Dès septembre prochain, l’organisation du collège, notamment des classes de 6e et 5e, sera chamboulée. Les groupes de niveau, mesure phare du choc des savoirs annoncée par Gabriel Attal alors ministre de l’Éducation nationale, transformés en groupes de besoin sous Nicole Belloubet seront mis en place malgré la très forte protestation de la quasi-totalité des équipes éducatives : enseignant·es, chef·fes d’établissement, parents… Et si une nouvelle journée de mobilisation est prévue samedi 25 mai, la rue de Grenelle continue d’avancer. Sur le terrain, les professeurs de mathématiques et de français participent à des « formations », très descendantes, et jeudi 16 mai le ministère publiait un Vademecum, « Mettre en place les groupes de besoins ».
« Pour répondre plus efficacement à l’hétérogénéité de niveau des élèves, une nouvelle organisation des enseignements de français et de mathématiques est mise en place en 6e et en 5e à compter de la rentrée 2024 » indique le Vademecum en préambule. « Ainsi, les enseignements de français et de mathématiques au collège sont menés en groupes, réunissant les élèves de plusieurs classes en fonction des besoins identifiés par leurs professeurs, avec la possibilité de regroupements en classe entière sur une durée cumulée de une à dix semaines par année scolaire afin de préserver le « groupe classe ». L’objectif est de redonner de la force d’agir aux équipes éducatives pour que chaque élève maîtrise le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et, au-delà, puisse aller au plus haut de ses aptitudes et ainsi réussir au mieux sa poursuite d’études ». Un préambule qui sonne comme une justification à cette nouvelle organisation du collège hautement contestée. Ce Vademecum se veut être un outil qui « propose des outils et conseils pratiques à l’appui de la mise en place de cette organisation ». Un outil rédigé par la DGESCO, en lien avec l’inspection générale et des professionnels de terrain.
Organisé en deux parties, le Vademecum propose dans la première des outils pour « Organiser les enseignements de français et de mathématiques en groupe en fonction des besoins des élèves ». « La même ambition est visée pour l’ensemble des élèves », rappelle la DGESCO – comme si l’institution ressentait le besoin d’affirmer – encore – qu’il ne s’agissait pas là de trier les élèves comme le lui reprochent les opposants à cette réforme. « Les programmes de français et de mathématiques sont identiques pour tous les élèves, avec les mêmes attendus, quels que soient leurs groupes. Seules les modalités et les démarches d’apprentissage diffèrent et s’adaptent aux besoins des élèves. Il s’agit ainsi de profiter d’une plus grande homogénéité des groupes pour amener chacun au maximum de ses potentialités et de son excellence ».
Pour justifier ce choix d’organisation, Gabriel Attal, et la rue de Grenelle dans ce document convoquent la recherche. Mais pas toute la recherche, pas celle qui donne à voir les effets nocifs de la mise en place de groupes de niveau. Si l’institution reconnait les méfaits de la mise en place des classes de niveau, elle s’appuie sur des études « peu nombreuses » sur Within class grouping, les groupes de niveau à l’intérieur des classes qui sont « encourageantes ».
Organiser les groupes
C’est au chef d’établissement, en concertation avec les professeur·es, que revient la responsabilité de l’organisation des groupes. Le nombre de groupes et le nombre d’élèves par groupe dépendent « des besoins des élèves, des effectifs des collèges, du nombre d’élèves à besoin ou encore du contexte de l’établissement ». Si aucune limite d’effectif n’est prescrite, le nombre de 15 élèves en difficulté est un repère « mais pas une norme ». « Les moyens déployés tiennent d’ailleurs compte des spécificités des collèges et doivent permettre de répondre aux besoins des élèves identifiés par les équipes », assure le ministère. Pourtant, les remontées des établissements ne semblent pas valider cette affirmation…
Trois exemples d’organisation sont proposés. Il est vivement conseillé d’aligner les horaires de français et de mathématiques pour les classes dont les élèves seront brassés dans les groupes de besoin. S’il y a six sections de 6e, alors les trois premières auront, de préférence, cours de français et de mathématiques à la même heure.
