Tout est parti, ou presque, de la longueur d’un short ! Au collège Coat Mez, collège périurbain en zone rurale et maritime du Finistère, on s’intéressait déjà bien sûr aux questions d’égalité filles/garçons, notamment à travers le prisme de l’orientation. Le confinement avait de plus bousculé les repères et le retour au collège avait été marqué par une augmentation d’incivilités et propos sexistes, dont il avait fallu d’autant plus s’emparer que les élèves, à de très rares exception près, passent entièrement leurs journées dans l’établissement en raison de son implantation géographique. Mais c’est quand cinq adultes, interpellé.es par un parent sur la longueur d’un short, ont constaté leur difficulté à se mettre d’accord, qu’est née l’idée de créer avec, et pour les élèves, un conseil égalité filles/garçons afin qu’un espace de paroles dédié s’empare de toutes ces questions. Répartition de l’espace, toilettes non genrées, tabou des premières règles, partagé par les filles et les garçons – et bien sûr tenues vestimentaires ! – peu à peu les participant.es au conseil prennent conscience des problématiques liées à l’égalité filles/garçons au sein de l’Ecole pour s’en emparer. Christelle Guiader, CPE, une des initiatrices de ce dispositif, témoigne de la manière dont les élèves ont investi celui-ci pour agir concrètement dans leur collège.
Quelles sont les principales caractéristiques du collège de Coat Mez ?
Le collège Coat Mez est un collège périurbain situé en zone rurale et maritime en bordure de la rade, à une vingtaine de kilomètres de Brest. La communauté éducative bénéficie d’un cadre de vie atypique, éloigné du centre de Daoulas et ouvert sur le bois communal qui le jouxte. L’établissement accueille cette année 490 élèves, dont seulement 4 externes. Il compte 254 filles pour 236 garçons, et 4 ou 5 divisions par niveau.
Les élèves sont encadrés par une équipe stable et solidaire de 26 professeurs titulaires de leur poste, à laquelle s’ajoutent une dizaine de professeurs stagiaires ou en postes partagés. La prise en charge est complétée par une équipe d’AESH, AED, un service civique et une CPE.
Les élèves sont issus pour la moitié de milieux favorisés ou très favorisés, pour 30% de catégories moyennes et 20% de milieux défavorisés. Les familles sont attachées à la réussite de leurs enfants, apprécient et accompagnent la dynamique de projet installée au collège : jumelage culturel, actions de prévention, programme du CESCE, actions du CVC auxquels s’ajoute à la rentrée 2023 la formalisation d’un conseil égalité filles/garçons.
En termes de vie scolaire quelles sont les conséquences de cette situation géographique assez atypique de l’établissement ?
Les élèves, presque tous demi-pensionnaires, y sont captifs de 8h40 à 17h10 en raison de leur dépendance aux transports scolaires. La pause méridienne s’étalant sur 2h10, il est impératif de proposer des activités variées aux élèves afin d’éviter l’ennui et les dégradations de comportement qui peuvent s’y associer.
On associe souvent le harcèlement de rue, les remarques sur les tenues, l’invisibilisation dans l’espace subie par les filles… au milieu urbain. Pour ce que vous observez, et ce que vous en disent les élèves, vivre dans un milieu rural protège-t-il les filles de toutes ces formes de sexisme ?
En milieu rural, les filles sont davantage protégées des remarques, en particulier parce qu’elles ne traînent pas dans le village, préférant rester chez elles ou aller chez une copine, alors que les garçons squattent le centre du village, en bandes, acceptant seulement deux types de filles : les « copines » c’est-à-dire en général celles qui font du foot, et les « petites copines ». L’invisibilisation dans l’espace n’est pas à proprement parler subie, la plupart des filles disant que cela ne les intéresse pas de rejoindre ces bandes.
