Notre nouvelle chronique vous propose de partager les réflexions de cinq enseignant·es ordinaires travaillant en milieu urbain, mais avec des parcours, des expériences et des spécialisations différentes.
Daphné : Avant de parler des apprentissages, je pense à l’importance pour les parents de parler avec leurs enfants de ce qu’ils ont fait dans la journée. Rien que cela est essentiel pour donner du sens à ce que l’enfant a fait et a appris en classe.
Denis : Mais ce sera plus accessible aux parents qui ont du temps ou qui n’ont pas une situation de vie compliquée (heures de travail, fatigue, espaces de la maison réduits)
Daphné : Pour les devoirs, accompagner les enfants, ce n’est pas facile pour tous les parents, mais en revanche, interroger son enfant sur ce qu’il vit à l’école, c’est davantage possible, ça ne prend pas beaucoup de temps et ne demande pas de connaissances préalables.
Cyrille : Je ne suis pas d’accord, rien que ça peut être très difficile pour certains parents. Il y en a qui n’ont pas du tout le temps (travail de nuit par exemple) ou qui sont exténués par leur travail. Mais aussi d’autres qui n’ont pas même l’idée de demander comment s’est passé la journée de son enfant, parce que c’est trop éloigné de ce qu’ils ont eux même vécu enfants. Et ils ont encore moins l’idée de demander ce qu’ils ont appris. Il faudrait ensuite accepter que son enfant de 7 ans va peut-être te parler, comme une évidence, de choses que tu ne connais pas du tout, comme les homophones grammaticaux ou l’histoire de France.
Aude : Il faudrait changer la nature des devoirs. S’ils étaient d’abord consacrés à ce que l’enfant montre une partie de ce qu’il a appris à l’école, ce serait mieux pour toutes les familles. Il y aurait une modification des devoirs à faire, une vraie révolution. Car on ne s’en sort pas du problème des devoirs : on perd des parents.
Denis : Oui, des devoirs pour établir le lien entre l’école et la famille : lire le journal hebdomadaire de la classe avec son enfant, chercher ensemble un objet de la maison avec tel ou tel son pour le ramener à l’école…
Daphné : Il y a là une mémoire affective : « Tu te souviens, tu as apporté cet objet ! »
Aude : Et là, ça fait rentrer les apprentissages. La question est comment faire rentrer les apprentissages de l’école à la maison ?
Eve : Il me semble que les parents ont besoin de s’impliquer de plus en plus dans la scolarité de leur enfant. Je m’interroge pourquoi ?
Denis : Je pense qu’il y a une inquiétude sur ce que va devenir l’enfant : est-ce qu’il va réussir ? Une inquiétude sociale sur l’avenir.
Aude : Il y a peut-être aussi implicitement une demande de l’école pour qu’un certain nombre de choses soient refaites à la maison. Mais en fait, nous ne demandons pas cela aux parents.
Denis : Pour moi, il y a un rapport indirect des parents aux apprentissages qui doit rester indirect. Ne pas refaire de la lecture ou des calculs. Alors, on va plutôt proposer d’aller en bibliothèque, de leur lire des histoires, de sortir de la maison…
Aude : Il y a un malentendu.
Daphné : Voire pire : les parents qui anticipent ce qui va être fait en classe pour faire réviser à l’avance à la maison.
Aude : Nous ne sommes peut-être pas clairs.
Eve : Ils empiètent sur le cadre de l’école en croyant bien faire. Peut-être parce qu’ils n’arrivent pas à poser leur propre cadre de parents.
Cyrille : Il y a aussi des parents qui estiment remplir leur mission d’éducation simplement en envoyant leur enfant à l’école tous les jours, propre et bien nourris.
Denis : Ça pose aussi la question de la formation de « parents d’élèves ». Un parent fait avec son enfant ce qu’il sait faire et ce qu’il a fait lui-même à l’école.
Daphné : Les parents qui vont avoir conscience que ce qui nourrit le plus leur enfant, ce seront les sorties, les lectures partagées, les jeux de société, la découverte de la nature, ce seront plutôt des parents qui ont déjà des codes. Il y a là une grande inégalité.
Aude : D’où l’idée de « café des parents », par exemple pour aider les parents à comment lire des histoires.
Cyrille : Oui, et il faudrait aider les parents dans leurs missions le plus tôt possible. Dès la petite section, voire même avant en crèches et PMI. Parce que on voit bien qu’à 3 ans, en PS, les enfants ont déjà d’énormes différences qui ne font souvent que s’accentuer ensuite.
Denis : L’idée de complémentarité est vraiment importante. Il faudrait des temps d’échange parents-enseignants pour la favoriser. Rapprocher l’école et les parents, notamment pour certaines familles éloignées de l’école.
Aude : Par exemple, en filmant un moment de classe et en le visionnant avec les parents lors d’une réunion pour décrypter ensemble ce qui se passe dans une classe. Il y a des années, il existait une « semaine des parents à l’école » : on les accueillait dans la classe par petits groupes.
Denis : J’avais l’habitude, quand j’avais une classe, d’accueillir les parents un mercredi matin par période pour leur parler de ce que nous faisions en classe et partager un moment convivial.
Eve : Ça permet d’impliquer tous les enfants.
Aude : Et donner du sens aux apprentissages.
Cyrille : C’est une super idée ! Mais je me dit que ça doit faire peur à beaucoup d’enseignants. quand je pense au nombre de collègues qui ont toujours la porte fermée. Il faudrait une dynamique d’école pour bousculer un peu certains profs.
Daphné : La réunion de début d’année est un moment-clé de l’année. C’est le moment où nous pouvons notamment poser le partenariat enseignant-parents. Nous explicitons ce que nous attendons d’eux, mais aussi ce que nous n’attendons pas. Il y a souvent trop d’implicite dans nos rapports, et en plus, d’un enseignant à l’autre, ça peut changer.
Aude : Les parents ressortent souvent différents des réunions de rentrée. Et nous observons aussi un changement de posture des enfants après cette réunion : nous sentons que les parents ont modifié leur discours sur l’école et qu’il y a déjà une forme de co-éducation.
Denis : Reste le problème de ceux qui ne seront pas présents à la réunion…
Cyrille : La réunion de rentrée est importante mais ce n’est pas la plus importante d’après moi car les enfants n’y sont pas présents. Et je pense que c’est capital que les enfants nous voient avec leur parents, que leur parents voient et partagent les apprentissages, le matériel, les lieux . Ça permet de forger des souvenirs commun, mais surtout d’éviter les conflits de loyauté, de faire comprendre à l’enfant (et aux parents) que parents et profs sont partenaires.
Eve : En tout cas, plus nous parvenons à impliquer l’enfant dans ses apprentissages, moins le parent aura besoin de s’y impliquer.