Née le 11 avril 1994, l’association SOS homophobie vient tout juste de passer le cap des 30 ans. On voudrait pouvoir fêter dignement cet anniversaire – tant de combats ont été remportés ! – mais la fête a un goût bien amer car force est de constater : 30 ans plus tard la haine contre les personnes LGBT+ n’a pas cessé de se diffuser, et elle continue même de prospérer.
Un climat de plus en plus délétère
Traditionnellement publié depuis 1997 à l’occasion de 17 mai, Journée mondiale de lutte contre les LGBTIphobies, le rapport de l’association alerte en effet sur un climat « de plus en plus délétère ». Les témoignages recensés, en hausse, de 1506 sur l’année 2022 ils sont passés à 2085 sur l’année 2023, attestent d’une dégradation de l’environnement, le rapport identifiant sur l’année 2023 « 2 377 cas de LGBTIphobies reçus par l’association via ses dispositifs d’écoute et de soutien aux victimes ». Chiffre certainement en deçà de la réalité « compte tenu des difficultés à porter plainte, à sortir du secret des expériences de rejet et de discrimination ou à mettre des mots sur des situations complexes ».
Le rapport s’alarme notamment d’une « libération » toujours plus inquiétante de « la parole LGBTIphobe » et attire l’attention sur l’augmentation de 23% de la « haine en ligne », car si l’espace numérique a pu apparaitre un temps comme « relativement sécurisé pour les personnes LGBQTI, Internet est devenu aujourd’hui un relais de messages LGBTIphobes et une prolongation du harcèlement et des discriminations vécu·es dans le réel. ». La transphobie en particulier, toujours en augmentation, s’y manifeste pour « un quart des cas recensés sur l’année 2023 ».
Les LGBTIphobies : tous les jours et partout
Rejet, insultes, harcèlement, menaces, crachats, jets d’objets … les agressions, les violences verbales et physiques continuent de rythmer « la vie et le quotidien des personnes LGBTQI », considérées comme « nuisibles et/ou dangereuses au sein des milieux conservateurs et LGBTIphobes ». Les personnes trans en particulier sont les cibles de ces violences, 21 % des cas rapportés par le Rapport relevant de la transphobie. Clairement le combat contre les stéréotypes de genre est loin d’être remporté ; ceux-ci restent largement prégnants et « associés aux LGBTIphobies en ce que le rejet homophobe, lesbophobe, biphobe ou transphobe tient souvent à une image conservatrice et binaire de ce que doit être une femme ou un homme ».
La grande diversité à travers laquelle se sont manifestés pour l’année 2023 ces cas de LGBTIphobies recensés par l’association est par ailleurs édifiante, car elle recouvre « toutes les strates de la vie quotidienne des personnes LGBTI » : des commerces et services, à la famille et à l’entourage proche, des lieux publics aux médias, de la police à la justice, de la politique à la religion, de la santé au sport, du travail au voisinage, à tel point, conclut non sans amertume le rapport, qu’il semble « encore aujourd’hui difficile d’affirmer qu’il existe des lieux, des espaces, où les personnes LGBTI peuvent ne pas subir de LGBTIphobies. ».
L’école : entre homophobie ordinaire et homophobie systémique
Et l’école ? Serait-elle épargnée par cette désolante énumération ? Elle qui se donne pour mission de construire, selon la circulaire sur la prévention des LGBTphobies, « une culture de l’égalité », de « prévenir toutes les manifestations d’homophobie et de transphobie au sein des établissements scolaires », et d’accueillir tous les élèves « qu’ils soient identifiés comme lesbiennes, gays, bi ou trans (LGBT), qu’ils s’écartent de la norme de leur sexe ou encore qu’ils grandissent dans des familles homoparentales ou avec un parent transgenre ».
Hélas, malgré les efforts entrepris notamment dans la lutte contre le harcèlement, l’école est loin du compte. En 2023, 94 cas de LGBTIphobies en milieu scolaire ont été rapportés. Subies dans la majorité de cas par des personnes mineures, celles-ci sont exercées par des élèves, ou des parents, mais aussi par des professeur·es ou des membres de la direction. Elles se concentrent dans les lycées et les collèges, même si on les rencontre aussi dans les études supérieures et les formations professionnelles. Le rapport évoque d’ailleurs, parmi les témoignages recensés, celui de Pablo, transgenre, étudiant en thèse dans la région parisienne, fréquemment « confronté à des propos transphobes de la part de sa directrice de thèse, en face comme sur les réseaux sociaux. (…) Pour cette dernière, la transidentité est un « trouble mental », et elle ne se cache pas pour le revendiquer. ».
L’homophobie se manifeste tout d’abord par une « homophobie ordinaire » ; elle s’exprime essentiellement par des injures « entrées dans le langage courant » et d’une certaine manière désémantisées, comme si elles avaient perdu leur valeur d’insulte. Leurs « auteur·rices ne réalisent parfois même pas la portée – des termes tels que « pédé », « tafiole », « pédale », insultes banalisées, qui ont pourtant un caractère violent et heurtant. ». Cette homophobie ordinaire n’empêche néanmoins pas « des violences physiques et psychologiques graves et intentionnelles d’exister ».
Mais elle relève aussi de violences systémiques car « les établissements en eux-mêmes produisent et entretiennent une série de violences en leur sein, dont les victimes n’arrivent pas à s’extraire en raison même de ce systématisme et de la répétition de ces actes, créant un véritable calvaire quotidien. ». Cette violence passe là aussi à la fois par les élèves, les parents, le personnel, qui peuvent, tous et toutes, en être aussi les victimes. Or face aux actes LGBTIphobes, qu’ils touchent la communauté éducative ou les élèves, même lorsqu’ils ont été dénoncés, le système scolaire répond trop souvent par le silence et l’inertie. Ce fut le cas pour Maëlys adolescente lesbienne de 14 ans en Bourgogne qui a fait selon sa mère, « les frais d’un dysfonctionnement global du système éducatif » les appels à l’aide lancés par sa famille à l’école n’ayant pas été entendus, et qui a fini par être déscolarisée ; ou de Mehdi, jeune collégien de 13 ans qui, constamment insulté, s’est confié au « CPE de son établissement qui lui a répondu ne rien pouvoir faire sans preuve ».
Ce sont pourtant toutes ces violences qui conduisent « chaque année des élèves comme des professionnel·les à la dépression, voire au suicide » ; et c’est contre ce fléau qu’il est urgent d’agir avec détermination, et sans attendre. Dès leur éditorial les coprésident·es et président·es de SOS homophobie le rappellent : « S’il nous faut saluer la nomination d’un Premier ministre qui se présente comme un homme gay, nous pouvons nous interroger sur cette annonce, si elle n’est pas accompagnée d’une politique ambitieuse portée par ce dernier. Les victimes n’ont que faire des symboles… (Celui) de la nomination de Gabriel Attal ne représente rien s’il n’est pas accompagné d’une politique ambitieuse ». On ne saurait mieux dire.
Claire Berest
Rapport SOS homophobie sur les LGBTI phobies 2024
Eduscol – Prévenir les LGBTphobies en milieu scolaire (mise à jour décembre 2023)