Boris Vallaud et Fatiha Keloua-Hachi, tous deux députés du Parti Socialiste, déposent aujourd’hui une Proposition de Loi au Parlement en faveur de la mixité sociale. Allocation des moyens en fonction de l’IPS dans le public, mais aussi dans l’enseignement privé sous contrat et création de commissions départementales pour la mixité scolaire sont au programme de celle-ci. Boris Vallaud, député et président du groupe PS à l’Assemblée, répond aux questions du Café pédagogique.
Vous avez déposé aujourd’hui une proposition de loi en faveur de la mixité sociale. Que proposez-vous pour une plus grande mixité ?
Tout d’abord, pourquoi cette proposition : en 2021, 10% des 7 000 collèges concentrent à eux seuls près de 60% des enfants ouvriers, alors que les 10% des collèges les plus favorisés en accueillent moins de 15%. Il y a une puissante ségrégation scolaire dans notre pays et personne ne peut s’y résoudre. Nous proposons trois articles pour y répondre. Le premier vise à pondérer plus fortement qu’aujourd’hui le critère d’IPS – Indice de Position Sociale – dans l’allocation des moyens attribués aux établissements du premier et second degré. Deuxième article, cette pondération doit s’appliquer à l’ensemble des établissements financés par l’État, les établissements publics et privés. On pense que les établissements privés doivent participer à cet effort pour faire converger leurs IPS avec ceux des écoles, collèges et lycées publics. Le dernier article fixe le cadre dans lequel seraient constituées des commissions départementales pour la mixité scolaire. À charge pour ces commissions de fixer des objectifs de mixité sociale pour les établissements scolaires de leur territoire et de co-construire, avec toutes les parties prenantes un projet de territoire pour atteindre les objectifs ainsi fixés.
Vous proposez la pondération des moyens de fonctionnement en fonction de l’IPS des établissements…
Nous voulons moduler les dotations, qu’elles viennent de l’État ou des collectivités, en fonction d’un objectif de mixité sociale, en y intégrant l’enseignement privé sous contrat qui est celui qui, de ce point de vue, assume le moins sa part de responsabilité.
Pour atteindre un objectif de mixité sociale au niveau territorial, nous visons un objectif d’IPS par établissement. Objectif qui doit être déterminé par les parties prenantes. C’est ce que nous proposons avec la création d’une commission mixité scolaire dans chaque département, c’est l’article 3. Il faut que le projet de mixité s’adapte aux réalités locales. Aux collectivités locales de choisir si elles choisissent de faire du busing, de déplacer un établissement, d’en détruire un, de créer des cartes scolaires multicollèges…
Nous ne demandons ni plus ni moins que l’application de la Loi de Refondation de 2013 qui fixe un principe de mixité sociale dans les établissements. Les expérimentations lancées en 2016 ont fait la démonstration de leur bienfondé, appliquons la loi. On ne peut passer son temps à parler de « réarmer l’École » sans s’attaquer à ces sujets. Depuis 2017, nous avons eu des ministres qui ont passé plus de temps à défaire qu’à faire…
Pourquoi cette proposition de loi aujourd’hui ?
Nous sommes convaincus que l’un des grands enjeux de l’École, c’est la mixité sociale. On considère que l’on ne fait pas Nation si on ne vit pas ensemble et si on n’a pas grandi ensemble. Aujourd’hui, et depuis plusieurs années dans l’indifférence du gouvernement, on voit se creuser les inégalités entre établissements avec des ghettos en bas et de l’entre-soi en haut. La caricature ayant été l’épisode Amélie Oudéa-Castéra. Il y a donc un enjeu politique, républicain et scolaire. La mixité sociale est un outil puissant pour créer de la cohésion sociale et lutter contre les déterminismes sociaux.
On reproche à l’École d’être devenue une machine à trier qui ne réduit pas les inégalités. C’est particulièrement vrai depuis sept ans. Sous Blanquer, on a certes dédoublé les classes en REP, mais comme un solde de tout compte. Ils ont cultivé l’entre soi choisi pour les plus favorisés, et l’entre soi subi pour les autres. C’est un choix politique.
Pourtant, les expériences de mixité sociale lancées en 2016, qui ont perduré après l’arrivée de Macron au pouvoir, sont extrêmement positives sur le climat scolaire, sur la réussite scolaire, sur la confiance, la solidarité, la coopération… Ces expériences montrent qu’il n’y a pas de baisse de niveau pour les bons élèves et une amélioration de ceux en difficulté. Il n’a pas non plus de fuite vers le privé. Tout le monde gagne avec la mixité.
Nous sommes convaincus que l’École a besoin de mixité, que les élèves de tous milieux se rencontrent, se mélangent, apprennent ensemble. C’est le combat du moment si on veut que l’école soit un creuset, si on veut construire une nation d’égaux, si on veut que les gens croient aux valeurs de la république – et pas comme un catéchisme qu’on leur imposerait, mais parce qu’ils les éprouvent au quotidien, à l’école, en bas de chez eux… La question de la mixité sociale au sein des établissements scolaires est absolument fondamentale.
C’est une question qui peut susciter des controverses, mais je suis persuadé que dès lors que les équipes pédagogiques, les parents, les collectivités locales et l’État s’entendent, tout est possible. Pap Ndiaye a tenté, Nicole Belloubet a assuré vouloir se pencher sur la question, mais sera-t-elle suivie par les vrais ministres de l’Éducation, j’en doute. C’est tout de même une ministre sous tutelle…
Votre proposition de loi s’inscrit dans plusieurs autres propositions au Sénat et dans la continuité des préconisations du rapport des députés Paul Vannier et Christophe Weissberg. Croyez-vous qu’elle a des chances d’être votée ?
On dépose cette loi et oui, on espère convaincre nos collègues. Lors de la dernière législature, nous avions déjà déposé des propositions de loi qui ressemblent à celle-ci. Nous sommes convaincus que dans un pays fracturé, où l’on ne manque pas de machines à découdre, à chaque fois que l’on peut tisser du lien, il faut s’y atteler. Notre objectif aujourd’hui est de recréer tous les espaces de mixité, de rencontre et de construction de citoyens accomplis. Cette proposition de loi participe de cet objectif.
Alors nous tenterons de convaincre, de surmonter les réticences, de faire connaître ces expérimentations réussies…
Nous les parlementaires, nous les élus locaux, devons mener cette bataille contre les préjugés, contre la facilité, contre les politiques de classe qui sont conduites par ce gouvernement.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda