Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce premier épisode, il expose les « éléments d’un nécessaire état des lieux ». « Si l’on peut se réjouir de ce que 50 % de la génération obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que ce n’était que 20 % il y a 40 ans, on ne peut glisser sous le tapis ces 150 000 bacheliers ayant poursuivi des études, sans en tirer autant de profit qu’ils pouvaient en attendre », écrit-il.
Revisiter l’enseignement professionnel supérieur court
Daniel Bloch, père du bac professionnel et ancien recteur, propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique une série d’articles sur l’enseignement professionnel. Dans ce premier épisode, il expose les « éléments d’un nécessaire état des lieux ». « Si l’on peut se réjouir de ce que 50 % de la génération obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que ce n’était que 20 % il y a 40 ans, on ne peut glisser sous le tapis ces 150 000 bacheliers ayant poursuivi des études, sans en tirer autant de profit qu’ils pouvaient en attendre », écrit-il.
Nous formations technologiques et professionnelles supérieures courtes ont besoin d’une réforme qui leur permette de contribuer plus efficacement au développement de notre économie, et plus particulièrement à sa réindustrialisation, mais tout autant d’une réforme qui conduise à une prise en charge davantage individualisée des bacheliers, dans leur diversité, tant leur diversité est aujourd’hui bien mal prise en compte. Cette diversité s’est, année après année, considérablement accrue sans pour autant que les conséquences en aient été tirées autant qu’il eût fallu. Les sections de techniciens supérieurs (STS) ont été créées en 1959, alors que n’existait pas encore de baccalauréat technologique. À la mise en place, en 1966, des Instituts universitaires de technologie (IUT) n’existait pas encore le baccalauréat professionnel. La licence professionnelle, créée en 1999, avec une durée de préparation alors limitée à une année – essentiellement post STS ou post-IUT – ne concernait pas, de la sorte, les bacheliers de l’année. Depuis 2021, cette licence professionnelle peut être préparée en trois années, à l’image des licences générales, mais les Universités, qui ne connaissent guère d’autres bacheliers que les bacheliers généraux ne se sont emparées qu’à la marge de ce champ qui leur était grand ouvert.
Ces trois dispositifs présentent deux caractéristiques communes : un recrutement sélectif, et non restreint à un type particulier de baccalauréat, même si une politique de quota a été initiée en 2013, visant à rééquilibrer les flux de bacheliers généraux et technologiques à l’entrée en IUT, au profit des bacheliers technologiques, et entre les bacheliers technologiques et professionnels à l’entrée en STS, au profit des bacheliers professionnels. Une fois admis, ces diverses catégories de bacheliers sont soumises aux mêmes programmes de formation, en dépit de leurs profils initiaux fortement différenciés. Ce qui conduit à des redoublements, des abandons en cours de formation, des échecs aux épreuves d’examens. Dévastateurs.
Ainsi, 150 000 bacheliers ayant entrepris des études supérieures en sortent sans diplôme supplémentaire. Qu’en est-il plus précisément ? La proportion de jeunes bacheliers atteint 80 % de chaque génération : deux fois plus qu’il y a 40 ans. 370 000 sont des bacheliers généraux, 170 000 des bacheliers professionnels et 130 000 des bacheliers technologiques. Un peu plus de quatre bacheliers sur cinq – 550 000 sur 670 000 – entreprennent désormais des études supérieures, mais 400 000 seulement en sortent avec un diplôme, souvent au prix de réorientations. Si l’on peut se réjouir de ce que 50 % de la génération obtiennent un diplôme de l’enseignement supérieur, alors que ce n’était que 20 % il y a 40 ans, on ne peut glisser sous le tapis ces 150 000 bacheliers ayant poursuivi des études, sans en tirer autant de profit qu’ils pouvaient en attendre.
Côté licence tout d’abord : les bacheliers généraux de loin, qui sont les plus nombreux, échouent pour moitié d’entre eux à l’obtenir, que ce soit en trois ou quatre ans. Les quatre cinquièmes des bacheliers technologiques n’y réussissent pas davantage. Les bacheliers professionnels, pour 92 % de ceux qui s’y inscrivent, échouent, même si une poignée d’entre eux seulement s’engage dans cette voie. Une licence coûte de la sorte deux fois plus cher à l’État que ce à quoi elle reviendrait, sans ces « pertes en ligne ». Est-ce acceptable ?
Les parcours conduisant, en deux ans au DUT et au BTS sont moins parsemés d’embuches, mais leur « efficacité » est loin d’être optimale. Les taux d’échec varient ici encore, de façon considérable selon le type de baccalauréat de ceux qui s’y inscrivent. Au DUT, où les bacheliers professionnels sont ici encore pratiquement absents, le taux d’échec, pour une scolarité parcourue en deux ou trois ans, est faible pour les bacheliers généraux, pour lesquels il est voisin de 14 %. Mais il atteint 37 % pour les bacheliers technologiques. Or ceux-ci sont désormais presque aussi nombreux en IUT que les bacheliers généraux. Au BTS, les taux d’échec atteignent 21 % pour les bacheliers généraux, 32 % pour les bacheliers technologiques et même 53 % pour les bacheliers professionnels, désormais plus nombreux à le préparer que ne sont les bacheliers technologiques, antérieurement dominants. De ces échecs résultent, ici encore, non seulement des coûts cachés pour chacun de ces diplômes et des manques à gagner pour la compétitivité de notre économie. Mais aussi de considérables coûts sociaux.
