Alors que les professeurs des écoles ont peu de possibilité de promotion sociale, pourquoi ne se ruent-ils pas vers les postes de direction d’école ? Cécile Roaux, auteure de « La direction d’école à l’heure du management » (PUF), met en parallèle ce manque d’attractivité avec la pression managériale dans l’Education nationale.
Une enquête auprès de 6000 professeurs des écoles
« Alors que les possibilités de mobilité sociale ascendante sont peu importantes au niveau du 1er degré en France, devenir directeur ou directrice d’école pourrait paraitre comme une opportunité d’évolution attractive« , écrit Cécile Roaux dans un chapitre de l’ouvrage En quête d’enseignants (PUR). « Il semble pourtant… que la direction d’école n’attire plus ».
C’est ce que montre une étude qu’elle a mené auprès de 5 847 professeurs des écoles dont 2000 directeurs et directrices. 27% des enseignants se disent favorables à un statut de directeur contre 63% des directeurs et directrices. « Les enseignants ont une vision peu attractive » de la fonction, empreinte de l’image de « petit chef » ou de « petit soldat à la botte de l’IEN« .
Un désintérêt ancien pour la fonction
Mais ce désintérêt pour la fonction pousse ses racines loin dans l’histoire de l’École, selon C Roaux. Entre la loi Goblet de 1886, qui a créé la fonction de directeur d’école, et la circulaire de janvier 1908, qui crée le conseil des maîtres, la direction d’école change. La loi Goblet avait créé un directeur d’école ayant du pouvoir sur les maitres-adjoints. Le passage de tous les instituteurs par la même formation en école normale change les choses. « La profession enseignante s’inscrit dans le modèle de « la qualification » en valorisant les connaissances académiques… mais il n’en est rien pour la fonction directoriale« , écrit C Roaux. Du coup, les instituteurs revendiquent leur autonomie et leur liberté pédagogique. « Le conseil des maitres se révèle alors être l’expression d’un patriotisme de corps très puissant dont la prégnance idéologique égalitariste permet à chacun et chacune de résister à toute menace extérieure« . La tentative en 1987 de créer des maitres directeurs échoue.
Aggravé par le néo management
Plus récemment c’est la montée du management dans l’Education nationale qui vient raviver l’opposition à la fonction, selon C. Roaux. « La superposition d’un modèle hérité du passé et d’un modèle sous influence anglo-saxonne a contribué à une montée exponentielle du travail administratif », écrit-elle. « Cette évolution pourrait expliquer la réticence à s’engager dans un métier jugé administratif… Assumer ce rôle qui se résume à de la gestion est perçu comme peu valorisant mais également peu valorisé par l’institution elle-même« . Le manque de formation des directeurs (à la différence des personnels de direction) contribue à alimenter l’image de favoritisme auprès des autres enseignants. Clairement, pour C Roaux, la fonction directoriale est vue comme faisant « le sale boulot » dans l’école : la paperasserie, le gestion des parents et des élèves à problème.
La percée managériale dans l’éducation nationale se voit aussi dans les nouvelles responsabilités données aux directeurs. « Cette nouvelle manière de concevoir la direction d’école, garante d’un projet collectif local, se heurte frontalement à la volonté de bien des enseignants de garder la maitrise de leur espace et de leur temps dans la seule salle de classe au détriment du travail en commun », écrit C. Roaux. « Le travail important reste celui des apprentissages… Ce qui n’en fait pas partie fait l’objet d’une déconsidération« .
Le néo management impulsé dans le système éducatif depuis des années ne fait que réduire l’attractivité de la fonction. Un discours à faire passer rue de Grenelle.
François Jarraud
Cécile Roaux, La direction d’école : un métier à l’image peu attractive, in G Farges et L Szerdahelyi (dir), En quête d’enseignants. Regards croisés sur l’attractivité d’un métier, Presses universitaires de Rennes, ISBN 978-2-7535-9404-3, 20€
La direction d’école à l’heure du management