Claude Lelièvre revient sur le livre « Le Ghetto scolaire. Pour en finir avec le séparatisme » co-signé par François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem. Selon l’historien, l’ouvrage qui présente les résultats encourageant des expérimentations en matière de mixité gagnerait à être lu. Il s’en explique dans cette tribune.
Dans son interview parue dans le Café pédagogique le 4 mars dernier à propos de son livre écrit avec le sociologue François Dubet : « Le Ghetto scolaire. Pour en finir avec le séparatisme », Najat Vallaud-Belkacem a souligné à juste titre à quel point les résultats de l’expérimentation qu’elle avait lancée dans certains collèges lorsqu’elle était ministre de l’Éducation nationale sont méconnus alors qu’ils sont bien là, dûment établis par une équipe de chercheurs patentés. « Lorsque les conclusions de ces chercheurs ont été publiés au printemps 2023- après 7 ans de travail tout de même…, conclusions particulièrement encourageantes et porteuses de perspectives pour la suite, j’ai halluciné devant le si faible écho qu’elles ont eues ».
On se permettra donc de livrer ici quelques-unes des bonnes feuilles de cet ouvrage, en particulier de celles qui concernent les résultats, une invitation à lire le livre en son entier car il ne peut être résumé, contrairement à d’autres ouvrages à l’emporte-pièce qui font fi de la complexité.
« La première interrogation concernait l’efficacité des actions proposées pour réunir dans un même établissement des enfants d’origines sociales variées. Le niveau de mixité sociale des collèges a été mesuré en calculant le taux d’exposition des élèves d’un groupe social donné aux élèves de l’autre groupe social. La mixité sociale est maximale lorsque ces deux taux d’exposition sont égaux à la part des élèves de milieu favorisé et défavorisé à l’échelle du territoire considéré. Plus les taux d’exposition sont proches entre les collèges d’un même territoire, moins ces collèges sont ségrégués. A l’issue des trois ans d’expérimentation, la mixité sociale a progressé de manière significative au sein des 56 collège étudiés » ( page 78)
« Pour la moitié des sites où la ségrégation était la plus marquée, l’effet des actions entreprises a été beaucoup plus fort : grâce aux projets menés, le taux d’exposition des élèves défavorisés aux élèves favorisés a progressé pour s’établir à 32 % (contre 15 % dans les collèges témoins), tandis que le taux d’exposition des élèves favorisés aux élèves défavorisés est parvenu à 49 % contre 30 % dans les collèges témoins) » ( page 79)
« Le niveau scolaire des élèves concernés a été déterminé à partir des notes obtenues dans le cadre du contrôle continu, complétées par des résultats à des tests standardisés en français et en mathématiques […] Les résultats globaux des établissements concernés ont évolué positivement en raison de la modification du niveau moyen des élèves. Individuellement cela s’est traduit, pour les élèves les plus faibles, par une émulation et un effet d’exigence et d’entraînement liés à la plus grande diversité des camarades fréquentés. Si, à elle seule, cette nouvelle mixité ne suffit pas à transformer leurs résultats académiques sur le temps de l’enquête, les études disponibles montrent que la fréquentation d’une plus grande proportion d’élèves de bon niveau influe positivement sur la réussite académique et qu’elle est d’autant plus forte pour les élève initialement les plus en difficulté » ( pages 80-81)
The last but not the least quand on connaît les craintes (trop souvent paralysante ou contre-productives) lorsqu’il est question d’aller vers plus de mixité sociale à l’École, il s’avère que le niveau des meilleurs élèves ou des plus favorisés socio-culturellement n’a pas baissé. Et « cela confirme les conclusions de l’ensemble des travaux de recherche récents : il n’y a pas d’effet négatif des pairs socialement défavorisés sur les performances scolaires des élèves socialement favorisés » (page 81)
Le protocole de cette expérimentation avait inclus plusieurs indicateurs portant sur le comportement des élèves. Et leurs résultats ne sont pas les moins intéressants si on convient que les objectifs de l’École ne sauraient se limiter à l’instructif mais doivent viser aussi l’éducatif.
« Les élèves de milieu défavorisé […] déclarent avoir de meilleures relations avec leurs amis (+30%), et cela concerne également les élèves favorisés (+7%). L’attitude des élèves défavorisés vis à vis du travail en groupe progresse de 14 %. De leur côté, les élèves plus favorisés adhèrent plus souvent qu’auparavant aux valeurs de solidarité (+8%). Logiquement, l’ensemble des élèves se déclarent plus sensibles à l’enjeu des inégalités et aux objectifs de justice sociale, respectivement de +7 % pour les élèves favorisés et de + 12 % pour les élèves défavorisés » (page 82)
L’ensemble du livre ne se limite pas à ces aspects et à ces résultats tant s’en faut. Mais ils ont été mis en exergue parce qu’ils constituent le cœur du sujet et qu’ils devraient susciter l’envie de parcourir l’ouvrage entier.
Une première partie, consistante, offre une fort bonne synthèse des travaux sur le manque de mixité sociale dans l’École française et ses conséquences négatives. Et d’autres parties de l’ouvrage détaillent les procédures qui ont eu lieu mettant en synergie le central et le local et les différents partenaires pour que cette expérimentation puisse avoir lieu, effectivement et positivement.
C’est d’une certaine façon d’ailleurs les apports les plus neufs de l’expérimentation qui a eu lieu et qui doit être connue. L’historien que je suis ne peut que rejoindre le sociologue François Dubet qui affirme : « La tradition française est de tout centraliser, d’avoir quelque-chose d’homogène, de bureaucratique. Là, on a agi à partir des élus locaux, des familles, des professeurs. Ces expérimentations sont, dans l’histoire des réformes scolaires, très originales ».
Claude Lelièvre
François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem : « Le ghetto scolaire. Pour en finir avec le séparatisme », éditions du Seuil , mars 2024, 125 pages, 12,5 euros