Si on peut voir dans le dernier livre de Louise Tourret, « En finir avec les idées fausses sur l’École », une déclaration d’amour à l’école, la journaliste le présente plutôt comme « une déclaration d’intérêt public ». « Si on fait à l’école publique ce qu’on a fait à l’hôpital, on n’aura que nos yeux pour pleurer », nous confie-t-elle. En un plus de 200 pages, la productrice de l’émission de référence sur l’éducation de France Culture, Être et savoir, débunke près de quarante idées fausses sur l’École. Un livre qui, même s’il se veut à la portée de tous et toutes, s’appuie sur les constats de la recherche. Un petit guide de survie à utiliser sans modération lors des prochains dîners de famille…
Pourquoi ce livre maintenant ?
L’école publique est le ferment de notre société, elle est notre société. Elle est l’école de toutes et tous. L’école, ce sont les enseignants, les personnels de direction, les Atsem, les personnels d’entretien, les AESH… qui la font vivre au quotidien. Si on ne les soutient pas, on se tire, nous les parents et toute la société, une balle dans le pied. On a besoin d’avoir des enseignants motivés, qui se sentent reconnus.
Et aujourd’hui notre problème principal, c’est le manque de professeurs. Le manque de remplaçants, le manque de professeurs formés… L’École est en danger du fait du manque d’enseignants. Il nous faut donc défendre ce métier, le valoriser.
Grâce à la radio, j’ai pu rencontrer des centaines d’invités passionnants. Écrire m’a permis de poser certaines réflexions.
Les travaux de Géraldine Farges expliquent que si les profs sont dévalorisés dans notre société c’est parce que les politiques sont les premiers à tenir un discours négatif sur la profession, il faut les lire – comme ceux d’Anne Barrère – pour comprendre pourquoi la profession semble dévalorisée.
Alors ce petit livre, c’est une façon de rappeler que l’École est notre bien commun. C’est un peu notre mère à tous : c’est toujours à elle de faire que tout aille bien et c’est toujours de sa faute quand ça va mal. Ça fait beaucoup à porter pour les enseignants.
Il n’y a pas de solution unique, mais une fois qu’on a posé les choses, on peut y réfléchir plus calmement.
Comment expliquer la crise que rencontre l’École selon vous ?
Le regard sur l’éducation a changé. Notre société est de plus en plus individualiste. Les parents se sentent responsables, démunis parfois, dans un univers scolaire qui leur parait compétitif. Le recours à l’école privée peut s’expliquer par cette grande compétition, les parents se disent « on met tout ce qu’on pense comme chances du côté de notre enfant ».
Parcoursup matérialise cette compétitivité et l’effet qu’elle a sur les élèves et leurs parents. Même si tout le monde n’accorde pas la même place à la compétition, les réponses de Parcoursup sont interprétées comme l’aboutissement de toute la scolarité, il délivre une sorte de note globale des années passées sur les bancs de l’école. Nous, parents, sommes donc souvent démunis devant ce qui apparait comme une grande compétition dans laquelle on ne sait plus avec quelles cartes jouer. Même dans les familles les mieux dotées culturellement.
Sur ce sujet comme sur d’autres, ce livre veut donner des outils pour mieux comprendre les enjeux, pour vulgariser des références scientifiques. Mais l’idée de crise en éducation n’est pas nouvelle non plus ! Regardez les parutions des années 80 : « De l’école » de Jean-Claude Milner mais aussi « tant qu’il y aura des profs » d’Hervé Hamon et Patrick Rotman.
Enfin, l’École est une grande institution publique, si on lui fait des reproches – et je m’inscris dans une forme de critique en parlant des inégalités – c’est parce qu’on en attend toujours qu’elle s’améliore, c’est une belle ambition !
C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de votre livre : toutes les affirmations sont étayées par des recherches ou des chiffres fournis par l’éducation nationale. C’était un enjeu pour vous ?
