« Docs sur l’Éduc » est un podcast sur la pratique des métiers de l’éducation, en particulier dans les écoles et établissements de l’éducation prioritaire. Il est réalisé à Marseille par Alain Barlatier, documentariste et ancien enseignant. Chaque vendredi « Le café pédagogique » en publie un épisode (billet et entretien audio). Aujourd’hui, le podcasteur donne la parole à Clémentine Boutet, Conseillère Principale d’Éducation au collège Joséphine Baker dans le troisième arrondissement de Marseille. « Nous sommes dans un contexte social qui est difficile pour les familles et qui imprègne notre vécu professionnel. Cela empiète sur le cœur de notre travail. Mais il se passe plein de choses positives dans ce collège, nous arrivons à sortir de ce déterminisme. Les CPE d’une façon générale sont absorbés par la gestion de l’urgence, mais j’essaie dans la mesure du possible de m’en extraire et de construire des projets pédagogiques en lien avec mes missions», confie-t-elle.
Les caractéristiques du Collège Joséphine Baker
Le collège Versailles a été construit en 1966, démolit, puis reconstruit voilà deux ans, il a changé de dénomination et s’appelle désormais le collège Joséphine Baker. Il scolarise un peu plus de 500 élèves (pour une capacité d’accueil de 600) du troisième arrondissement de Marseille, un des plus pauvres de France et d’Europe1. L’Indice de Positionnement Social2 de l’établissement est de 67,3, il se situe à la 175ème place sur les 190 collèges publics et privés du département des Bouches-du-Rhône, selon cet indice. Le taux de réussite au brevet sur les six dernières années s’établit à 71 %, pour une moyenne nationale voisine de 90 %.
Il est classé REP+ comme tous les autres établissements publics de l’arrondissement. Il est rattaché à la cité éducative « Les Docks ». Il propose une classe ULIS et une section internationale – américain – ouverte depuis deux ans. Celle-ci recrute sur dossier et examen (les épreuves écrites et orales sont basées sur le modèle de la Cité scolaire internationale Jacques Chirac). Les élèves des deux classes existantes (6ème et 5ème) sont répartis par moitié dans deux classes différentes de même niveau.
Le travail d’une CPE en REP+
Clémentine a fait toute sa carrière de CPE en Éducation prioritaire que ce soit en tant que TZR, ou affectée en poste en lycée général, lycée professionnel ou en collège dans les quartiers situés au nord de la ville.
Le collège dans sa version actuelle est le dernier lieu où l’ensemble de la jeunesse grandit et travaille ensemble, nonobstant les inégalités liées à l’absence de mixité sociale. Une circulaire du 10 janvier 2015 définit les missions de la vie scolaire : « Placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective, de réussite scolaire et d’épanouissement personnel ». Pourtant la réalité est parfois très éloignée des objectifs ministériels.
Si les missions d’un.e CPE sont clairement définies : suivi des élèves, organisation du service de la vie scolaire, animation socio-éducative, le travail en pratique va bien au-delà quand il s’agit de REP+.
La Vie scolaire, un véritable service à l’intérieur de l’établissement
Les 18 personnes de la « vie sco » (deux CPE, seize assistants d’éducation) sont indispensables au bon fonctionnement de ce collège, au fonctionnement quotidien évidemment, au respect des règles permettant des conditions sereines d’étude mais aussi à la mise en place de nouveaux projets socio-éducatifs.
Bien que les assistants d’éducation aient des conditions précaires qui ne leur permettent pas d’espérer une évolution de carrière nombre d’entre eux sont très investis dans l’amélioration de leur statut (actions pour l’obtention de la prime REP+, CDIsation) et dans leurs activités professionnelles. Ils préparent souvent les concours du Ministère de l’éducation (Concours de recrutement de CPE, CAPES, CRPE…).
La dynamique de ces équipes tient beaucoup à la place que celles-ci ont au sein du projet d’établissement et aussi à la façon dont elles sont gérées.
Au-delà du traitement des problèmes urgents liés à la situation des élèves et/ou de leur famille, Clémentine refuse d’être mise sous pression en permanence et dégage du temps pour des projets éducatifs et culturels tels que l’animation d’évènements internes à l’établissement : organisation par exemple d’un carnaval en partenariat avec une association d’éducation populaire, sorties culturelles avec les élèves de Conseil de la Vie Collégienne, formation des délégués élèves et aussi formation des parents délégués… Ces actions qui ouvrent vers l’extérieur apaisent et apportent beaucoup au bon climat de l’établissement.
Le Conseil de la Vie Collégienne
« Les collégien·nes y sont élus sur la base d’une candidature, d’une profession de fois. Le chef d’établissement y est parfois présent, il consulte les délégués sur la vie interne de l’établissement, le nouvel aménagement de la cour de récréation par exemple. Mais la gestion du CVC revient principalement au(x) CPE. En ce qui me concerne, j’interviens plus sur l’organisation d’évènements avec les élèves en essayant de les associer au plus près des tâches pratiques. Ce sont eux qui choisissent les sorties au théâtre sur la base d’une proposition globale que je leur fais . Il s’agit pour moi de les rendre plus autonomes pour la réalisation d’une série de projets ».
Approfondir la relation avec les enseignants.
C’est sans doute un élément à améliorer dans le fonctionnement des collèges. De nombreux projets sont menés, mais, pour certains, ne sont pas pensés avec une cohérence pédagogique et culturelle collective. Le lien entre la salle des profs et la vie scolaire reste à approfondir. Et cette dimension devrait être travaillée par les équipes de direction.
