Selon l’Association des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE), « une réforme de la formation des enseignants sans les acteurs susceptibles de la mettre en œuvre n’offre pas les garanties de son opérationnalité et de sa légitimité ». « Outre les problèmes de calendrier et de mise en œuvre, c’est « l’économie globale de la réforme » avec son cycle préparatoire et son cycle supérieur qui laisse dubitatif » écrivent les co-présidents.
Le 19 octobre 2023, l’Association des enseignants et chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE), par la voix de ses co-présidents, s’inquiétait déjà du projet de réforme de la formation des enseignants à la suite des déclarations de Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (MENJ) en fonction à cette époque. Ils en dénonçaient le côté arbitraire en l’absence de concertation avec les représentants des sciences de l’éducation et de la formation dans les universités et les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE). Ils annonçaient également les effets néfastes sur l’économie générale de ces formations (mise en concurrence des personnels, formation non adossée aux contextes d’intervention, enseignements fondamentaux réduits à leur portion congrue, etc.).
Cette inquiétude s’est confirmée, le jeudi 21 mars dernier, par la diffusion d’un diaporama intitulé « Les écoles normales du 21ème siècle – Stratégie de formation et de recrutement des professeurs ». La « conception restrictive de l’activité enseignante » qui guide les principales propositions contenues dans ce document « de travail » confirme les craintes que nous pouvions avoir. Craintes amplifiées par les annonces du chef de l’État, Emmanuel Macron, ce vendredi 5 avril 2024.
Outre les problèmes de calendrier et de mise en œuvre, c’est « l’économie globale de la réforme » avec son cycle préparatoire et son cycle supérieur qui laisse dubitatif. Placé à la fin de la 3ème année d’une licence « mention : préparation au professorat des écoles », créées par les universités (dans au moins une université par académie), le concours d’accès aux ENSP accueillera 80% des effectifs du concours externe. Ce parcours présente une particularité de taille par rapport au schéma existant puisque cette licence ne sera pas pilotée « dans une composante mais dans une structure sui-generis co-portée MENJ-MESR et dénommée École Normale Supérieure du Professorat » (ENSP) et dont la direction reviendra à un inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) « disciplinaire ».
Plusieurs autres aspects de ce projet en questionnent la politique générale. Nous faisons notamment référence à ces tests standardisés en L1 et L2, conçus par le MENJ qui, en plus des examens du diplôme de cette formation en 3 ans, permettraient à celles et ceux qui les passeraient avec succès d’être dispensés des épreuves écrites du concours d’accès aux ENSP. Les économies substantielles faites à ce niveau par rapport au coût que représentent les actuels concours de recrutement de l’enseignement sont évidentes malgré leurs absences dans les évaluations budgétaires de cette réforme.
Évoquons encore la nature des épreuves d’admissibilité et d’admission des concours pour (dixit) « éviter une année de préparation supplémentaire et élargir ainsi autant que possible les viviers » ou les questions de ressources humaines induites par ce modèle, vaguement évoquées à ce stade, alors qu’elles seront pourtant cruciales à courts, moyens et longs termes.
Certes, nous ne nions pas les difficultés liées au recrutement des enseignants. Ces « déficits de vocation » sont corrélés, nous le savons que trop bien, aux difficultés d’exercer ces métiers de l’enseignement et de l’éducation (professeurs des écoles, professeurs du second degré, conseillers principaux d’éducation) dans des contextes qui nécessitent, parfois plus qu’ailleurs, une approche réflexive du milieu et des conditions dans lesquels les apprentissages peuvent avoir lieu.
Nous n’ignorons pas, non plus, les difficultés relevant d’une formation initiale et continue des enseignants. Nous en sommes les témoins voire les cobayes depuis ces trente dernières années avec pas moins de cinq réformes (1990, 2013, 2019, 2022, 2025) tentées dans ce domaine. Concernés au premier chef par les adaptations permanentes qu’exige une formation basée sur les processus d’apprentissage en milieu scolaire, nous possédons une expertise dont ce projet de réforme semble nier l’existence.
Réformer la formation des enseignants sans les acteurs susceptibles de la mettre en œuvre n’offre pas les garanties de son opérationnalité. Persister dans cette direction, c’est prendre le risque d’un échec annoncé.
Laurent Gutierrez & Sarah Croché
Co-Présidents de l’AECSE