Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, est aujourd’hui coordinatrice ULIS. Elle partage son expérience avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique. Dans cette chronique, elle évoque son projet d’éducation à la pensée critique et aux médias autour de la « platitude de la Terre ».
Ce matin, nous préparons une visite à l’observatoire de Rouen. Nous avons travaillé le système solaire, la Lune, aujourd’hui le soleil. Jeudi, avant de partir, nous réactiverons les différentes planètes de notre coin d’univers et nous évoquerons la question des extraterrestres. Les élèves ont hâte : ils et elles veulent voir. Voir ces planètes dont on leur dit qu’elles sont là mais qui demeurent invisibles à leurs yeux. Voir le soleil de plus près, puisqu’enfin nous aurons le droit de l’observer sans nous brûler les yeux. Le thème « astronomie » s’intègre dans un projet plus vaste, avec une composante esprit critique (apprendre à démontrer, débattre, confronter des points de vue), une composante éducation aux médias et à l’information (sujet de mon mémoire professionnel de CAPPEI) et la composante astronomie. Aller visiter l’observatoire et participer à des ateliers est donc l’aboutissement de tout un parcours qui a bien motivé les élèves.
C’est le questionnement d’élèves, en tout début d’année, qui m’a amenée à travailler l’astronomie. Deux élèves, alors que j’arrivais tout juste dans le dispositif ULIS, échangeaient sur la rotondité de la Terre. La discussion n’avait rien de contradictoire : ils s’accordaient avec enthousiasme sur la platitude de la Terre, un autre semblait circonspect en les écoutant, silencieux. Je suis intervenue dans leurs échanges, pour faire émerger des arguments de leur part. J’avais en tête un des objectifs (que je savais de longue haleine) des programmes des cycles 3 et 4 : développer le jugement. Les deux élèves étaient sûrs d’eux : « La Terre est plate, nous on le sait, ceux qui croient qu’elle est ronde c’est des moutons. La télé et tout, de toute façon ils disent ce qu’ils veulent, on peut jamais savoir si c’est vrai ou pas. » J’avais déjà choisi la problématique du développement de la pensée critique chez des élèves d’ULIS collège comme projet à développer sur le long terme. L’échange auquel je venais d’assister m’a amenée, à ce moment-là, à y ajouter un volet « éducation aux médias » (EMI), pour permettre aux élèves de trouver leurs repères dans l’environnement médiatique.
Quelques jours plus tard, j’avais des ressources sur lesquelles m’appuyer : j’avais étudié un excellent dossier de la fondation « La Main à la Pâte », intitulé « Astronomie et esprit critique », que j’avais adapté, en allégeant le contenu, en le centrant sur l’essentiel et en le structurant pour une lisibilité accrue. La réaction des élèves a été immédiate : « Oui mais qu’est-ce qui nous dit qu’elles ne sont pas truquées, vos photos ? Si ça se trouve c’est des fakes et vous voulez nous faire croire que la Terre est ronde alors qu’elle est plate ». Cela m’avait semblé une réaction logique, assortie d’une question pertinente, d’où l’EMI. Mais en plus mon activité avait fait un flop assez retentissant : ni le contenu ni la forme de mes activités ne convenaient. Alors j’ai repris ma copie, travaillé, changé mon angle d’attaque, trouvé des solutions pour rendre accessible.
Nous voici en mai, donc. Presque une année est passée, à une vitesse fulgurante. Les élèves ne parlent plus de la platitude de la Terre, mais la plupart réussissent à restituer des notions sur les aurores polaires, le plasma, les marées ou les saisons. Plusieurs ne parlent que de la sortie de jeudi ; pas parce que nous sortons du collège, mais parce que c’est un événement pour les élèves d’aller à la rencontre de notre univers. En plus, nous allons enfin rencontrer les élèves du dispositif ULIS de mon mari, avec lesquels nous avons échangé cartes postales, lettres et haïkus. Deux aboutissements d’un coup. Histoire de se penser humains dans un univers qui nous dépasse, mais dont nous savons qu’il nous dépasse.
Claire Lommé