Le Tour de France des écoles s’est achevé sous la pluie parisienne, mercredi 29 mai. Après trois semaines d’un périple qui les a menés aux quatre coins de la métropole, les cyclistes, représentants syndicaux de la FSU-SNUipp du Nord, débarquent avec un cahier des solutions. Pas un cahier des charges, même si les doléances qu’ils ont collectées sont conséquentes, mais un cahier des solutions pour montrer que des solutions existent, qu’il suffit juste d’écouter la profession…
« Nous souhaitions une action qui sorte du commun, une action qui visibilise les difficultés rencontrées par les collègues sur le terrain », explique Pauline Mahé, responsable syndicale de la FSU du Nord. « Il nous fallait partir du terrain, de l’école, des collègues pour montrer ce dont a besoin l’école ». C’est à Roubaix qu’est née l’initiative du Tour de France des écoles en 2022. « Nous étions à un rassemblement et on s’est dit qu’on voulait pédaler pour l’école ». Contre le gouvernement « autoritariste » aux mesures « hors sol », la responsable syndicale oppose une vision émancipatrice portée par les professeur·es dans les territoires.
Un cahier des solutions : être force de propositions
Partis de Roubaix le 13 mai, les élus syndicaux ont pédalé pendant trois semaines. L’occasion pour eux de « faire valoir l’école publique et les mandats de la FSU-SNUipp ». « Nous avons parlé avec tous les collègues dans les villages, dans les villes… Nous avons un cahier des solutions à présenter à la ministre afin qu’elle mette en place des mesures en lien avec le terrain et non déconnectées des besoins ». « On ressent une forme d’enthousiasme à porter des choses positives et à être force de propositions ».
Si la FSU-SNUipp est à l’initiative de l’action, les départements d’Île-de-France se sont aussi largement mobilisés. « Le métier n’est plus attractif, ce n’est plus à démontrer », nous dit Daphné Pacitti, secrétaire départementale du syndicat des Hauts-de-Seine. « Chaque année est pire que la précédente. Le nombre de postes vacants ne cesse d’augmenter. En cette fin mai, malgré le recrutement de contractuels, il reste encore des postes vacants sur notre département ». Si le métier n’attire plus au niveau national, voire mondial, les difficultés liées aux conditions de vie en Île-de-France n’aide pas, souligne la jeune femme. « Le prix du logement explose, la valorisation salariale est loin de compenser l’inflation. Les droits des personnels sont brimés. Dans notre département, les collègues ont de moins en moins le droit au temps partiel et ne peuvent quitter notre territoire qu’après de longues années. Tout cela participe au manque d’attractivité ». Et la tendance n’est pas prête de s’inverser, alerte-t-elle, « l’année scolaire prochaine va être catastrophique. Le nombre d’admissibles par poste est inférieur à 1. L’École et les personnels sont à bout de souffle, le mal-être de plus en plus profond ».
Pour Bastien Deschamps, secrétaire départemental des Yvelines, « la seule réponse du ministère, c’est le choc des savoirs, une formule toute faite pour masquer la réalité de l’école publique ». Il révèle que dans son département, 3 000 élèves n’ont pas classe chaque jour faute de remplaçants. Quant aux dédoublements, si le gouvernement affiche 12 élèves par classe, la réalité c’est plutôt 15 ou 16 – « souvent réunis dans une même salle de classe ». Le responsable syndical convoque les résultats de la Depp qui ne montrent pas d’amélioration pérenne des apprentissages en lecture de ce dispositif. « La vraie question, c’est le nombre d’élèves par classe de façon durable », explique-t-il. « Les 600 postes consacrés au dispositif dans les Yveline permettraient de faire baisser les effectifs à 18 élèves dans toutes les classes ». Si les textes prévoient des temps de formation et de concertation dédiés en éducation prioritaire, faute de remplaçants, ces temps ont rarement lieu, dénonce Bastien Deschamps. « L’ éducation prioritaire n’ a de prioritaire que le nom ». « L’école a besoin d’un choc des moyens et non d’un choc des savoirs sans moyens ».
600 classes sans école par jour dans le 93, 200 à Paris
Caroline Marchand est co-secrétaire départementale de la FSU-SNUipp. Le département fait parlé de lui depuis maintenant plus de trois mois. « C’était très important pour nous de participer à ce Tour de France », dit-elle. « Le 93 concentre toutes les difficultés que rencontre l’école, c’est une loupe ». Preuves à l’appui. La pénurie d’enseignant·es, c’est loin d’être nouveau pour ce territoire. Malgré les trois concours prévus – les concours classiques, le supplémentaire et celui dédié aux contractuels, cette année sur 2290 places, il n’y a que 1794 candidats admissibles. À combien s’élèvera le nombre d’admis ? Si le recours à des enseignant·es contractuel·les est relativement récent dans l’histoire de l’école primaire, le 93 fait là encore figure d’exception. « Depuis 2008, notre département fait appel à des personnels non formés. Aujourd’hui, sur les 9 000 contractuels du premier degré au niveau national, 1 000 exercent chez nous. Et cela ne suffit pas, les embauches reprennent pour la prochaine rentrée ». « L’objectif du ministère pas un enseignant formé dans chaque classe, mais bien un adulte dans chaque classe. L’enseignement est un métier qui s’apprend, et pas lors d’un stage qui dure au mieux quatre jours ».
Autre grosse difficulté : le manque d’enseignant·es remplacant·es. Dans ce département, un élève perd une année sur toute sa scolaire faute de remplacement. Cette année, dans le 1er degré, plus de 600 classes par jour sont non remplacées. « C’est une catastrophe, même la ministre l’a reconnu », raconte la responsable syndicale qui rappelle qu’une journée de mobilisation est organisée le 11 juin – la ministre devrait recevoir l’intersyndicale à cette date.
Si dans la capitale, le problème de remplacement ne concerne pas 600 classes par jour, c’est tout de même 200 classes qui se retrouvent sans enseignant·e tous les jours. L’année prochaine ne risque pas de mieux se dérouler : 125 postes sont supprimés. « L’École publique est à un point de rupture, comme partout, mais aussi, ici à Paris où il y aura 350 fermetures de classe à la rentrée », déclare Léa de Boisseuil, co-secrétaire départementale. « La baisse démographique, c’est une réalité. Mais on aurait pu décider que cette baisse permettrait d’améliorer les conditions d’apprentissage. On sait que la taille des classes est un levier important de la réussite des élèves ». La responsable syndicale alerte aussi sur une spécificité de la capitale, la concurrence enseignement public/privé. « La scolarisation dans le privé est de plus en plus forte. Si l’école publique perd chaque année des milliers d’élèves dans le public, elle ne baisse pas dans le privé. La ségrégation est extrêmement forte, surtout dans certains quartiers ».
« Toutes ces revendications rejoignent celles entendues lors des différentes étapes du tour de France », conclut Guislaine David, porte-parole de la FSU-SNUipp. « L’école n’a pas besoin d’un choc des savoirs, elle a besoin d’un choc des moyens : abaissement effectif par classe pour mieux accompagner les élèves, revalorisation salariale, création d’un statut pour les AESH, des moyens dédiés à l’école inclusive… ».
Lilia Ben Hamouda