Si l’’hétérogénéité de la classe ne fait plus débat, par contre comment la gérer devient un enjeu politique. « L’hétérogénéité est un fait constitutif de la classe. La question à se poser est, pour un enseignant-e, comment la gérer et faire de cette diversité un atout pour une meilleure efficacité du système éducatif ? Plutôt que de nier et de vouloir combattre cette réalité. » « Docs sur l’Éduc » est un podcast sur la pratique des métiers de l’éducation, en particulier dans les écoles et établissements de l’éducation prioritaire. Il est réalisé à Marseille par Alain Barlatier, documentariste et ancien enseignant. Chaque vendredi « Le café pédagogique » en publie un épisode (billet et entretien audio). Aujourd’hui, le podcasteur donne la parole à Caroline Hache qui présente l’état de la recherche en sciences de l’éducation, notamment sur la notion de l’hétérogénéité de la classe et les réponses possibles à apporter à celle-ci.
Caroline Hache est enseignante-chercheuse en « Sciences de l’éducation et de la formation » à la Faculté des Arts, Lettres, Langues et Sciences Humaines (ALLSH) d’Aix-Marseille Université ( AMU). Elle prépare les étudiants à la Licence et au Master et mène des recherches sur « l’excellence en Education prioritaire », elle intervient aussi ponctuellement à l’INSPE d’Aix-Marseille.
Elle a d’abord été professeure des écoles dans un quartier prioritaire de la ville.
Sa première rentrée scolaire a été un véritable choc après qu’elle se soit rendu compte que les élèves de l’éducation prioritaire ne ressemblaient en rien à la caricature qu’elle s’en faisait et qui était véhiculée par le système dominant. Devant une classe de CE1, elle rencontre des élèves respectueux, avides d’apprendre et de comprendre, engagés dans leur apprentissage. Beaucoup savaient lire, certains étaient d’excellents élèves. L’excellence existait donc dans les écoles des quartiers populaires. C’est ce premier constat qui a bouleversé le déroulé de sa carrière débutante. C’est ce qui l’a motivée à continuer ses études en sciences de l’éducation « pour comprendre ce qui se passait dans la classe », à réussir un Master et à soutenir en 2016 une thèse : « Les enseignants face à la réussite scolaire des élèves de ZEP ». Elle est depuis maitresse de conférences à Aix Marseille Université et conduit aussi des recherches collaboratives avec plusieurs équipes pédagogiques sur la relation école/famille.
Que faire des élèves excellents en Éducation prioritaire ?
L’excellence n’est pas un débat, c’est un fait avéré, complètement effacé du discours politique institutionnel. « La première chose que j’ai faite au commencement de ma recherche, ça a été de proposer un questionnaire à plusieurs milliers d’enseignants travaillant en école élémentaire en REP+, sur cette question. J’ai reçu 2500 réponses et il en est ressorti qu’il y avait, à ce moment-là, en moyenne 2,5 élèves considérés comme excellents par classe dans les écoles de l’éducation prioritaire. La question que l’on pouvait alors se poser était que faire de ces élèves ? comment agir face à l’hétérogénéité de la classe ? ».
Certains choix politiques ont conduit à séparer ces élèves du reste de la classe en créant des groupes de niveau, des classes à profil particulier visant des formations considérées comme représentatives de la réussite scolaire – n’existe-t-il que Sciences Po Paris pour réussir ? – , de les couper même de leur milieu, par exemple via les internats d’excellence éloignés géographiquement des familles et de l’environnement social. L’un d’eux était situé à Barcelonnette pour l’académie d’Aix-Marseille, à plusieurs centaines de kilomètres du quartier d’origine. Les élèves y allaient en car le lundi matin et rentraient chez eux dans la journée du samedi.
L’objectif affiché est d’homogénéiser les groupes (par le haut et par le bas) à partir d’un milieu social de facto hétérogène. Cette politique s’est faite dans le cadre d’une certaine interprétation de l’éducation prioritaire, loin de sa conception annoncée lors de la création des ZEP. Elle a eu des résultats mitigés, comme plusieurs chercheurs, dont Patrick Rayou l’ont démontré.
« Il y a deux façons d’approcher un groupe, soit tu l’appréhendes à partir d’un point commun et ce sera, dans ce cas-là, un groupe homogène (la classe dans son intégralité par exemple NDLR), soit tu l’étudies à partir des singularités de chacun et dans ce cas il sera hétérogène. » Dans une même classe, un·e enseignant·e peut alors conduire une activité commune pour tous à partir de ces aspects communs et à d’autres moments de la journée, partir des spécificités de chacun et s’adresser à plusieurs entités distinctes. Cette approche rend caduque la notion « d’homogénéité versus l’hétérogénéité » et invalide toutes les hypothèses sur lesquelles se sont appuyés les adeptes du différentialisme pédagogique. Adeptes qui ont défendu le bouleversement programmé du collège actuel.
