Décidément le projet de réforme de la formation des enseignants ne plait pas. Le Café pédagogique a déjà relayé la journée morte des INSPE et plusieurs motions. Aujourd’hui, c’est une tribune de la section des sciences de l’éducation de le formation du Conseil Nation des Universités (CNU) que nous vous livrons.
« À la suite des déclarations du Président de la République et des documents transmis de façon non officielle aux syndicats sur la réforme de la formation des enseignants, la 70e section du Conseil National des Universités, constituée de l’ensemble des enseignants-chercheurs en Sciences de l’Éducation et de la Formation sur le territoire français fait part de ses vives inquiétudes et demande un moratoire d’un an pour définir, sur la base d’une large concertation, le cadrage du problème de la formation des enseignants et plus largement de l’école et de l’Éducation nationale. L’exécutif souligne l’importance des savoirs, des compétences et des valeurs communes pour de meilleurs résultats de nos enfants. Mais cette entreprise, présentée comme ambitieuse et fondée sur des acquis scientifiques, ne saurait être menée à bien sans l’éclairage des universitaires sur ces questions cruciales. Les recherches en sciences de l’éducation et de la formation sont à cet égard incontournables. Elles ne sont pas les seules, mais demeurent situées à une place cardinale car ancrée, de manière constitutive, aussi bien dans les départements universitaires que les instituts de formation des enseignants.
Rappelons que c’est à l’époque de Jules Ferry, durant l’ère républicaine fondatrice dont nos gouvernements se réclament bien souvent, que furent créés les premiers enseignements universitaires de science de l’éducation, que prirent en charge des personnalités aussi éminentes que Ferdinand Buisson et Émile Durkheim, avant de contribuer, comme domaine disciplinaire institutionnalisé en 1969 au sein du Comité Consultatif des Universités (devenu Conseil National des Universités), au vaste domaine des Sciences humaines et sociales comprenant la psychologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie, la didactique, l’économie. Aujourd’hui, l’espace pluridisciplinaire des sciences de l’éducation et de la formation garantit une connaissance précise et complète des terrains éducatifs. C’est pourquoi, contre toute tentative applicationniste, la 70è section du CNU rappelle que l’éducation et la formation ne se réduisent pas à une technique. Irréductibles aux savoirs théoriques, elles nécessitent des repères permettant aux professionnels de réguler, contrôler, évaluer et améliorer leurs pratiques. C’est dans cet esprit que, forts de nos ancrages disciplinaires pluriels et de notre proximité avec le terrain, nous consolidons, depuis plus de cinquante ans, les connaissances sur l’éducation et la formation. Nous sommes animés par le même idéal que celui des fondateurs de l’école républicaine, celui notamment d’une justice sociale plus grande, nécessitant des enseignants formés au-delà de considérations à courte- vue pour faire face à la pénurie de vocations en ce domaine.
Les informations sur le projet de réforme “Les Écoles Normales du XXIe siècle” (ENSP) vont à rebours de ces attentes. Les transformations rapides de la formation, sans prendre le temps de tirer les bilans constructifs des réformes précédentes, témoignent d’un mépris des acteurs de l’éducation au regard des enjeux stratégiques nationaux et sociétaux que représentent la formation des enseignants et l’éducation des générations à venir. En 2019, les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) ont été transformées en Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE) et le concours déplacé du master 1 à la fin du master 2. Les informations sur le projet de réforme prévoient désormais un concours en licence, faisant fi des formations existantes préparant l’orientation vers les métiers de l’éducation. Les parcours transversaux du professorat, des modules pluridisciplinaires et professionnalisants, ainsi que des licences de Sciences de l’éducation et de la formation ou des parcours au sein de ces licences destinés au professorat des écoles existent et ne sont pas pris en compte. Ce travail de longue haleine et de réflexions appuyées sur une connaissance fine du niveau des étudiants et des enjeux du métier est méprisé par les annonces de cette réforme. Le manque de clarté s’accompagne paradoxalement d’une précipitation pour la mettre en œuvre, à moins de 4 mois de la prochaine rentrée universitaire. Les conséquences seront désastreuses à court terme pour les acteurs de la formation, pour les futurs enseignants, pour les élèves et à long terme pour la réduction des inégalités. Transformer les INSPE en ENSP apparait comme un aveu d’échec de la précédente réforme. Si une évolution des INSPE peut être souhaitée pour répondre aux nouveaux enjeux sociétaux, elle doit s’appuyer sur les évaluations des réformes précédentes.
C’est pourquoi la 70e section du CNU demande un moratoire et appelle à l’ouverture d’un débat avec l’ensemble des acteurs concernés, comme préalable à la prise de décisions pour une véritable réforme de la formation des enseignants menée sur un temps long qui ne soit pas soumis aux affres et précipitations de la vie politique et budgétaire ».