Depuis le 26 février dernier, les élèves du 93 ont cours par intermittence. Pas par manque de professeur·e seulement – ça on s’y fait presque dans ce département, mais parce que leurs enseignants et enseignantes se mobilisent. Ils et elles demandent un plan d’urgence pour le département évalué à 358 millions d’euros, une broutille face aux 3,5 milliards investis pour les Jeux olympiques dans ce même département dénonce l’intersyndicale éducation (CGT Éduc’Action, CNT éducation, FSU et Sud édiction). Nombreux et nombreuses étaient donc les enseignant·es grévistes en Seine-Saint-Denis, à l’image de cette école maternelle du nord du département qui était fermée, faute de professeur·es. Une situation assez rare dans cette petite école de 7 classes. Madeleine*, la directrice, et ses collègues Mila* et Enzo* nous expliquent pourquoi ils ont sauté le pas cette fois-ci. Parce que faire grève un jour de rentrée, c’est loin d’être anodin.
Madeleine est directrice de cette petite école maternelle de sept classes coincée entre deux grandes cités de la Seine-Saint-Denis depuis 21 ans. Par choix. « J’ai commencé à enseigner en éducation prioritaire, ce que l’on appelait les ZEP à l’époque. J’ai atterri dans le bassin un du département, le territoire le plus pauvre du département, par hasard, et j’y suis restée ». « La galère, je connais. Je crois qu’on s’y est même habitué », nous raconte Mila, arrivée à peu près en même temps que Madeleine dans l’école. « Mais le mépris, on ne peut s’y habituer. Le mépris ne nos élèves, le mépris de leurs familles, le mépris de notre profession ». « On savait ne rien espérer de ce gouvernement, mais là cela dépasse l’entendement », renchérit Enzo, arrivé il y a quelques années dans l’enseignement.
Le 5 avril, très peu des neuf enseignants et enseignantes avaient arrêté leur décision. « C’est le travail pugnace des syndicats qui a fini de nous convaincre », raconte Madeleine. « On a une boucle WhatsApp qui nous informe de toutes les actions menées, des réponses apportées par l’administration et les politiques à notre mal-être, au manque cruel de moyens auquel nous sommes confrontés. On a suivi avec attention les audiences de l’intersyndicale, au rectorat, à Matignon et au Ministère ». « On a été floués, on nous a fait espérer que notre situation serait prise en compte », s’exaspère Enzo. « Tout cela c’était du vent. Ce gouvernement, c’est une arnaque, leur spécialité, c’est la communication, mais il n’y a rien derrière. Ils n’arrêtent pas de nous prendre pour des idiots. Tous les Français, pas seulement nous. Là, ce n’est plus possible ».
Si le jeune enseignant a accumulé cinq jours de grève depuis le 26 février, c’est le premier pour Mila et Madeleine. « On est motivées, c’est le premier jour, mais pas le dernier », affirme Mila. « Les parents sont avec nous, ce combat, on le mène pour eux avant tout, ils en ont conscience », confirme sa collègue.
Une mobilisation recors des enseignant·es du premier degré depuis le début du mouvement
« Les collègues du premier degré en ont ras-le-bol », nous explique Caroline Marchand, co-secrétaire départementale de la FSU-SNUipp, syndicat majoritaire chez les enseignant·es du premier degré. « Lors de la dernière période (entre les vacances d’hiver et de printemps, ndlr), les absences non remplacées ont connu un pic inégalé. La direction académique n’a pu assurer que 40% d’entre elles. C’est donc 60% des élèves dont l’enseignant était absent qui n’ont pas eu classe ». Dans une école de la ville de Saint-Denis, 50 élèves se sont ainsi retrouvés dans la cour, sans enseignant, lundi 22 avril au matin. Pas à cause de la grève, mais parce que leurs professeurs sont absents et non remplacés. « Une absence prévue et qui court jusque fin mai », précise la responsable syndicale.
Si les professeur·es des écoles se sentent concerné·es par la mise en place des groupes de niveau, c’est surtout la situation actuelle du département qui mobilise : le non-remplacement, l’accueil des élèves en inclusion, le manque d’enseignants spécialisés…
« Faire grève à la rentrée, c’est rare, ce n’est pas anodin. Ça donne une idée du niveau d’exaspération de la profession », ajoute Caroline Marchand. Le syndicat annonce beaucoup d’écoles fermées, et 30% des enseignants du premier degré en grève. Le rectorat, quant à lui, reconnaît 13% de grévistes dans le premier degré (9 dans le second). Beaucoup plus que le 26 février dernier. « Les collègues du second degré ont lancé une dynamique. La diversité des modes de mobilisation, le travail d’information mené par les syndicats finit par payer. Aujourd’hui, les collègues prennent leur responsabilité ». Et elle prévient, « ce n’est que le début. Les collègues professeur·es des écoles organisent un turn-over pour que tous les jours certains et certaines soient en grève. 30% sont en grève aujourd’hui, ils et elles seront aussi nombreux et nombreuses demain ».
Lilia Ben Hamouda