Samedi 25 mai était une journée attendue par les défenseur·es de l’école publique opposé·es aux mesures du « Choc des savoirs ». À l’appel de la quasi-totalité des syndicats des professeur·es et de lycéen·nes, de plusieurs associations de professeurs et de la FCPE, ils et elles étaient donc quelques milliers à manifester à travers la France. De Paris à Marseille, en passant par Brest, le Café pédagogique leur a donné la parole.
En tête de cortège de la manifestation parisienne, l’intersyndicale éducation 93. Après trois mois de mobilisation, la détermination ne faiblit pas. « L’audience avec la ministre prévue le 28 a été repoussée 11 juin, pour de problèmes ‘’d’agenda’’ », nous explique au Zoé Butzbach, co-secrétaire départementale de la CGT Éduc’Action qui y voit un « mépris de plus ». « Nous sommes à plus de trois mois de mouvement, la colère est toujours présente, voire s’amplifier. Notre plan d’urgence qui s’oppose au choc des savoirs est voulu par la quasi-totalité de nos collègues. Si les grèves sont moins importantes, la mobilisation prend d’autres formes : nuit des écoles, collèges déserts. Le 11 juin sera une grande journée de mobilisation dans notre département et une grève à la rentrée est déjà en discussion. On n’est plus à ça près ». « Nous sommes toujours là », confirme Marie-Hélène Plard, secrétaire départementale. « Quand une lutte est légitime, elle perdure ».
Maelis est professeure de français. Si elle n’a pas pu faire toutes les grèves, car elle « n’en a pas les moyens », il était impensable pour l’enseignante de ne pas participer à la manifestation du samedi 25 mai. C’est avec sa sœur, qui n’est pas enseignante, mais parent d’élève, qu’elle bat le pavé parisien. « Cette mesure, si elle abime encore plus notre métier, elle heurte aussi nos valeurs et le sens de notre métier. Je suis enseignante depuis trente-et-un ans. Si j’ai choisi cette voie, c’est parce que je crois fondamentalement que l’École est le socle de notre société, que c’est le seul lieu où l’on donne la possibilité à chacun d’entre nous de s’émanciper de sa famille et de son milieu. Les groupes de niveau, la prépa seconde, le brevet comme sésame pour le passage au lycée, c’est faire un choix différent. C’est condamner les élèves à rester dans leur milieu ». « L’école fait déjà de sacrés dégâts », renchérit sa sœur, Hélène, infirmière anesthésiste. « Je suis parent d’élève depuis le début de la scolarité de mon premier enfant qui a 16 aujourd’hui. Et j’ai vu que la mixité des profils sociaux et ethniques des élèves avait beaucoup évolué depuis sa scolarisation en petite section. L’école ne remplit plus son rôle depuis longtemps. Et aujourd’hui, on acte le fait que ce soit normal. C’est un terrible bon en arrière ».
Le cortège marseillais
À Marseille, ils étaient un millier. Lou Lahi, lycéenne au lycée Saint Charles et représentante MNL13, était en tête de cortège. « Nous sommes en manif aux côtés de nos professeurs pour plus de moyens pour nos lycées et contre le choc des savoirs », témoigne-t-elle. « Il y a de plus en plus de jeunes qui s’engagent, au fur et à mesure que ces réformes meurtrières contre l’éducation s’additionnent. Nous militons aussi contre le SNU, le port de l’uniforme et contre tout ce que le gouvernement avance pour mettre au pas la jeunesse et pour l’ancrer dans un conformisme social. L’éducation selon nous est là pour ouvrir les esprits, émanciper les jeunes futurs citoyens. Toutes ces mesures sont dangereuses, car elles renforcent les inégalités déjà existantes, tous les jeunes n’arrivent pas au lycée avec le même capital. Faire un tri va accentuer cet écart entre jeunes. C’est une logique qui vise à séparer les plus pauvres des plus riches et c’est complètement contre nos valeurs ».