« Le travail en équipe est essentiel, de la répartition de la DHG à la constitution des emplois du temps en passant par la répartition des services », indique la Dgesco qui liste les contraintes à anticiper. « Pour limiter les difficultés, éviter autant que possible de placer sur le même alignement plusieurs collègues avec de fortes contraintes d’emplois du temps (stagiaires, BMP en service partagé…). Anticiper autant que possible les besoins en bassin ou en réseau d’établissements ». « On peut détacher un groupe d’un alignement, à condition d’avoir dégagé les marges de manœuvre / des créneaux libres dans l’EDT (limiter le cumul d’options, mettre en barrette options et dispositifs…) » ajoute le ministère. « Désaligner un groupe avec la mise en miroir d’autres matières (Histoire, ou LV ou sciences par exemple) reste toujours possible ».
Des groupes flexibles
« Afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves peuvent être regroupés conformément à leur classe de référence jusqu’à dix semaines », confirme le Vademecum. « Cette disposition permet d’alterner, toujours en référence aux programmes, les temps en groupes de besoins qui ciblent des connaissances et des compétences précises et des temps en classe entière qui permettent tout à la fois de garantir un temps pour asseoir un socle commun de connaissances sur les objets d’étude travaillés et de faire le point sur les compétences acquises par les élèves ».
Pour mettre en place cette organisation, « le chef d’établissement mène un dialogue dans le cadre du conseil pédagogique et arrête les périodes les plus adaptées selon la visée et les objectifs pédagogiques concertés en équipe ». L’organisation doit être présentée pour information au conseil d’administration, rappelle-t-il.
Et les auteurs insistent, comme s’ils voulaient se défendre de l’accusation de tri social, « ces groupes ne doivent pas être fixes sur l’année, l’organisation retenue doit à la fois permettre une certaine stabilité en offrant un temps d’apprentissage suffisant et se prémunir de tout risque d’assignation des élèves ».
La composition des groupes est réévaluée en cours d’année, « afin de tenir compte de la progression et de la diversité des besoins des élèves », notamment lors des conseils de classe, « lieu d’échanges privilégié pour faire un point sur la situation de chaque élève ».
Pour constituer ces groupes, il est demandé d’anticiper la rentrée, particulièrement celle des élèves de 6e. «À réception des prévisions d’effectifs, les chefs d’établissement réunissent les directeurs d’école en lien avec les IEN de circonscription en conseil de cycle 3 pour étudier la répartition potentielle des élèves dans les groupes, sur la base des évaluations et appréciations des professeurs des écoles intégrées dans le livret scolaire de l’élève ». La FSU-SNUipp a d’ores et déjà indiqué avoir appelé les professeur·es des écoles à ne pas « trier les élèves » dans le cadre de la préparation de ces groupes. « Concernant les élèves à besoins éducatifs particuliers, une vigilance particulière est nécessaire pour organiser leur répartition en fonction, certes des évaluations, mais aussi de leur profil et de leurs appétences », précise le Vademecum. Familles et élèves doivent être informés « très explicitement » sur l’organisation en groupe des enseignements de français et de mathématiques. « L’enjeu pour eux est que chaque élève maîtrise les savoirs et les compétences indispensables à une scolarité réussie au collège. Très concrètement, il convient de leur expliquer que les groupes permettront à chacun de bénéficier du suivi nécessaire à sa réussite ».
Enseigner dans les groupes de niveau
La deuxième partie du document est consacrée à l’enseignement en groupes de besoin. « La différenciation pédagogique ne signifie en aucune manière la différenciation des objectifs pédagogiques qui signifierait un creusement des inégalités scolaires », se justifie – encore – la Dgesco qui préconise de choisir des outils communs pour les élèves (cahier, classeur, usage pédagogique de ce matériel…) et d’harmoniser programmations et progressions. « Il s’agit, non d’établir une progression en tout point identique s’imposant à tous les professeurs de français d’un même niveau d’enseignement, mais bien de consacrer l’expertise collective de l’équipe disciplinaire à penser les objets d’apprentissage et situations de travail, leur articulation dans le temps, les choix propres à favoriser la réussite des élèves dans toute leur diversité ». Et si certain·es accusent cette nouvelle organisation d’entraver la liberté pédagogique, le ministère estime lui que c’est « pleinement compatible avec l’exercice de la liberté pédagogique des professeurs pour concevoir les situations d’apprentissage précises mises en œuvre dans les séquences ».
Le Vademecum propose aussi des pistes pour adapter les démarches aux besoins spécifiques de chaque groupe, pour articuler temps d’apprentissage en groupe et le temps d’apprentissages en groupe classe et pour évaluer.
Lilia Ben Hamouda
Le Vademecum « Mettre en place les groupes de besoin »