La lutte contre les LGBTIphobies est-elle un combat perdu ? Le rapport 2024 de SOS homophobie, de plus en plus alarmant, désespère. Mais en terminer la lecture avec un sentiment de fatalité, comme si l‘on avait beau dire, l’on avait beau faire, la violence contre les LGBT+ ne pouvait qu’augmenter en France, serait en trahir l’esprit, et oublier la combativité de cette association et le travail qu’elle, et de nombreuses autres, mènent sans relâche. Alors agissons, et l’éducation contre les LGBTphobies étant, comme l’a dit Julia Torlet, présidente de SOS homophobie, « le nerf de la guerre », agissons dès la petite enfance pour faire de l’école un lieu de lutte contre les préjugés et un lieu d’apprentissage du respect de la différence. Et pour commencer nos bonnes pratiques, regardons nos rayonnages et observons les albums jeunesse destiné.es aux petit.es non encore lecteurices autonomes qui s’y trouvent, ou plus exactement qui ne s’y trouvent peut-être pas…
Elle est où ma famille ?
Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature jeunesse ? se demandent Sarah Ghelam et Spencer Robinson dans leur essai consacré à l’analyse de l’ensemble des albums jeunesse édités et distribués en France représentant au moins un personnage LGBTQI+, et pendant de l’ouvrage Où sont les enfants non blancs dans la littérature jeunesse ? Arrêtons-nous sur cette question et essayons d’en mesurer les enjeux. Environ 31 000 enfants vivaient, selon l’INSEE, en 2018, dans une famille homoparentale ; mais ces données n’englobant pas toutes les situations d’homoparentalité, il est très probable qu’on soit très en deçà de la réalité. On penche actuellement plutôt pour un nombre se situant 30 000 et 50 000 enfants, voire bien davantage selon certaines associations de familles homoparentales. Quoi qu’il en soit – et quand bien même on s’en tiendrait à l’évaluation la plus basse – cela fait beaucoup de monde. Et pourtant où sont ces familles ? Où sont tous ces enfants dont pas un ou presque ne semble exister ? Quelle visibilité leur autorisons-nous ? Quelle attention leur accordons-nous ?
Or, savoir que l’on a une place et que l’on existe, c’est essentiel. Mettre à disposition et lire aux tout petit.es dès le début de l’école maternelle – car les préjugés n’attendent pas pour se mettre en place ! – des albums jeunesse ne donnant pas seulement à voir des schémas de familles hétérosexuelles, mais aussi des modèles de familles homoparentales, va fortement contribuer à renforcer cette confiance en soi. Car quand c’est un.e enseignant.e qui raconte à la classe une histoire dans laquelle on se reconnait, ne serait-ce que parce qu’on y voit, au détour d’une page, une famille constituée de deux papas ou de deux mamans, c’est bien réconfortant. La parole du maitre ou de la maitresse a du poids, elle fait autorité ; ce qu’il ou elle lit et montre dit le monde et la vérité. C’est écrit, c’est dessiné, là, dans le livre.
Double objectif : protéger et éduquer
Raconter des histoires de famille fondées sur un couple homoparental, ou donnant tout simplement à voir, sans que cela en soit le sujet, sans même qu’on ait besoin d’en parler, des mamans lesbiennes, ou des papas gays, parmi d’autres représentations de modèles divers, c’est en soi déjà, faire de la prévention contre les LGTIphobies et lutter contre l’exclusion en s’attaquant aux stéréotypes, en remplaçant les préjugés par de la compréhension.
Et chaque enfant a à y gagner. D’une part, répétons-le, c’est permettre à certain.es petit.es d’acquérir de la légitimité sociale, or cette visibilité et cette banalisation construisent de l’identité, elles sortent de l’isolement, si besoin est, et font de l’école un lieu d’accueil privilégié. Mais c’est aussi permettre à toustes de découvrir d’autres modèles que ceux qui correspondent à la norme sociale traditionnelle, à laquelle d’ailleurs beaucoup de familles dérogent. Car les enfants en font, dans leur propre vie, l’expérience : il existe de multiples façons de « faire famille ». Certaines familles sont recomposées, d’autres sont monoparentales, dans certaines d’entre elles il n’y a ni papa ni maman, dans d’autres beaucoup de générations vivent ensemble … et dans certaines familles il y a deux papas ou deux mamans. Toutes sont des familles, et toutes sont de vraies familles. Les livres permettent de dire cette diversité pour en faire une force. Et ils permettent aussi, en faisant le choix de l’inclusivité, d’ouvrir à chacun.e un horizon de possibles affectifs personnels.
Quelles ressources ?
Ces albums jeunesse existent. Sarah Ghelam et Spencer Robinson, qui ont répertorié pour leur ouvrage l’ensemble des publications représentant des personnages LGBTQI+ dans la littérature jeunesse, en ont identifié 70, dont un certain nombre évoquent l’homoparentalité : « C’est une belle bibliothèque » écrivent-iels, même « si elle ne représente même pas 1% de la production annuelle de livres pour les 0-6 ans en France ».
Deux maisons d’édition en particulier font référence en la matière : Talents hauts, qui depuis sa création en 2005 s’est spécialisée dans le « décryptage des stéréotypes notamment sexistes » ; et On ne compte pas pour du beurre, créée en 2020 par deux mamans qui « voulaient rencontrer dans les livres des familles qui leur ressemblent ». L’une et l’autre partagent une ligne éditoriale d’inclusivité, de remise en cause des préjugés, de lutte contre les discriminations. Mais de nombreuses maisons d’édition, prenant conscience de l’importance de ce travail à la fois de déconstruction et de visibilisation, proposent désormais aussi des titres à exploiter.
Pour mettre à jour son égalithèque, on pourra chercher dans les listes proposées à la fin de l’ouvrage de Sarah Ghelam et Spencer Robinson, qui classent très clairement tous les livres qu’iels ont répertoriés. On pourra aussi se renseigner auprès des libraires spécialisé.es en littérature jeunesse, ou encore se référer au site de la librairie en ligne Les livres qui sèment, librairie engagée notamment pour la diversité et l’égalité, qui propose une sélection d’albums jeunesse organisée par âges et par thèmes.
A nos rayonnages !
Le rapport de SOS homophobie ne dédouane pas l’école de ses responsabilités ; elle qui se donne pour mission d’accueillir tous les élèves « qu’ils s’écartent de la norme de leur sexe ou encore qu’ils grandissent dans des familles homoparentales ou avec un parent transgenre », oscille encore et toujours, malgré ses efforts, entre homophobie ordinaire et homophobie systémique. On attend des actions concrètes et une politique ambitieuse qui lui permettent de mettre avec efficacité en actes ces intentions. Mais sur le terrain il est possible à chacun.e d’agir, car, comme l’écrit la directrice éditoriale des éditions « On ne compte pas pour du beurre » , Elsa Kedadouche : « faire le choix (inconscient ou non,) de ce qui est montré, et donc de ce qui n’est pas montré, relève de la responsabilité de chaque acteurice de la chaîne du livre qui participera à conduire un ouvrage jusqu’aux mains, aux yeux et au cœur d’un enfant. ».
Claire Berest