Depuis trois ans, des professeurs du 1er et du 2nd degrés du réseau d’éducation prioritaire renforcée J. Baker au Mans participent à une recherche collaborative avec l’enseignant-chercheur S. Connac. À l’origine de la démarche : une volonté de renforcer la liaison inter-degrés, d’harmoniser les pratiques pour faciliter le passage de l’école au collège et d’améliorer l’engagement des élèves dans les apprentissages. Une problématique a vite émergé au sein du collectif de professionnels : comment susciter la participation de tous les élèves ? Les pratiques coopératives peuvent-elles y contribuer ? Des enseignant.es volontaires ont ouvert la porte de leur classe pour l’étude de dispositifs coopératifs : le travail en groupe et la DVDP (discussion à visées démocratique et philosophique) aux cycles 3 et 4 en français, sciences physiques, mathématiques, technologie, EPS ou encore éducation musicale… Des données ont été collectées puis analysées, c’est la synthèse de ces observations et des entretiens avec les élèves que nous livrons ici, en axant notre regard sur le climat de classe. Nous en sommes venus à tenter de répondre à une question plus précise : quelles précautions pour susciter la mise au travail, l’engagement des élèves et créer une ambiance de groupe propice aux apprentissages ?
Confiance en l’enseignant·e
La manière dont l’enseignant prévoit ses activités et les présente aux élèves est déterminante. Quels que soient les dispositifs didactiques et pédagogiques retenus, il apparaît que l’explicitation des attendus en début de séance donne du sens au travail en leur évitant de tomber dans plusieurs pièges. Les élèves expriment alors du plaisir et évoquent la dimension agréable de cette phase réflexive. La clarté des attendus de la séance leur permet de s’inscrire dans le projet pensé par le professeur et de mieux s’engager dans les apprentissages visés.
L’explicitation des consignes de travail vise également à réduire les malentendus : confondre la tâche à effectuer et l’activité d’apprentissage. Les élèves entrent ainsi dans une posture de secondarisation : ils distinguent mieux les temps d’entraînement de ceux d’évaluation, identifient plus clairement les liens entre les consignes qui leur sont proposées et les possibles acquisitions attendues.
Dans le cadre d’une DVDP, cela consiste à expliquer les mots de la discussion, à montrer un exemple de fonctionnement démocratique ou de débat réalisé entre élèves : ces modèles rassurent et permettent à la classe de comprendre comment réaliser la tâche.
En prolongement de ces modalités, il nous est également apparu important, dans un débat, d’introduire une fonction d’observation sur la base du volontariat pour favoriser l’activité réflexive de la classe. Tout comme s’autoriser à intervenir pour encourager les exigences intellectuelles et donner un avis d’adulte au sein d’une communauté d’adolescents. Pour autant, il est intéressant, en DVDP, de confier l’animation de la discussion à des élèves volontaires, et par rotation, afin que tous se sentent capables d’assumer cette fonction.
Dans le but de réduire le rythme des échanges et d’aider les élèves à rester accrochés au sujet, l’animateur doit aussi cadrer les idées partagées. Il restreint ainsi les digressions et veille à ce que la discussion respecte un tour de parole équilibré. L’introduction de reformulateurs, de synthétiseurs et d’un rédacteur de carte heuristique favorise également l’implication des élèves. En parallèle, l’enseignant met en place des outils de suivi individuel des participations.
Dans le cadre du travail en groupe, nous avons observé que l’enseignant a besoin d’ouvrir des libertés aux élèves quant aux modalités de travail : seul ou avec d’autres. La coopération se choisit.
En optant pour un tirage au sort aléatoire pour la constitution de ses groupes, et en expliquant cette modalité, le professeur favorise l’acceptation et la mixité dans les groupes. D’ailleurs, les élèves ne contestent pas ce choix et ne changent pas la composition du groupe dans lequel ils sont affectés, « par respect pour le prof ».
Il semble plus facile pour eux d’accepter de s’en remettre au hasard qu’à un choix conscient de groupe par l’enseignant. À ce sujet, ils soulignent d’ailleurs aussi l’importance de la ritualisation des organisations de cours. Enfin, pour l’activité, tous les groupes ont les mêmes consignes et le même matériel de travail, mais ils savent qu’il n’est pas obligatoire de donner son avis. En d’autres termes, ils peuvent aussi travailler seuls au sein du groupe.
En conclusion, la présentation des objectifs, l’explicitation des consignes et des règles en début de séance, et le fait de respecter pendant la séance ce qui a été annoncé, renforcent la confiance de l’élève envers l’enseignant·e.
Confiance en l’autre
Les élèves soulignent l’importance des exercices ritualisés de début de cours, notamment pour celles et ceux qui n’ont pas pu faire leurs devoirs, et pour se souvenir de ce qui a été travaillé lors du cours précédent.
Le travail en groupe, lui, donne la possibilité à chacun de s’exprimer mais avant de s’engager, il faut avoir réfléchi par soi-même. C’est pourquoi un temps de travail individuel est apparu indispensable avant chaque mise en groupe.
