Les valeurs de la République, sont-elles respectées par l’État quand celui-ci annonce et impose une énième réforme de l’Éducation nationale ? En effet, la Réforme du Choc des savoirs a été décidée au sommet de l’État, sans aucune concertation. Pourtant elle aura des répercussions concrètes et effectives dès la prochaine rentrée scolaire pour des générations d’élèves de 6e et de 5e.. Ce projet et la vision de cette réforme représentent un changement de paradigme historique pour notre École, elle entérine la fin d’une école commune et inclusive, dans tous les sens du terme.
Une énième réforme de l’éducation envers et contre tout.es : un excès de pouvoir ?
Cette réforme est menée envers et contre tous les syndicats, collectifs de parents d’élèves, et les chercheurs. Pour mémoire, trois chercheurs ont démissionné du Conseil scientifiques à l’annonce de mesures de la réforme dite du « Choc des savoirs », contraires aux résultats de la recherche et sans consultation de ce conseil. Le groupe des écologistes du Sénat tout comme des représentants des parents d’élèves et des personnels ont déposé des recours au Conseil d’État.
Tant sur le fond que sur la forme et méthode, cette Réforme est un choc, non pas des savoirs, mais une attaque, dénoncée de manière unanime. Or, l’organisation de l’École, ses finalités ne concernent-elles pas l’ensemble de la société ? Des parents, des personnels, des élus se mobilisent depuis des mois contre la réforme du choc des savoirs. Et pourtant, la mise en œuvre de cette réforme s’organise…
La réforme : un choc supplémentaire contre l’École fraternelle
C’est bien un choc supplémentaire, non pas des savoirs, mais un choc contre l’École. C’est un choc contre le projet de l’École de toutes et tous, l’École pour tous et toutes ensemble.
Pourquoi ? Parce que cette réforme va trier des enfants à 10 ans pour les affecter dans des groupes de «niveau » en 6eme et 5eme en mathématiques et français. Cela signifie qu’un tiers de la semaine, les enfants seront répartis dans des groupes « de besoin », et non dans leur classe. La perte de la « classe », à l’arrivée des élèves au collège, -une entrée toujours délicate pour les enfants-, ne va-t-elle pas leur nuire, ainsi qu’à leur suivi ? Cette réforme porte également préjudice au travail d’équipe et au sens même de l’« équipe éducative ». La classe, c’est un repère pour les élèves, et les repères à l’entrée au collège sont essentiels.
Cette réforme permettrait d’apporter des aides plus adaptées aux élèves. Contrairement aux idées reçues, l’hétérogénéité ne nuit pas aux élèves, les effectifs lourds certainement. Oui, des effectifs réduits sont souhaités. Pour rappel encore, la France détient un record des effectifs d’élèves par classe en Europe. La logique ne voudrait-elle pas que la France abaisse les effectifs des élèves pour offrir de meilleures conditions d’apprentissage aux élèves, et de travail aux enseignant.es ? S’il peut être bénéfique à un élève d’avoir une aide ponctuelle, adaptée et plus individualisée, rappelons que le dispositif « plus de maitres que de classes » permettait de réunir des groupes de besoin, de manière temporaire et flexible et qu’il a été mis fin par … l’arrivée de Macron en 2017 et de son ministre Jean-Michel Blanquer. La France se distingue d’ailleurs par des réformes successives, non évaluées.
Le choc des savoirs et inégalités sociales : un choc pour les classes populaires
La recherche est unanime sur les effets quasi nuls des groupes de niveaux en termes de performances. Mais elle souligne les effets négatifs sur les élèves en termes de confiance en soi, pourtant déterminante pour assoir le bien-être comme réussite. L’appartenance à un groupe de niveau sera stigmatisant, voire discriminant : appartenir au groupe des nuls ou au groupe des intellos ne devrait pas plaire à des enfants à un âge où ils veulent tant se ressembler et ne pas se faire trop remarquer. L’inclusion des élèves en situation de handicap sera donc celle d’un groupe ? Le changement de groupe apparaît bien théorique, « promotion » comme « déclassement », tant l’aspect organisationnel est lourd. Veut-on vraiment une pression permanente pour nos enfants ? Pense-t-on que cette méthode et vision peut avoir des effets bénéfiques sur nos élèves, l’École, la société ?
Séparer les élèves, c’est choisir de les assigner à résidence sociale et scolaire, tant la corrélation entre destin scolaire et origine sociale est forte en France. C’est donc le choix de bloquer l’épanouissement des élèves qui ont le plus besoin de l’École, et in fine, c’est un projet de société qui se dessine : la société des premiers de cordées d’une part et des relégués, d’autre part. Et non celle d’élèves émancipés, individuellement comme collectivement, dans une école où on apprend et éduque ensemble, une École fraternelle.
Le choc des savoirs : un choc anticonstitutionnel ?
Le choc des savoirs ne menacerait-il pas les valeurs fondamentales de l’École publique ? Ces valeurs de la République sont constitutives de notre École : les mots liberté, égalité, fraternité trônent fièrement sur les frontons de chacun de nos établissements scolaires. Ne s’agit-il pas à présent de les faire vivre et de les incarner dans la vie et décisions politiques ? Ces valeurs sont enseignées et transmises par l’École : les agents sont formés et c’est un point d’évaluation et au programme pour les concours de recrutement des enseignants.
Les organisations syndicales, comme le groupe écologiste du Sénat et la FCPE ont saisi le Conseil d’État et demandé son annulation. Pour l’écologiste Monique de Marco, la création des groupes de niveaux organise une rupture d’égalité qui contrevient aux principes fondamentaux du Code de l’Éducation. Elle a déposé un recours en excès de pouvoir auprès du Conseil d’État : le décret et l’arrêté publiés diffèrent peu de ceux rejetés par le Conseil supérieur de l’Éducation. Quant à la fédération Unsa-Education, elle évoque un cadre hors légal. Pour le SGEN-CFDT également, la réforme du Choc des savoirs ne respecte pas le Code de l’éducation sur le point de l’autonomie des établissements.
Le choc des savoirs et la démocratie : un choc anti-démocratique ?
La réforme du Choc des savoirs est rejetée par l’ensemble de la communauté éducative. Encore une fois, une réforme de l’Éducation nationale est menée tambour battant et à marche forcée sans aucun dialogue ni l’adhésion des actrices et acteurs de terrain. Cette verticalité est ressentie avec brutalité et interroge en profondeur le métier des professeur.es, comme la crise du recrutement au concours de l’enseignement en atteste. Le nombre d’admissibles ne recouvre pas le nombre de postes dans certaines disciplines. Comment un métier peut-il être attractif quand il est déconsidéré financièrement et socialement, quand les salaires ne sont pas revalorisés. La France paie particulièrement mal ses enseignant, en comparaison avec les pays européens. Le métier même de professeur évolue, il est transformé en métier d’exécutant. Les bréviaires, les manuels montrent le glissement vers une perte de liberté pédagogique comme une perte de confiance dans le professeur. Cette méthode descendante atteste d’un manque de confiance dans l’art du professeur, la pédagogie, l’art de transmettre. Mais n’est-ce pas une méthode qui permet de ne pas interroger le manque de formation des enseignants ? « Qui veut encore des professeurs ? » interroge Philippe Meirieu dans un court ouvrage publié l’année dernière : ce titre à l’apparence polémique doit nous interroger en profondeur sur le devenir du métier de professeur, et sur l’avenir de l’École.
Le choc des savoirs est à l’image de notre Ve République, elle est le fait du Prince. Et de ce fait, les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité peuvent-elles être respectées dans l’École ?
Djéhanne Gani