Si pour le Premier ministre, les jeunes et leurs familles sont responsables d’une prétendue hausse de la violence et du manque de civisme, Yannick Trigance, spécialiste politique des questions d’éducation, pointe pour sa part les défaillances de l’État et des politiques menées par les différents gouvernements Macron.
À grand renfort de communication mais sans véritables nouvelles annonces, Gabriel Attal, un des trois Ministres de l’éducation nationale avec Emmanuel Macron et Nicole Belloubet, vient d’annoncer un train de mesures contre les élèves « perturbateurs » et les violences qui en découlent : placement en internat, sanctions sur les diplômes du Brevet des collèges, du CAP et du Baccalauréat, « commission éducative » – reproduction du conseil de discipline du second degré – dès le primaire malgré les réticences des enseignants et des chercheurs, mention apposée sur le dossier Parcoursup, doublement des cours d’éducation civique – comme si les enseignants ne traitaient pas de ce sujet – …
Au final, Gabriel Attal dit vouloir « une école du civisme, de la règle commune, du respect de la règle, des droits et devoirs et de la responsabilisation de tous. »
Mais cet objectif ne devrait-il s’appliquer qu’aux seuls élèves et à leurs parents ? Qu’en est-il du respect, des devoirs et de la responsabilité de celles et ceux qui, du plus haut sommet de l’État et du gouvernement, conduisent aujourd’hui la politique éducative de notre pays ?
Qu’en est-il de l’urgence d’une école qui puisse tenir la promesse républicaine du droit à la réussite de tous les jeunes, quel que soit l’endroit où ils vivent et le milieu d’où ils viennent ?
Qu’en est-il pour ce faire de la lutte contre les inégalités quand dans certains départements les élèves perdent l’équivalent d’une année scolaire complète faute de remplaçants de la maternelle au collège ? Qu’en est-il du manque de médecins – en 2023, on compte 900 médecins pour 12 millions d’élèves avec une chute de 20% en 10 ans- et d’infirmiers scolaires pour prévenir les problèmes de santé qui impactent si lourdement l’entrée des élèves dans les apprentissages ?
Qu’en est-il d’un enseignement professionnel régulièrement sacrifié qui voit ses lycéen·nes –majoritairement issu·es des milieux défavorisés – livré·es aux entreprises et bénéficiant de moins en moins des enseignements fondamentaux que sont le français et les mathématiques, comme si ces matières devaient avant tout être réservées à leurs camarades des lycées d’enseignement général et technologique ?
Qu’en est-il de ces territoires où les enseignants sont très majoritairement des débutants envoyés sans formation sur le terrain ? Qu’en est-il de ces quartiers où seules les familles qui ne peuvent pas partir continuent à scolariser leur enfant dans l’école du secteur et où les classes sont totalement dépourvues de mixité sociale, antithèse d’une école de la République de l’altérité, de la coopération et de la fraternité ?
Qu’en est-il d’une école de la République capable de détecter très tôt les fragilités scolaires, de faciliter tous les parcours choisis et de concilier apprentissages, bien-être et confiance scolaires, une école de la République qui fasse « grandir » ses citoyens en plaçant au cœur des enseignements et des apprentissages cette dimension civique du lien social précoce porteur de vivre ensemble futur ?
Qu’en est-il finalement d’une école qui, de la maternelle au lycée, soit suffisamment attractive pour rassurer les parents quant à la nécessaire réussite à laquelle leurs enfants ont droit ?
Des réponses politiques apportées à ces quelques questions – parmi d’autres – dépend la possibilité pour toute notre jeunesse de se projeter dans l’avenir avec confiance, dans le respect de notre République et de ses représentations au cœur desquelles se trouve historiquement notre école.
Si rien ne peut excuser tout acte d’irrespect et à fortiori de violence, ignorer cette réalité d’un désarroi qui donne naissance à une colère et dans sa forme extrême à des actes répréhensibles à l’opposé du civisme, c’est passer à côté de l’enjeu essentiel de notre pacte républicain qui, en soi, constitue un véritable projet pour une société fraternelle et émancipatrice : celui du droit à une éducation de qualité pour toute notre jeunesse.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Île-de-France