Équilibrer les temps individuels (début et fin de cours), les temps coopératifs (pour la confrontation des avis) et les temps collectifs (pour la socialisation et la structuration des savoirs) est déterminant au sein d’une séance.
Le travail en groupe est surtout utile en pédagogie pour développer la confrontation, valoriser la diversité des avis, susciter des désaccords (d’abord au niveau du groupe, puis au niveau de la classe) afin d’aboutir à de l’incertitude (du conflit cognitif). L’enseignant a donc tout à fait intérêt à encourager les élèves à ne pas être d’accord au sein du groupe en les autorisant, au final, à choisir plusieurs options, possibilités ou réponses à la situation-problème qui leur est posée.
Concernant les intérêts à travailler avec d’autres (plutôt que seul ou avec l’enseignant collectivement), les élèves interrogés soulignent plusieurs avantages. Du point de vue de la socialité, le travail en groupe ou en équipe favorise la communication. Chacun donne ses idées, les aides sont plus fréquentes, ils apprennent à travailler avec d’autres et se soutiennent en vue de la présentation collective finale. Du point de vue de la cohésion de la classe, ils insistent sur le fait que cette modalité de travail aide à mieux se connaître, lutte contre l’isolement de certains élèves et peut même créer des liens. Le groupe donne à chacun la possibilité de s’exprimer tout en prenant connaissance de l’avis des autres, de la façon dont se forment les avis différents.
Le travail en groupe est également un temps d’appropriation de la consigne : mieux la comprendre, mieux la réexpliquer, donner des exemples et partager des idées. Il favorise à la fois la réflexion individuelle et les échanges. Les élèves plus réservés ou à besoins éducatifs particuliers (un élève allophone, par exemple) peuvent se sentir plus intégrés. Certains ont même la conviction de pouvoir enrichir leur production à partir des avis différents des autres, que ce partage d’idées différentes leur permet de s’améliorer : « Les avis des autres aident à changer ses idées ». « Faut parfois se mettre en groupe pour ne pas rester seul parce qu’en échangeant on peut avancer dans le travail ».
D’autres reconnaissent que le travail en groupe permet « d’avoir plus de cerveaux » mais sont gênés par le fait de ne pas parvenir à se mettre d’accord. Cela les amène à « ne pas savoir quoi mettre et à chercher une autre solution ». Pour ceux-là, le travail en groupe servirait alors à vérifier ses idées avec celles des autres mais sans comprendre l’utilité des désaccords dans le processus d’apprentissage.
Confiance en soi
Concernant le temps de travail individuel qui précède un travail en groupe, les élèves expliquent profiter de ce moment pour réfléchir, mieux se concentrer, imaginer une réponse aux problèmes et envisager différentes possibilités. Ce temps individuel semble donc participer au développement de la responsabilité et de l’engagement de chacun dans les apprentissages. Ce travail préalable leur permet de se préparer à donner un avis et, surtout, à « trouver les avis de soi-même ». Sans cette phase individuelle de réflexion, ils disent qu’« il peut y avoir des influences qui empêchent de penser ».
Les élèves semblent tirer des bénéfices et profiter des habitudes qui se construisent au sein des séances coopératives, notamment dans la prise de parole, l’affirmation réflexive de soi et l’acceptation de l’incertitude. Ils semblent sereins et confiants dans la relation pédagogique et les relations coopératives. Ils apprécient le rappel des règles sur le cadre, notamment pour que la parole circule et soit sécurisée. Ils aiment aussi que la classe soit calme parce que « c’est plus simple pour se concentrer que quand des élèves ne font que parler ». Ils expliquent que ce calme est lié à une autorité stricte, par l’intermédiaire de sanction donnée par l’enseignant en cas de problème. Ils estiment essentiel que ces sanctions ne soient pas trop nombreuses. En d’autres termes, le recours à des sanctions, s’il est juste et mesuré, contribue à l’autorité de l’enseignant.
L’instauration de ce cadre sécurise le jeune en lui permettant de prendre la parole plus spontanément et, ainsi, de renforcer sa confiance en lui.
Dès lors, organise-t-on de la coopération en classe pour aider les élèves à apprendre plus facilement ou pour les conduire à apprendre à vivre et travailler avec d’autres ?
Au terme de ces trois années d’action-recherche, il semble acquis que l’enseignant a intérêt de construire un espace démocratique « hors menace » dans lequel les élèves n’ont pas peur de prendre le risque de donner leur avis, de se tromper et de s’écouter.
Des élèves qui ont l’habitude de travailler ainsi respectent mieux la parole des autres, développent un sentiment de bien-être réciproque et plébiscitent les échanges coopératifs. Autrement dit, ils sont pleinement engagés dans un travail d’apprentissage.
Les pédagogies coopératives telles que le travail en groupe et la discussion à visées démocratique et philosophique, réduisent les peurs de moquerie et de jugement. Les élèves se sentent en confiance au sein d’une communauté de confidentialité et d’exigence.
Sophie Rousseau-Grousson & Gurvan Crombez