Attendre le Prince charmant, tout en faisant la vaisselle, pour finir réveillée par le baiser d’un inconnu n’est plus un programme qui fait rêver. Pour autant « Faut-il en finir avec les contes de fées ? » se demande Jennifer Tamas, professeuse de littérature française de l’Ancien Régime aux États-Unis, et autrice notamment d’ « Au NON des Femmes ». Le savoureux petit fascicule est publié aux éditions de La Martinière, dans la collection ALT. Ces « courts essais engagés et percutants » prioritairement destinés aux 15-25 ans proposent en une heure de lecture, tête-à-tête avec un·e auteurice, de se forger une opinion documentée sur un sujet précis : le devoir de s’informer, la défense de la cause animale, le pouvoir des algorithmes, les enjeux du féminisme …
Les luttes féministes justement nous ont appris à nous méfier des Cendrillon, Blanche-Neige, Petit Chaperon rouge et autres héroïnes soumises, « prototypes des vertus domestiques » ou « du sous-développement de la conscience » pour reprendre les mots d’Elena Gianini Belotti dans Du Côté des petites filles. Elles ont mis à jour leur pouvoir de suggestion et leur rôle depuis des générations, dans la fabrique des petites filles, et la diffusion des stéréotypes de genre. Le chapitre semblait clos, la cause entendue, la condamnation sans appel.
Sans occulter cette part obscure des contes de fées, qui prive les femmes de leur consentement, et les soumet le plus souvent à l’obéissance, voire à la violence conjugale, Jennifer Tamas propose toutefois de chausser de nouvelles lunettes de lecture pour opérer un double pas de côté.
Premier pas de côté : interroger le sens de ces récits, qu’on a trop souvent verrouillés, figés alors qu’ils sont souvent plus malléables et polysémiques qu’ils n’en ont l’air, et peut-être moins hostiles aux femmes qu’on ne le pense pour certains d’entre eux ; ou parfois simplement les relire pour se rendre compte que si c’est un baiser non consenti qui réveille, en 1959, la Belle au bois dormant chez Walt Disney, chez Perrault, en 1697, « le Prince ne la touche même pas et se contente de s’agenouiller à son chevet dans un signe de respect ».
Second pas de côté : avoir la curiosité de lire d’autres contes que ceux que l’hégémonie du patrimoine masculin a légués, pour découvrir les richesses de la « production littéraire des femmes [qui] au XVIIe siècle se sont spécialisées dans l’écriture des contes de fées », mais ont été cancélisées et oubliées. On découvre alors des héroïnes fort différentes, en voie d’émancipation, comme en 1698 la Finette Cendron de Marie-Catherine D’Aulnoy, puissante incarnation d’une Cendrillon-Petite Poucette « caractérisée par son intelligence et son pouvoir d’action », ou qui apprennent à dire « Non » comme la Belle de Marie-Gabrielle de Villeneuve, autrice en 1740 de la première version littéraire de La Belle et la Bête. On découvre aussi qu’une autrice célèbre du Grand Siècle comme Henriette-Julie de Murat, reprochait déjà aux hommes de mettre en scène des fées seulement bonnes à « balayer la maison, mettre le pot-au-feu, faire la lessive, remuer et endormir les enfants ».
Alors méfions-nous des contes de fées lorsqu’ils sont instrumentalisés au profit d’une socialisation genrée, mais ne nous privons pas pour autant d’une matière qui permet, par son langage symbolique et sa richesse polysémique, d’interroger des questions universelles et atemporelles, d’éclairer le présent, et de créer de la sororité.
Claire Berest
Faut-il en finir avec les contes de fées ? Jennifer Tamas. Sur le site de la maison d’édition.
Présentation de la collection ALT sur le site de la maison d’édition.
Finette Cendron et autres contes féministes du XVIIe siècle. « Il était une fois des autrices » sur le site du Café pédagogique.
Déconstruire les contes : un projet pédagogique sur le site du Café pédagogique