La Depp – Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance – présente les résultats de l’enquête Praesco (pratiques enseignantes spécifiques aux contenus), conduite en 2021 auprès d’enseignant·es de CM2. Si cette enquête nous apprend – ou pas d’ailleurs – les difficultés de la mise en place de la différenciation en classe, elle permet aussi, si ce n’est surtout, un focus intéressant sur les gestes professionnels : prise en charge de l’erreur, organisations pédagogiques, pédagogie explicite…
La différenciation, un enjeu majeur pour les enseignant·es
L’enquête Praesco, qui vise à décrire les pratiques d’enseignement du français, se base sur les réponses de 1 674 professeurs des écoles exerçant dans des classes accueillant des élèves de CM2 en 2020-2021. « Lorsque l’on interroge les enseignants de CM2 sur les conditions qui rendent difficile leur travail d’enseignement du français, ils sont plus de huit sur dix à mentionner le manque de temps pour aider les élèves qui en ont besoin (89 %) et les écarts de niveaux entre les élèves dans la discipline (81 %) » écrivent les autrices et auteurs. Une réponse qui n’est pas sans rappeler celles recueillies lors d’une enquête de Cécile Allard menée en 2019. L’enquête Epode 2018 avait elle aussi montré que de nombreux enseignants considèrent « comme complexe la mise en place des pratiques relatives à la prise en charge des besoins spécifiques des élèves ».
Pour les enquêté·es, la difficulté de prise en charge de l’hétérogénéité des élèves est majoritairement liée au manque de temps. Près de neuf enseignant·es interrogé·es sur 10 estiment que le manque de temps est un facteur de difficulté de l’enseignement en français, un sur sept en mathématiques.
Si l’enquête Praesco révèle qu’un professeur des écoles interrogé sur deux déclare « avoir participé au moins une fois à une activité portant sur les pratiques de différenciation pédagogique (46 %) ou sur la difficulté scolaire (45 %), et un sur trois déclare s’être formé à ces deux contenus », le service statistique du ministère rappelle « le besoin élevé de formation continue aux approches pédagogiques individualisées, exprimé par 28 % des professeurs des écoles (en élémentaire) dans le cadre de l’enquête Talis 2018, plaçant la France en tête des pays européens enquêtés ».
Une grande majorité des professeur·es s’accordent sur l’importance de traiter l’hétérogénéité de leurs élèves, même si beaucoup expriment des difficultés à la prise en charge de celle-ci. « Par exemple, 66 % des enseignants estiment qu’il est important de mettre en place des activités amenant les élèves à travailler individuellement selon des parcours personnalisés dans le cadre de l’enseignement du français, mais ils ne sont que 39 % à le faire fréquemment ». Lourdeur et complexité de la mise en place de la différenciation pédagogique sont les principaux freins selon l’enquête.
22% seulement se déclarent « une grande capacité à appliquer des méthodes différentes ». « Ce qui les place en deçà de leurs homologues européens ayant participé à l’enquête », précise la note. Un biais à sans doute mettre en lien avec le manque de formation.
Le manque d’harmonisation des pratiques est aussi un des éléments émergents de cette enquête. « Dans les écoles comptant plus d’un enseignant de cycle 3, seule la moitié des enseignants harmonisent leurs pratiques pour l’enseignement de la grammaire de la phrase, ils ne sont que 44 % à le faire pour l’orthographe, 37 % pour la fluence de lecture, 35 % pour la compréhension de textes écrits, 34 % pour le vocabulaire et 28 % pour la compréhension et l’expression orales ».
Focus sur les gestes professionnels
En Français, les deux domaines d’enseignement dans lesquels les professeur·es des écoles se sentent le plus en difficulté sont la production d’écrit et la compréhension de textes écrits. Pourtant, ils sont plus d’un sur deux à avoir bénéficié d’au moins une activité de formation dans ces domaines dans les cinq dernières années. Étude de la langue, orthographe grammaticale et lexicale sont des domaines estimés relativement « faciles » à enseigner.
S’agissant de la prise en charge de l’erreur, 71% des enseignants et enseignantes utilisent le tableau comme outil de remédiation (correction au tableau) lorsqu’au moins 5 ou 6 élèves font la même erreur, un sur deux procède « à une remédiation auprès des élèves concernés », un tiers en travaillant individuellement avec chaque élève concerné. « Par ailleurs, lorsque les enseignants ont fait travailler leurs élèves de CM2 sur des erreurs, 83 % d’entre eux ont pris fréquemment appui sur des erreurs récurrentes observées en classe et 50 % sur des erreurs observées en classe même s’il n’y avait que deux ou trois élèves concernés. Enfin, lorsqu’ils observent le travail de leurs élèves de CM2 (en circulant dans les rangs, par exemple), 92 % des professeurs déclarent le faire fréquemment pour aider immédiatement ceux qui se trouvent en difficulté et 87 % pour identifier les éventuelles erreurs commises par les élèves », complètent les autrices et auteurs.
Concernant les organisations pédagogiques privilégiées par les enseignant·es, l’étude permet d’identifier cinq profils d’enseignant·es. « Parmi ces cinq groupes, deux profils principaux d’enseignants se distinguent : ceux des groupes 3 et 5 (qui représentent environ un tiers des enseignants), dont l’enseignement, caractérisé par une phase de découverte précoce, se rapproche d’une démarche de type « constructiviste » et ceux des groupes 1, 2 et 4, dont l’enseignement est davantage tourné vers la nécessité de rendre « plus explicite » l’action pédagogique, que ce soit par l’énonciation des objectifs d’apprentissage et de l’organisation de la séance avant la mise en activité des élèves ou par la focalisation de l’attention des élèves sur l’objet d’apprentissage. Quel que soit le groupe identifié, la phase de modelage est peu fréquemment positionnée en début de séance comme on pourrait l’attendre dans le cadre d’un enseignement explicite ».
Quant aux approches, explicites ou par la découverte, les autrices et auteurs ne notent pas de clivage marqué. « Si deux voies d’enseignement du français sont clairement identifiables en classe de CM2, elles ne sont pas forcément exclusives l’une de l’autre pour chacun des éléments observés. En effet, une approche de type explicite peut tout de même s’accompagner de l’utilisation de supports complexes et d’activités complexes, tout comme une entrée par la découverte peut ensuite s’accompagner du recours à des supports simples, des activités étayées et un bilan explicite. La principale opposition se situe plutôt au niveau du choix des supports (simples ou complexes) et c’est cette opposition qui semble la plus structurante pour capter l’orientation pédagogique des enseignants ».
Les écarts de pratiques sont beaucoup liés à l’ancienneté dans le métier, nous apprennent les autrices et auteurs. Les enseignant·es les lus chevronné·es utilisent plus facilement des documents issus d’autres domaines que le français et la littérature là où les plus jeunes ont plus recours à des fichiers ou aux manuels. « Les enseignants de 20 ans d’ancienneté ou plus semblent un peu plus nombreux à favoriser des pratiques encourageant les élèves à adopter une posture réflexive vis-à-vis de leur apprentissage », poursuit la Depp. « Par exemple, lors de l’entrée dans cette première séance, 85 % d’entre eux sont d’accord avec la proposition « Les élèves répondent à des questions ouvertes qui les poussent à se questionner sur la règle d’accord », contre 75 % des professeurs de moins de 10 ans d’ancienneté ».
Lilia Ben Hamouda