le Président de la République au début de son second mandat, et notamment dans la perspective de la réindustrialisation de notre pays et de la réduction de ses déficits, le développement de la licence professionnelle aurait sans doute dû en constituer une pièce essentielle, alors que n’ont été mises en avant que des mesures de caractère au mieux incrémentiel, et surtout limitées à l’enseignement secondaire. Est-il trop tard ?
A suivre…
Daniel Bloch