Mais cela tient aussi au fait que les filles ont une beaucoup moins grande mobilité. Un garçon, on le laisse sortir, une fille, moins. Peu d’entre elles disposent de moyens de locomotion alors que les garçons se déplacent beaucoup plus souvent à vélo ou mobylette. Elles sont donc habituées à rester chez elles, pour se retrouver entre elles, et occupent par conséquent beaucoup moins l’espace public. Elles ont d’une certaine manière intégré cette invisibilisation et cette forme d’empêchement dans leurs modes de fonctionnement.
Par contre, lors des évènements festifs, filles et garçons sortent et se mélangent sans problème.
C’est cette présence en continu de la quasi totalité des élèves dans l’établissement, et ces situations de sexisme ordinaire, d’invisibilisation et d’empêchement qui ont rendu particulièrement nécessaire de s’emparer de la question du vivre ensemble ?
Le questionnement sur la question de l’égalité filles/garçons s’est trouvé en fait activé au collège au retour de la période de confinement, qui a bousculé les pratiques d’enseignement et de fonctionnement. Également en raison de l’existence d’une cohorte très masculine et très nombreuse, arrivée au collège à la rentrée 2019 et qui l’a quitté en juin 2023.
Cette période, liée aux conditions d’accueil en mode dégradé, s’est caractérisée par une inflexion du climat scolaire caractérisée par une augmentation des petites incivilités, des propos sexistes, le plus souvent en lien l’usage des réseaux sociaux, des refus d’autorité.
La question des tenues vestimentaires a également fait débat au moment de la recherche de stage, de la préparation de l’oral du DNB et au retour des beaux jours.
Parmi les premières actions déployées dans l’établissement en faveur de l’égalité filles garçons, on trouve des actions comme « Elles bougent pour l’orientation », des « Rencontres avec des professionnel.les » … Pourriez-vous nous présenter quelques-unes d’entre elles ?
Nous avons fait intervenir devant les élèves de 3e des parents d’élèves exerçant des métiers à dominante genrée (une chaudronnière, une chercheuse à Ifremer, une militaire, un aide-soignant en EHPAD, un assistant social, un assistant maternel) : partage de leur vécu, de leur parcours, des éventuelles difficultés à exercer un « métier d’homme » quand on est une femme (« de femme » quand on est un homme) dans un milieu professionnel à majorité genrée.
Les élèves ont pu échanger avec ces personnes, entendre des anecdotes telles que cette maman militaire dans la marine, faisant une pointure 36, et s’étant vu remettre des chaussures de sécurité pointure 40 « on n’a pas plus petit, faudra faire avec ! ». Ou ce papi assistant maternel à qui des parents ont demandé, lors de l’entretien, à quel moment sa femme allait arriver pour pouvoir parler de leur enfant. Ces rencontres ont amené les élèves à s’interroger sur la réalité du monde professionnel pas toujours égalitaire, dans un sens comme dans l’autre.
En septembre 2023, à partir d’une périlleuse question de longueur de short, le collège passe une nouvelle vitesse avec la création d’un « comité d’égalité filles garçons ». Pourriez-vous nous expliquer la genèse de ce groupe, son fonctionnement et ses objectifs ?
Au printemps 2023 des débats ont enflammé la salle des professeurs suite aux journées de formation à la laïcité et au retour des beaux jours. Certains adultes trouvaient certaines tenues féminines indécentes (shorts trop courts, croc-tops), d’autres trouvaient ces réactions excessives, et nous ne parvenions pas à nous mettre d’accord sur les termes de « tenue décente ». Jusqu’à nous retrouver à cinq dans le bureau de la Principale pour une réunion ubuesque, suite à un mail de parent demandant si le short de sa fille était correct, à regarder des photos sur internet et à essayer de nous accorder sans vraiment y parvenir !