Le côté positif de l’hétérogénéité est de partir des différences existantes et d’en tirer profit. Un·e enseignant·e d’une classe multi-niveaux (en école rurale par exemple) a souvent recours à un système de tutorat où les élèves les plus avancés (les plus âgés dans ce cas particulier) viennent aider les plus jeunes. Ils sortent valorisés du rôle imparti même s’ils connaissent des difficultés scolaires. Cette pratique est aussi monnaie courante dans les classes de l’éducation prioritaire où le professeur demande aux « bons » élèves d’aider leurs camarades en difficulté. La notion de « bons » pouvant varier d’une discipline à l’autre. « Quelle société voulons-nous construire si nous considérons que les élèves d’une même classe doivent avoir le même profil, être tous des clones ? […] C’est vrai qu’un tel public, s’il existait, faciliterait la charge de travail de l’enseignant […] C’est une réelle difficulté de s’adresser à un groupe hétérogène mais c’est pour moi une nécessité. »
Toutes les recherches en sciences de l’éducation montrent que les groupes de niveau ne fonctionnent pas. De toutes façons, il y aura toujours une tête de classe et des élèves en difficulté quel que soit le niveau considéré – voir pour cela les travaux de Vincent Dupriez et Hugues Drealants in « Classes homogènes versus classes hétérogènes : les apports de la recherche à l’analyse de la problématique » (2004).
Donner plus à ceux qui ont le moins était le point de départ affiché de l’éducation prioritaire en 1981/82. Ce principe découlait du constat que le collège unique de René Haby (1975), même s’il partait d’un présupposé généreux, ne pouvait pas fonctionner avec une approche « indifférente aux différences ». La volonté d’augmenter le niveau des savoirs et des qualifications d’une nation, rendait nécessaire de s’adresser (de façon différenciée dans certains cas) à l’ensemble de la population.
Aujourd’hui ce n’est plus cette piste que le pouvoir politique suit, bien au contraire. Il avance sur les chemins dangereux du tri social, de l’orientation précoce vers des formations dévalorisées et en conséquence dévalorisantes pour celles et ceux qui les suivent. Il suffit pour cela de voir par exemple l’image dégradée de l’enseignement professionnel alors que celui-ci pourrait être une voie d’excellence pour nombre de métiers indispensables à la vie et au développement de notre société.
À trop vouloir individualiser et à isoler l’élève de son groupe, celui-ci arrive à une perte de repères sociaux. Le jeune adulte en formation n’a plus de vision globale de la société et se meut dans un entre-soi (de riches comme de pauvres) où il ne perçoit pas les enjeux du monde contemporain. Il s’adapte à une pratique sociale de plus en plus repliée sur elle-même. En rompant le lien avec son groupe classe d’origine, l’élève est enfermé dans un ghetto scolaire supplémentaire. Après celui de l’école ou du collège du quartier voici celui des groupes de niveau.
La quasi-unanimité qui s’est constituée contre le choc des savoirs a permis de faire bouger les lignes et de desserrer l’étau. Les enseignants disent aujourd’hui « nous ne trierons pas nos élèves à la rentrée », les personnels de direction semblent prendre la même direction, certains considérant que le besoin principal d’un élève est de conserver ce sentiment d’appartenance au groupe classe dans sa globalité. Les groupes qui seront ainsi constitués à la prochaine rentrée scolaire pourraient alors répondre à tel ou tel besoin ponctuel au sein même de la classe, sans casser la cohérence et la dynamique de celle-ci.
La réforme Blanquer du lycée a elle aussi fait voler en éclat la notion de classe constituée sur la base d’un projet d’études cohérent. Elle entraine d’importantes souffrances chez les lycéens, invisibilise les parcours scolaires, complique la tâche des enseignants et des parents, affaiblit l’efficacité pédagogique du lycée.
Ce bilan très négatif est posé pour des adolescents qui ont entre 15 et 18 ans. Il serait encore plus grave pour des enfants sortant du CM2, avec une école primaire basée sur le principe d’une classe/un·e enseignant·e. Il faut savoir raison garder et tirer toutes les leçons d’un passé récent.
Devant une telle cécité politique, entendre et prendre en compte le point de vue des praticien·nes et des chercheur.es reste la seule solution réaliste pour l’avenir de l’école publique.
« La gestion de l’hétérogénéité est un vrai sujet et je pense que face à une même prescription, les équipes enseignantes sauront trouver les réponses en fonction de leur contexte particulier et montreront leur potentiel de créativité. »
Alain Barlatier
Contact : barlalain@gmail.com
Pour écouter l’intégralité de son entretien, CLIQUER ICI
Bibliographie sommaire de Caroline Hache:
Elle est l’autrice de deux ouvrages, le premier reprenant les résultats de sa thèse s’intitulant : « L’excellence scolaire en éducation prioritaire : quelles perceptions chez les enseignants ? » paru aux éditions PUR[1] ; le deuxième « L’échec scolaire » de la collection Mythes et Réalités coécrit avec Caroline Ladage et Jean Ravestein, aux éditions Retz[2].
Elle a publié plusieurs articles, dont un paru aux Cahiers pédagogiques « Réussir en éducation prioritaire ? », un autre « Les représentations des enseignants de ZEP sur la relation école/famille à travers le prisme des élèves en grande réussite scolaire »[3] et enfin : « La gestion de l’hétérogénéité dans les ZEP, entre échec et excellence scolaire. Une question d’éthique professionnelle. »[4]
- https://pur-editions.fr/product/6112/l-excellence-scolaire-dans-les-zep ↑
- https://www.editions-retz.com/enrichir-sa-pedagogie/mes-connaissances-educatives/l-echec-scolaire-9782725640280.html ↑
- https://hal.science/hal-01458125 ↑
- https://amu.hal.science/hal-03008346/document ↑