L’importance de la stabilité des équipes.
Avec les années qui passent, les personnels sont repérés par les familles et telle ou telle personne devient une figure référente pour aborder tel ou tel problème, telle difficulté avec son enfant, telle difficulté familiale. Les familles ont besoin d’être rassurées face à un éventuel cas de harcèlement ou de violence, de savoir comment les personnels agissent dans ces cas-là . Cela est vrai pour un·e CPE, mais aussi pour l’assistante sociale, un·e enseignant·e, un personnel de direction…
Protéger les établissements de la violence urbaine
« Nous arrivons à mettre à distance cette violence. Mais nous sentons aussi que certains élèves peuvent marcher sur un fil et à ce moment-là nous intervenons directement auprès du jeune en question avec sa famille. Les familles ont peur dans leur quartier, elles voudraient bien déménager mais n’en ont pas les moyens. ».
Quel bilan de l’Éducation Prioritaire ?
« Je pense que l’on demande trop à l’école qui ne pourra pas à elle toute seule résoudre tous les problèmes. Ce sont des questions de politique générale qui dépassent le domaine de l’éducation, telles que la politique de la ville par exemple. Les établissements qui se ghettoïsent ne peuvent répondre à toutes les situations. Il faudrait par exemple revoir globalement les cartes scolaires et cela va au-delà des moyens alloués. »
L’augmentation de la demande des familles qui relève de dispositifs d’Élèves à Besoins Particuliers (Segpa, Ulis, UPE2A…) ne trouve pas forcément de réponses faute de places correspondant à ces situations. En conséquence ces élèves qui sont affectés dans les classes dites « classiques » ne peuvent trouver une réponse adéquate et même contribuent à leur corps défendant au dysfonctionnement du système.
Sur un autre point de vue, les actions qui sont menées dans le cadre de l’Éducation Prioritaire et financées dans le cadre de Cités Éducatives, si elles sont les bienvenues, ne font jamais partie d’une démarche pérenne et sont des activités proposées au coup par coup aux équipes pédagogiques. Elles ne peuvent pas constituer, même mises bout à bout, une politique éducative globale et relève plus de l’effet d’annonce et du saupoudrage. C’est une limite importante de l’exercice et cela ne permet pas de dessiner des axes forts au niveau d’un territoire et d’un groupe social.
Les conditions de travail.
Améliorer les conditions des personnels, sur le plan qualitatif et quantitatif est indispensable pour un meilleur fonctionnement : « Dans notre collège, on pourrait être quatre CPE et cela ne choquerait personne. Nous n’arrivons pas à tout traiter et ce que nous faisons se réalise avec une surcharge mentale énorme. On ne peut pas imaginer toute une carrière sur ce mode-là. Mais il faut aussi balayer devant notre porte : travailler plus collectivement contribuerait aussi à nous donner plus de souffle. »
Pour écouter l’intégralité de son entretien, cliquer ICI
Alain Barlatier
Contact : barlalain@gmail.com
Notes :
1 / La ville du grand écart social
Le taux de pauvreté de la ville est de 25,1 % à Marseille. Elle se concentre dans les arrondissements du nord et du centre de la ville. Dans les 1er, 2ème, 3ème, 14èmeet 15ème, les taux de pauvreté sont supérieurs à 39 %. Ces cinq arrondissements figurent parmi les quinze communes (ou arrondissements municipaux pour Paris, Lyon et Marseille) les plus pauvres du pays. Le 3ème arrondissement de Marseille est le plus touché : plus d’un habitant sur deux (51,3 %) vit sous le seuil de pauvreté.
La pauvreté se situe dans les zones les plus densément peuplées alors que la partie sud de la ville et les communes limitrophes connaissent des densités moins fortes et des taux de pauvreté beaucoup moins importants.
2/ L’Indice de Positionnement Social, un outil à manipuler avec précaution.
Depuis maintenant deux ans, l’IPS des écoles et établissements est rendu public. C’est sans doute une bonne chose mais il reste à savoir ce que l’on en fait. Cela peut être un outil pour lutter contre les ghettos scolaires, mais utilisé dans le sens contraire, il peut servir d’argument renforçant l’entre-soi régnant notamment dans la grande majorité des écoles privées.
Au niveau national l’IPS est évidemment plus élevé dans les établissements privés, mais des disparités existent également entre les établissements publics: l’IPS moyen des collèges hors éducation prioritaire est d’environ 105, contre 84 pour le réseau d’éducation prioritaire et 71 pour les REP+.
Le profil d’un établissement ne peut se résumer à cet indicateur et bien souvent les écoles et collèges scolarisant des populations en difficulté sociale et scolaire sont des trésors de créativité et d’innovation pédagogique.
Néanmoins, Marseille étant la ville du grand écart social il est utile de rappeler quelques chiffres.
Les 15 premiers collèges classés selon leur IPS sont tous des établissements privés, tout comme les 25 des 30 premiers collèges classés. Cela en dit long sur la fracture scolaire de cette ville où un élève sur deux n’est pas scolarisé dans le secteur défini par la carte scolaire et où 40 % d’entre eux vont dans le privé en centre-ville.
L’écart ,au niveau des collèges, se situe entre le mieux loti, le collège privé de Provence (IPS à 153) et le plus démuni, le collège public Édouard Manet situé dans le 14ème (IPS à 56,7).
Les collèges publics du troisième arrondissement ont un IPS variant de 62,4 (Quinet) à 67,3 (Baker). Ce phénomène se retrouve évidemment au niveau des écoles marseillaises (l’IPS varie sur la ville de 59 à 152).