Samedi 25 mai, l’Observatoire des Zones Prioritaires (OZP) consacrait une matinée à l’école maternelle. Quatre heures de discussions autour de cette école à part, cette spécificité française. Qui mieux que Viviane Bouysse, inspectrice générale de l’éducation nationale honoraire, pour l’organiser ? Membre du conseil scientifique de l’association dédiée à l’éducation prioritaire, la grande spécialiste de l’école maternelle a introduit la matinée en rappelant l’enjeu de l’école, en éducation prioritaire particulièrement : faire que les écarts entre enfants ne deviennent pas des inégalités par le biais des apprentissages à l’école.
« L’école maternelle accueille des enfants jeunes. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le premier accueil en milieu collectif », rappelle Viviane Bouysse qui coordonne la matinée organisée par l’OZP. « Ils ont vécu les influences d’une socialisation familiale avec ses caractéristiques, langue, culture, socialisation ouverte ou non… Ces défis sont ceux de l’école maternelle en général, mais en éducation prioritaire, on a une concentration d’enfants qui ont généralement des caractéristiques assez proches ». Selon la spécialiste faire en sorte que les inégalités de départs – les écarts entre les enfants – ne se transforment pas en inégalité par le biais des apprentissages à l’école est fondamental. Si la matinée abordait la question de la maternelle en éducation prioritaire, les projets de programme de français et mathématiques étaient au centre des présentations.
Bascule de la mission première de l’école maternelle
Christophe Joigneaux, chercheur spécialiste de la maternelle, s’est attaché à décrypter les projets de programmes en français. Pour le chercheur, si ces projets sont dans la continuité des programmes précédents, on retrouve les mêmes évolutions, mais plus affirmées. « La scolarisation de l’école maternelle est de plus en plus affirmée. Pour la première fois, on parle de la discipline scolaire de « français ». Avant, on parlait plutôt de langage. On parle aussi de la grammaire pour la première fois ». La première référence aux mathématiques comme discipline dans des programmes de maternelle, c’était en 2021, rappelle-t-il. « Il y a une montée incessante de la mission historique de la maternelle, la mission propédeutique (préparer la réussite des apprentissages) en CP particulièrement, mais après aussi ». Le chercheur explique que ces projets sont centrés sur la préparation de la lecture avec le décodage. « C’est une bascule. Cette mission est première à l’exclusion de l’autre grande mission, le respect du développement et du rythme d’apprentissage de l’enfant ». Il relève aussi le nombre d’occurrences des mots enfants et élèves, 9 occurrences du mot enfant contre 53 du mot élève. « C’est assez significatif ».
L’école maternelle est de plus en plus positionnée comme la première école du cursus scolaire avec une perte de son identité curriculaire selon Christian Joigneaux qui note la disparition du jeu libre et le fait que les coins jeux ne peuvent plus être fréquentés librement. « En gros, il faut se concentrer sur les compétences fondamentales, prédictives de la réussite en français. Peu de place est laissée à la spontanéité de l’enfant… »
Le spécialiste relève aussi des « repères temporels très précis dans ces projets ». « Si cela peut répondre à des demandes d’enseignants par rapport aux derniers programmes où il n’y avait que des attendus de fin de cycle, cela laisse beaucoup moins de liberté, surtout celle de s’adapter aux rythmes des élèves – on peut aller trop vite pour certains et accroitre les inégalités ». Du côté des contenus, il les estime « très chargés et très prescriptifs ». « Comment adapter avec tout cet empilement ? Comment s’y prend l’enseignant pour caser tout ça ? Toutes les conditions sont réunies pour que les nouveaux programmes accroissent la défiance des enseignants vis-à-vis de l’institution ».
« Les fondamentaux, sont-ils vraiment fondamentaux ? », questionne Christophe Joigneaux. « Ces projets montrent que l’on n’a pas appris du passé. En particulier des programmes de 2008 où il y avait un découpage très fort. Ça permet de mieux réussir au début CP mais pas au début du CE2. Ce qui était considéré comme prédicteur de la réussir, ne l’était qu’à court terme ».