Cela a conduit la Principale à envoyer un courrier aux parents d’élèves : en plus de l’alerte concernant une dégradation des comportements, bavardages… elle a ajouté le paragraphe suivant « l’arrivée des beaux jours s’accompagne du retour à des tenues estivales : bermuda, tongs, shorts, croc-tops, débardeurs… Une tenue correcte propice au travail est attendue. Nous nous réservons la possibilité de demander aux familles de nous apporter une tenue appropriée ». Cela a calmé les velléités des adultes qui se sont sentis entendus et soutenus par la Direction. Et les élèves ont remballé tongs et mini-shorts en attente de la plage.
Mais cela a aussi suscité des discussions informelles entre collègues, et entre les élèves et les adultes (parents et/ou personnels du collège).
Avec une collègue de mathématiques, nous avons émis l’idée de formaliser ces discussions en créant un espace de paroles dédié à ces questions. A la rentrée scolaire 2023, nous avons donc lancé la création d’un conseil « égalité F/G » ouvert à tous les élèves de 4e et de 3e pour commencer.
Répartition de l’espace, toilettes non genrées… peu à peu les élèves du comité prennent conscience des problématiques liées à l’égalité filles garçons au sein de l’école, et s’en emparent. Comment tout cela s’est-il mis en place ?
Le manque de toilettes extérieures a amorcé une réflexion pour en arriver à un plan de réfections et de transformations de toutes les toilettes du collège : la décision de monter des toilettes non-genrées a amené les élèves à s’interroger (le conseil filles-garçons s’est emparé du sujet cette année). Les élèves craignaient des dérives, les filles disant que les toilettes seraient sales à cause des garçons, les garçons disant qu’ils ne pourraient pas y avoir accès car elles seraient squattées par les filles devant les miroirs ! Il a donc fallu déconstruire ces représentations stéréotypées et expliciter les côtés positifs de sanitaires mixtes.
Quel regard le comité porte-t-il aujourd’hui sur le chemin parcouru et comment se projette-t-il sur la fin de l’année, voire sur l’année prochaine ?
Pour la fin de l’année, ils ont décidé de faire un sondage sur Pronote, à destination des adultes et des élèves du collège, afin de faire réfléchir tout le monde aux histoires de tenue décente ou pas, et de confronter les stéréotypes des uns et des autres. Ils veulent proposer quelques photos afin de voir quelles tenues sont jugées décentes ou non par les adultes, par les adolescents, et montrer que nous n’avons pas tous les mêmes critères, que ce qui est vu par les adultes comme provocant ne l’est pas forcément par les élèves par exemple.
Ils souhaitent aussi s’intéresser au tabou des menstruations et vont notamment intervenir en classe de 6e avec l’infirmière scolaire pour parler des premières règles et répondre aux questions des élèves.
Les élèves du comité se disent satisfaits d’avoir eu ces échanges et un temps de parole libre sans jugement, ils aimeraient reproduire cette expérience au lycée.
Pour conclure, quel bilan l’équipe éducative tire-t-elle de toute cette dynamique ?
Notre bilan est mitigé : il reste encore beaucoup à faire. Les élèves qui se sont impliqués cette année sont en majorité en 3e, et vont donc partir, il va falloir réussir à renouveler le comité. Et surtout réussir à fédérer davantage d’adultes. Nous sommes motivé(e)s, mais encore trop peu nombreux(ses).
Mais nous avons également fait inscrire l’égalité F/G dans le projet dans le projet d’établissement et au CESCE (comité d’éducation à la citoyenneté et à l’environnement) : c’est une grande satisfaction ! Et nous avons amorcé une réflexion et quelques projets, notamment la confection par le club couture de pochettes de 1er secours menstruels à destination des futur(e)s élèves de 6e, contenant une ou deux serviettes hygiéniques et un petit livret explicatif. Ce kit est destiné aux filles mais aussi aux garçons, l’idée du groupe étant de démystifier les règles, y compris chez les garçons, ne serait-ce que parce qu’ils ont ou auront peut-être des copines, et qu’un jour, a jouté un élève de 3ème, ils seront peut-être aussi papas de filles …
Propos recueillis par Claire Berest