Quelques pas derrière elle, Amélie, Professeure des Écoles dans les 1er, 2éme et 3éme arrondissements de Marseille ? « Cela fait déjà plusieurs années que les enseignants du primaire sont engagés dans des évaluations nationales qui vont se propager l’an prochain à tous les niveaux. Cela va nous impliquer directement dans l’orientation des élèves au collège. Et nous ne pouvons accepter ce tri. On ne peut pas enseigner sans évaluer, notre regard évalue chaque progrès, chaque difficulté tout au long de la journée, tout au long de l’année. Des évaluations par panel sont bien plus efficaces que ce qui est avancé dans cette réforme. On sent bien que tout cela est un outil dans les mains du pouvoir pour imposer sa politique ». Pour Clélia Petit, Professeure de lettres au collège André Malraux à Marseille, c’est la relation enseignant·e/élève qui est « mise en péril ». « Cette relation est le point de départ de notre enseignement. En nous faisant changer d’élèves en permanence, quelle que soit la raison c’est l’essence même de notre métier qui est mise en cause ; le problème fondamental reste la question du nombre d’élèves dans la classe et donc des moyens mis à notre disposition ».
Patrick Fleurand est administrateur départemental du MPE 13 (association de parents d’élèves) et se base sur l’expérience des groupes de niveau dans d’autres pays pour dénoncer le dispositif. « En tant que parents nous voyons très bien que cette hypothèse a été testée dans plusieurs pays, et qu’elle n’a jamais fait ses preuves », explique-t-il. « La recherche scientifique le confirme. Par ailleurs nous siégeons dans des Conseils d’Administration de collège et nous voyons bien que les moyens mis en face ne sont pas à la hauteur. Même si on voulait appliquer cette réforme (ce qui n’est pas le cas), les moyens ne sont pas le cas et cela va être dommageable pour tous les élèves. Cela créera de nouvelles difficultés. Le groupe classe risque d’éclater, les professeurs ne connaitront pas tous leurs élèves et ne pourront les suivre sur le long terme. Nous rencontrons déjà ce problème au lycée, il va se retrouver au collège et ce sera encore plus déstabilisant pour des jeunes qui ont besoin de repères. C’est un moment critique pour eux et nous sommes très inquiets en tant que parents ».
Cortège brestois
La colère est à son comble à Brest. Il faut dire que cette journée de mobilisation intervient au lendemain d’une réunion organisée par les IA-IPR de français qui laisse un goût amer à plusieurs professeur·es présent·es dans le cortège. Alain et Marina, tous deux présents à cette réunion, témoignent. « Dans notre établissement, il y a un refus massif de l’équipe enseignante sur la mise en place des groupes de niveaux. Ce refus est partagé par la direction qui a fait le choix, et qui l’assume, de ne pas mettre en place ces groupes pour l’instant et de reproduire l’organisation de cette année avec l’heure de soutien-approfondissement qui avait été prise à la technologie. Avec plus de moyens, on pourrait mettre en place de véritables groupes allégés de besoins et non pas des groupes qui stigmatisent les plus faibles et mettent en ultra compétition les plus à l’aise. On espère que le chef d’établissement va pouvoir tenir sa position. Hier, il y avait une réunion organisée par les IA-IPR. Nous avons lu une lettre collective. Puis nous avons eu droit au discours selon lequel le B.O. nous régit, il faut suivre le B.O., nous sommes des fonctionnaires et on doit fonctionner. Puis les IPR ont tenté de faire des groupes pour séparer les collègues de français et de mathématiques. Et là une grande majorité de collègues a choisi de quitter la réunion. Tous les collègues, vent debout, ont expliqué que ce n’était pas tenable au niveau de l’organisation, au niveau pédagogique, au niveau de notre liberté pédagogique. Nous avons l’impression de ne pas être écouté·es et de subir une violence institutionnelle. De plus en plus d’établissements rédigent une fiche RSST (Registre Santé Sécurité au Travail) pour signaler leur mal être ».
Ressenti équivalent pour Rachel et Anne-Laure, désabusées. « Lors de la réunion du vendredi 24 mai avec les IPR, on a eu 1 heure et demie d’abord tout le monde a pu s’exprimer. On allait tous dans le même sens pour dire notre désespoir, notre incapacité à pouvoir mettre cette réforme en place à cause du manque de moyens. En face, on a des IPR qui nous ont laissé parler, mais qui n’ont apporté aucune réponse, qui répondaient à côté systématiquement sur toutes les questions posées, sur toutes nos inquiétudes. On attendait un peu de compassion, de compréhension de notre mal être, mais ils ne comprenaient même pas nos difficultés et se retranchaient derrière le B.O. Il n’y a pas d’écoute, pas d’envie de construire, pas d’échange réel. Il y a quelque chose de méprisant à nous traiter juste comme des exécutants. On n’était même pas dans l’agressivité : on est désabusés, inquiets, fatigués. Tout est verrouillé ».
Alain Barlatier, Lilia Ben Hamouda et Claire Berest