Une part essentielle de ces dysfonctionnements résulte de la rupture de continuité pédagogique entre les formations secondaires et supérieures. Parcoursup ne suffit pas à l’assurer. Faut-il, en conséquence, amplifier le degré de spécialisation du recrutement des diverses catégories de bacheliers aux formations professionnelles courtes supérieures conduisant au BTS, comme au BUT (qui succède au DUT) ou à une licence professionnelle complète – en trois ans -, afin de mieux les adapter aux spécificités des bacheliers professionnels, technologiques et généraux, et en conduire en plus grand nombre jusqu’à un diplôme ? La question peut légitimement être posée.
De très loin le principal diplôme de l’enseignement professionnel supérieur court est le BTS. Mais le niveau de compétences à atteindre, et attesté par ce diplôme doit être lui aussi questionné à la lumière de l’accès – détérioré – à l’emploi de ceux qui le détiennent. Le BTS actuel ne conduit non seulement que difficilement ses titulaires non à un emploi, et plus particulièrement pour les titulaires d’un BTS relevant des services. Ainsi moins de la moitié des diplômés accède à un emploi du niveau auquel ils auraient pu prétendre, celui de cadre intermédiaire. Les catégories socioprofessionnelles des titulaires d’un BTS sortis depuis un à quatre ans de formation initiale relèvent, pour le tiers d’entre eux du secteur des emplois qualifiés pour lesquels un CAP, en principe, aurait pu suffire, et pour un sur six de la catégorie des emplois non qualifiés, accessibles, toujours en principe, sans le moindre diplôme. Sans compter une surreprésentation du secteur des services, avec plus des deux tiers des diplômés, les plus en difficultés. Peut-on en rester là ?
L’orientation, au-delà du collège, entre les voies générales, technologiques et professionnelles, constitue en partie un processus de distillation fractionnée, à large composante sociologique, un processus irréversible ou presque. Situer l’ensemble des diplômes des formations professionnelles supérieures courtes au niveau de la licence professionnelle – le BTS n’y figure actuellement pas – favoriserait l’émergence de voies professionnelles ou technologiques complètes, de la sortie du collège jusqu’au niveau d’un master à caractère professionnel ou technologique, la licence professionnelle constituant une étape sur le parcours qui y conduit. Sa mise en place exigerait une action coordonnée des départements ministériels en charge des enseignements secondaires et supérieurs. Tel est loin d’être le cas. Peut-on se satisfaire de ce que cette montée en compétences du BTS – indispensable à notre économie – soit, de ce fait, aujourd’hui impossible à concrétiser ?
Pourtant, une telle transformation contribuerait également, de façon efficace, à la remise en marche de l’ascenseur social, à rompre un plafond de verre. Les étudiants inscrits en STS sont, en effet, nombreux à être issus de familles relevant de catégories socioprofessionnelles défavorisées. Faciliter leurs poursuites d’études et leurs réussites au sein des enseignements supérieurs serait susceptible de constituer une mesure de promotion sociale presque tout aussi importante que ne l’a été la création du baccalauréat professionnel en 1985, permettant de hisser au niveau du baccalauréat des jeunes auparavant bloqués à l’étage du CAP.
La création du baccalauréat professionnel n’avait pas été demandée par les enseignants. Elle n’avait pas été proposée non plus par les entreprises. Elle reposait essentiellement sur la comparaison du niveau de formation de notre population avec celui de nos principaux concurrents économiques puis d’une décision de nature purement politique assumée par le ministre de l’Époque, en charge tout à la fois des enseignements secondaires et supérieurs, Jean-Pierre Chevènement avec des objectifs non seulement économiques, mais tout autant sociaux, et surtout des objectifs quantifiés, tant pour le secondaire que pour le supérieur. Le Président actuel de la République avait annoncé, ce qui aurait pu constituer le signe d’une démarche volontariste conduite dans le même esprit, à l’aube de son second mandat, qu’il allait traiter l’enseignement professionnel comme une grande cause nationale. À ce jour, guère de résultats probants. Pas plus qu’au cours du quinquennat précédent, marqué par l’échec de la supposée « transformation de l’enseignement professionnel » conduite par Jean-Michel Blanquer. D’où sa reprise en main par le Président de la République. Mais que peut-on en attendre dès lors que les actions mises en avant – discutables – s’inscrivent dans le seul périmètre des enseignements secondaires, alors qu’il eût fallu les situer dans la logique d’une formation professionnelle initiale s’étendant, autant que possible, de « Bac – 3 à Bac + 3 ». Sauf à renvoyer chacun à sa condition.
À suivre…
Daniel Bloch
Derniers ouvrages parus :
Une histoire engagée de l’enseignement professionnel, Presses universitaires de Grenoble, 2022.
Quel avenir pour l’enseignement professionnel. Presses universitaires de Grenoble, 2024.