Comment faciliter la mémorisation des notions en SVT ? En les chantant ! Philippe Cosentino, enseignant en SVT au lycée Rouvière de Toulon (83) crée de nombreuses chansons à partir de ses cours et à l’aide de deux logiciels d’IA générative. « Mon seul critère est que la musique me plaise », confie l’enseignant qui remarque que quelques élèves sont très sensibles à cette forme de communication et confient écouter en boucle les tubes de SVT. « C’est un bon complément du cours qui apporte une dimension émotionnelle mais qui peut aussi aider à ancrer certaines notions dans sa mémoire ». A vos platines !
Comment est née cette idée de transformer un cours en chanson avec l’aide de l’intelligence artificielle ?
C’est un collègue qui m’a inspiré, Grégory Michnik (toujours à la pointe de l’innovation), en m’envoyant un morceau de « heavy metal » créé à partir d’un de ses cours et l’aide de l’IA.
Ma discipline (Sciences de la Vie et de la Terre) repose sur une quantité importante de notions et de définitions à mémoriser, et cela faisait un moment que je réfléchissais à des approches « alternatives » pour aider mes élèves dans cet effort. Je suis moi-même peu doué pour retenir des définitions par cœur, et pourtant, comme beaucoup d’entre nous, je retiens sans efforts les paroles d’une chanson. Je me suis dit qu’il y avait une piste à explorer.
Comment créez-vous les paroles ?
Je m’appuie largement sur l’intelligence artificielle, que ce soit pour les paroles ou la musique.
Pour le texte, j’utilise l’agent conversationnel ChatGPT, maintenant bien connu des collègues (et des élèves). Je formule simplement le prompt suivant : « Ecris moi une chanson, en alexandrins, sur le cours suivant : (et je colle le texte de ma synthèse de cours) ».
Le premier jet est souvent décevant, voire inexploitable, et s’en suit une série d’échanges avec l’IA, du genre « Peux-tu me reformuler le 1er couplet en insistant sur la notion d’allèle ? ». Et bien entendu, je réécris souvent « à la main » les vers qui ne me plaisent pas. En fait, plus j’avance dans ce projet, moins je garde le texte produit par ChatGPT. Le texte généré par l’IA me sert surtout de trame, il m’aide à trouver un rythme consistant, mais en réalité je réécris plus de la moitié des vers.
Et comment se passe la mise en musique ?
J’utilise une autre IA générative, Udio, pour l’instant gratuite. Je lui donne le texte (plus précisément les 2 premières strophes uniquement) généré par ChatGPT, et des mots clés pour indiquer le style musical (par exemple : « pop, female vocalist, melodic, uplifting »).
L’IA me propose alors plusieurs versions, et je choisis celle qui colle le mieux à ma vision. Si je ne suis pas satisfait, je lui demande de recommencer. Ce processus peut être très long si on est exigeant, par exemple pour le morceau sur lequel je travaille en ce moment, j’ai dépassé la cinquantaine de propositions (j’ai donc subi une cinquantaine d’écoutes du même couplet dans des styles différents) ; on finit vite par avoir des vers mentaux (musiques obsédantes qui restent à l’esprit) !
Je signale que toute la procédure est expliqué dans un article du site académique de Nice dont je donnerai le lien à la fin.
Comment sélectionnez-vous le style musical ? Des critères particuliers ?
Comme indiqué plus haut, je donne des mots clés à l’IA, et souvent l’IA complète en en rajoutant d’autres (qu’il est possible de modifier).
Mon seul critère est que la musique ME plaise, étant donné que je vais en subir la réécoute des dizaines de fois. Cela, bien entendu est problématique puisque j’ai 3 fois l’âge de mes élèves et certainement pas leurs goûts musicaux. Si je les écoutais (je leur ai demandé leur avis) je n’utiliserais que le rap, ou des styles musicaux à la mode qui m’insupportent. Au final donc, c’est souvent de la pop ou du rock, mais j’expérimente d’autres styles comme la musique celtique.
Quels sont leurs retours ?
Comme dit précédemment, beaucoup d’élèves, surtout les garçons, et surtout les plus jeunes, auraient préféré du rap. J’ai créé quelques versions « rap » à leur demande, que je leur ai donné via Pronote, mais comme ce style m’insupporte il ne figure pas dans mes listes de lecture.
Pour le reste, je suis lucide, après consultation de mes classes, il ressort qu’une majorité d’élèves ne voient pas l’intérêt de cette approche, soit parce qu’il n’aime pas le style musical des chansons, soit parce que le texte est trop éloigné de ce qui figure dans le cours (du fait de la « licence poétique » indispensable).
Cependant, il y a dans chaque classe quelques élèves qui sont très sensibles à cette forme de communication, et qui me confient « écouter en boucle » mes chansons, notamment dans les transports en commun ou même le soir « pour se détendre ». Ne serait-ce que pour eux, je continuerai à composer des chansons. Les autres ne sont pas obligés de les écouter.
Quelle est alors la plus-value pédagogique ?
Il est clair que la chanson ne peut pas se substituer à la synthèse du cours. L’élève qui n’aurait que retenu la chanson serait bien embêté pour en tirer des définitions claires et rigoureuse, tant la licence poétique tronque et simplifie les notions. Mais justement, cette réécriture lyrique porte un éclairage moins « froid », moins « technique » sur le cours, on se rend mieux compte de l’épopée que représente la domestication des plantes, ou de la gravité des conséquences du réchauffement climatique. Sans faire des neurosciences à deux sous (tendance en vogue dans certaines formations), j’aurais tendance à dire que l’écoute d’une chanson activera des zones différentes dans le cerveau de l’élève, et notamment l’amygdale (émotions), et par ricochet l’hippocampe (mémoire).
En résumé, c’est un bon complément du cours, qui peut éveiller l’intérêt de certains élèves en apportant une dimension émotionnelle, mais aussi aider à ancrer certaines notions dans sa mémoire (en général les refrains se retiennent durablement après une simple écoute d’un morceau).
Propos recueillis par Julien Cabioch
Article académique décrivant la procédure
Dans le Café
Philippe Cosentino : Le modèle de Hardy-Weinberg à portée de clic
Philippe Cosentino : De l’intérêt pédagogique de la modélisation