Les mathématiques : les apprentissages numériques
Jacques Douaire, formateur à la retraite et membre de la célèbre équipe Ermel, a centré sa présentation sur ce que devrait être l’enseignement des « mathématiques » à l’école maternelle. « L’ approche par les apprentissages numérique est un enjeu fondamental. Il est important de prendre en compte l’état de connaissance des élèves et que les élèves aient eux même la possibilité de comprendre les enjeux des apprentissages », explique-t-il. Pour l’ancien enseignant, la résolution de problème est centrale. Pas étonnant pour l’un des instigateurs de la méthode Ermel qui on le rappelle est basée sur un « enseignement sous la forme d’enchainements de situations dont la résolution permet de construire, de consolider ou de réinvestir les connaissances mathématiques ». « Un problème, c’est quand les élèves doivent élaborer une stratégie de réponse. Il existe des multitudes de sortes de problèmes : ceux qui permettent de stabiliser la connaissance des nombres, la découverte du nombre comme mémoire de la quantité, de la position et ceux qui contribuent à l’approche du calcul. Les problèmes permettent d’apprendre à l’élève à chercher. Dans les projets de programmes, on évoque les problèmes additifs – avec la recherche de l’état final, des problèmes de transformation, de recherche de l’état initial, de recherche du tout, de recherche d’une partie… Donc des procédures différentes. Derrière cette diversité de problèmes, il y a une hiérarchie de procédures ».
La TPS, un véritable levier de réussite si les conditions de la scolarité sont suffisantes
Blandine Tissier, ancienne IEN qui a piloté la mission maternelle dans son département a présenté les enjeux de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, qui malgré les annonces présidentielles semble loin d’être une priorité. « La scolarisation en toute petite section favorise le développement de la socialisation et du langage de sorte que les enfants qui y sont scolarisés aient toutes les chances de réussir leurs apprentissages ». La jeune retraitée rappelle d’ailleurs qu’en 1881, l’école maternelle avait été créée pour les enfants de 2 à 6 ans.
« Les élèves accueillis en TPS disposent de quinze jours d’adaptation, avec la présence dégressive de leurs parents et un temps de scolarisation de l’enfant progressif. Le projet de la classe est centré sur le développement du langage oral. Tous les adultes présents doivent être mobilisés, car l’enfant apprend à parler avec des interactions individuelles. Ça ne doit pas être de l’improvisation, il faut des scénarios pensés par l’enseignant·es pour ancrer le langage – lexique et syntaxe ». « La scolarisation des moins de 3 ans est un véritable levier de réussite si les conditions de la scolarité sont suffisantes », conclut-elle.
Mireille Brigaudiot, chercheuse spécialiste du langage, a présenté une recherche en cours dans une TPS de Rep+. Selon elle, les jeux symboliques sont extrêmement importants. Elle en distingue trois types allant des jeux spontanés aux jeux scénarisés. « Le langage concerne toute la vie, il est plein d’affect et d’abstractions. Il n’est pas évaluable, il est invisible, il ne se quantifie pas», a-t-elle ajouté, lançant une pique au Conseil supérieur des programmes. « Les enfants n’entrent pas dans le langage en répétant le vocabulaire ni en répétant l’articulation d’un mot. Plus on aura d’objectifs en langue, plus on entrera dans les apprentissages langagiers. Ils ont besoin d’un adulte qui les aime et qui leur dit ‘’bravo ce que tu as fait intellectuellement est magnifique’’ ».
Dédoublement en GS
Deux enseignantes – et formatrices, ont présenté la classe de grande section dédoublée qu’elles partagent. « Il y a deux classes de GS dédoublées dans l’école. On travaille toutes les trois – la collègue est une ancienne formatrice. Notre emploi du temps est organisé par domaines. Les deux classes sont aussi réunies en grands groupes sur certains domaines : l’EPS, l’école du dehors. On est aussi adeptes de l’échange de service et du travail en petits groupes – des groupes de besoins. L’une gère que la compréhension, l’autre la phonologie et la dernière les mathématiques. Les dédoublements nous ont permis de faire vivre plus le travail collectif ». Et si elles tirent un bilan positif du dispositif, elles s’interrogent. « Nos élèves sont extrêmement performants. N’avons-nous pas trop primarisé le niveau ? ».
Récemment, Nicole Belloubet indiquait envisager une réforme de la carte de l’éducation prioritaire en 2025. « On demande à être associé, nous avons des propositions, surtout avec la dernière publication des IPS », a indiqué Marc Douaire, président de l’association.
Lilia ben Hamouda