J’en peux plus des discours sur l’éducation qui se basent sur les avis et les témoignages. Si on aime le savoir et l’éducation, et c’est mon cas, on doit se baser sur les savoirs. Et des connaissances produites en matière d’éducation, on en dispose – en sciences de l’éducation, en sociologie, en neurosciences…
On sait par exemple que les punitions « sèches » n’ont que peu d’intérêt. Quoiqu’on en pense à titre personnel – et je précise que je ne suis pas du tout laxiste, des travaux ont montré qu’on punissait généralement les mêmes élèves, sans grand résultat. Alors, pourquoi continuer à seulement punir, pourquoi annoncer des sanctions à tout va ? Il serait donc de bon ton que les décideurs s’emparent de ces connaissances qu’apportent les chercheurs – Sylvie Ayral, Eric Debarbieux, Bruno Robbes, voire pour certains et certaines qu’ils apprennent qu’elles existent.
Ce livre se veut accessible au plus grand nombre, il veut donner envie de dépasser les a priori, les déclarations médiatiques. Et puis, plus on s’intéresse à l’éducation, plus on a envie de lire sur le sujet. On n’a jamais fait le tour de la question, la réflexion est toujours renouvelée, les enjeux sont si forts…
Un peu plus de 200 pages pour débunker les plus grandes fausses idées sur l’école. Y a-t-il des thématiques sur lesquelles vous avez particulièrement aimé travailler ?
Oui ! L’enseignement mutuel, qui fait réfléchir à la manière dont les élèves pourraient travailler ensemble, de manière collaborative, en les impliquant dans le travail pédagogique. J’y crois fondamentalement. Il me semble important que les élèves travaillent, qu’ils soient acteurs et actrices, de leurs apprentissages. Les neurosciences le disent aussi !
Mon éditrice a, quant à elle, beaucoup aimé le chapitre sur les politiques éducatives où je montre que malgré les multitudes d’annonces en matière d’éducation, tout n’est pas appliqué, applicable. Certaines réformes n’arrivent même pas jusqu’aux établissements. Je ne suis pas sûre que les gens ont conscience de cette réalité.
La réforme du baccalauréat initié par Jean-Michel Blanquer avec des épreuves de spécialité en mars est très significative de ces annonces déconnectées des besoins du terrain, de la réalité du terrain. Prévu en 2020, il a été décalé en 2021 puis en 2022 à cause du Covid. Appliqué en 2023, on est revenu à des épreuves en juin dès 2024. C’est presque drôle, sauf pour les professionnels et leurs élèves… Ce chapitre montre que finalement, une réforme chasse l’autre.
Autre exemple emblématique et d’actualité : les groupes de niveau. En 1975, le collège unique était annoncé. Une réforme qui n’était pas du goût d’une majorité d’enseignants et enseignantes et le collège a pu fonctionner longtemps avec de bonnes classes et de moins bonnes suivant le choix des langues par exemple. De nombreux établissements ont fini par rompre avec ces pratiques. Près de cinquante ans après, Gabriel Attal revient dessus en instaurant les groupes de niveau. Et là, les personnels de l’éducation sont vent debout. Cela nous en dit beaucoup sur le temps qui doit être laissé aux réformes pour qu’elles s’installent. Aujourd’hui, le collège unique est une évidence pour la majorité de la profession.
Vous êtes aux manettes d’Être et Savoir depuis quinze ans. Vous êtes maintenant une spécialiste de l’éducation…
Je dois beaucoup aux chercheurs, aux historiens comme Claude Lelièvre, qui m’ont tant appris. Je dois beaucoup aux professeurs qui m’ont raconté leur métier, à ceux qui ont écrit des livres, à ceux que j’ai rencontrés avec leurs élèves lors des ateliers que je mène depuis des années, à ceux que j’ai rencontrés lors du peu de semaines où j’ai enseigné.
L’École, et l’éducation en général, est un sujet qui me passionne, vraiment. Et l’expérience m’enseigne qu’il y aura toujours des choses à raconter et à penser.
Enfin, je tiens à le dire, à l’affirmer, et je le fais dès l’introduction dans le livre, tout propos sur l’école, sur l’éducation est situé politiquement. Alors oui, ce petit livre est un outil que mets à disposition de tous et toutes pour défendre l’école. J’aime plaisanter en comparant l’École à nos mères. Elle est pleine de défauts, on aimerait tellement qu’elle fasse mieux, mais on lui doit tant ! Mon livre, c’est une déclaration d’intérêt public. Si on fait à l’école publique ce qu’on a fait à l’hôpital, on n’aura que nos yeux pour pleurer, surtout ceux qui comptent le plus sur l’École pour apprendre, pour s’émanciper.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« En finir avec les idées fausses sur l’École », Louisse Tourret, les éditions de l’Atelier