« C’est quand l’approche est systémique et globale qu’elle est le plus de chances d’être efficace, si elle couvre toute la journée, toute la semaine et si tout le monde y participe ». La conférence de comparaisons internationales sur le bien-être à l’école organisée par le Cnesco en novembre 2023 rend ses recommandations. Le Cnesco invite à une approche globale intégrant l’aménagement des locaux scolaires, des actions concernant la vie quotidienne dans l’établissement, de la formation pédagogique et aussi des mesures en faveur des personnels. Quand le ministère parle de cours d’empathie, le Cnesco prend le sujet au sérieux.
L’école française et son mal-être
« Il faut bien sûr plus qu’un cours d’empathie une heure par semaine. Il faut vraiment une prise de conscience de la question et voir comment dans chaque établissement on peut faciliter le bien être des élèves et des enseignants. Cela suppose d’entendre les points de vue des uns et des autres, d’examiner les aspects locaux, comme la qualité des bâtiments et l’aménagement du temps ou encore la marge de manoeuvre donnée aux élèves pour choisir des activités« , nous avait dit Agnès Florin, co-responsable du Cnesco à l’issue de la seconde journée de la conférence de comparaisons internationales le 22 novembre 2023.
Quelques mois plus tard, le jury de la conférence, présidé par Eric Dugas (Inspé Bordeaux), rend ses recommandations. Il se base sur un rapport qui dresse un état des lieux inquiétant sur l’état de l’Ecole française. 20% des enseignants déclarent appréhender d’aller au travail. Pisa montre d’ailleurs que les cours sont nettement plus perturbés en France que dans les autres pays de l’OCDE. Si les élèves se déclarent majoritairement en sécurité et contents d’aller à l’Ecole, s’ils soulignent majoritairement de bonnes relations avec leurs camarades et les adultes, la violence scolaire est toujours là. Elle se concentre davantage en Rep+ et dans les lycées professionnels. Les espaces intersticiels dans les établissements et leur environnement sont repérés comme des lieux d’insécurité par les élèves. Surtout ceux -ci déclarent un haut niveau de moqueries et de vols qui polluent la vie scolaire.
Pour une démarche globale
Les recommandations du Cnesco prennent tous ces aspects en considération. « Question de politique publique, mais aussi donc question de gouvernance, le bien-être doit devenir une préoccupation au niveau de chaque école et de chaque établissement, en prenant en compte les spécificités de chaque contexte scolaire pour favoriser, au niveau local, le bien-être des élèves et des personnels, en travaillant sur les espaces scolaires, les temporalités, les interactions entre les acteurs« , expliquent Agnès Florin et André Tricot dans leur présentation des recommandations.
Une attention portée aux locaux scolaires
Celles-ci portent d’abord sur les locaux scolaires. Le Cnesco recommande de « reconnaître un large pouvoir aux usagers dans les processus d’amélioration de leur environnement : rencontrer et consulter les usagers avant de lancer un projet d’aménagement, prévoir un suivi basé sur des retours d’expérience des usagers« . Pour le Cnesco un effort particulier doit être porté sur les espaces intersticiels (couloirs, escaliers, halls, toilettes, vestiaires) qui sont perçus comme anxiogènes. Le Cnesco invite aussi à « mettre en place des espaces dédiés au bien-être des élèves et des personnels. Il s’agit notamment d’avoir des espaces à l’abri du bruit, des lieux où l’on puisse s’isoler« . Revient aussi la demande d’espaces dédiés à la réception des parents « ouvert et accessible sur les heures scolaires et éventuellement en dehors de celles-ci« .
La vie dans l’établissement
D’autres recommandations concernent la vie dans l’établissement. « Porter une attention particulière à la propreté et à la sécurisation des toilettes sur les temps de pause« , demande le Cnesco. « Proposer systématiquement des activités variées pendant la pause méridienne : activités sportives, culturelles, créatives, de relaxation, etc. en veillant à l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers« . Le Cnesco recommande aussi « d’organiser des événements et des actions conviviales impliquant les différents acteurs (personnels, élèves, familles, etc.), pour offrir des occasions d’échange et entretenir le sentiment d’appartenance » et « d’encourager la mise en place d’espaces en partie gérés et animés par des élèves (type foyer, maison des lycéens… mais aussi espaces de travail en autonomie) pour développer l’autonomie, le sentiment d’appartenance et la confiance élèves-adultes« .
Pilotage et personnels
Un troisième axe concerne le pilotage du système éducatif. « Prendre en compte dans les politiques scolaires le temps de leur mise en œuvre afin de laisser le temps aux équipes de se les approprier« , demande le Cnesco. Ou encore éviter d’aggraver les conditions d’entrée dans le métier, éviter par exemple les postes sur plusieurs établissements aux débutants. Le Cnesco souhaite que des indicateurs de bien-être entrent dans le calcul des indicateurs des établissements (IVAC et IVAL) ou complètent ces derniers. Il souhaite aussi une labellisation des établissements sur le bien-être.
Le quatrième axe concerne encore plus directement tous les personnels. Le Cnesco plaide pour une médecine du travail pour les enseignants, y compris du soutien psychologique. Le Cnesco demande aussi l’ouverture des salles de classe. Il faut « donner aux personnels la possibilité d’un soutien temporaire lorsqu’ils rencontrent des difficultés professionnelles ponctuelles au cours de leur carrière grâce à un dispositif de mentorat par des pairs expérimentés et identifiés localement » ou encore « mettre en place un tutorat par des pairs référents plus expérimentés » ou encore « favoriser les pratiques collaboratives au sein des équipes enseignantes, organiser du co-enseignement. Dans le second degré, prévoir dès le début de l’année scolaire des emplois du temps aménagés de sorte que les personnels qui le souhaitent puissent bénéficier de plages de temps communes pour travailler ensemble« . Une mesure plus générale vise à « former tous les personnels (Éducation nationale et collectivités territoriales) aux compétences psychosociales, notamment à l’occasion de formations communes en intermétiers« .
Sur le plan pédagogique, outre la formation au repérage du mal-être des élèves, le Cnesco demande à « intégrer les compétences psychosociales (CPS) dans le socle commun et les programmes d’enseignement. Veiller à ce que le développement des CPS soit un objectif explicite lors des séances d’apprentissage dans toutes les disciplines« .
Et nous ?
Evidemment le rapport du Cnesco met la barre très haut. Même les aspects architecturaux posent problème. La recommandation d’associer les usagers, de construire des lieux dédiés au bien-être aurait un coût pour les collectivités locales donneuses d’ordres qui peut être prohibitif. Cela au moment où elles doivent déjà améliorer la qualité thermique des locaux scolaires. Cet effort architectural supposerait aussi que les personnels et les élèves aient une vision identique des espaces scolaires et des pratiques pédagogiques. Or ce n’est pas le cas même chez les seuls adultes. On voit aussi comment s’opposent la recherche de sécurité et celle d’espaces privatifs. Le véritable scandale des toilettes scolaires est un bon exemple des contradictions internes au système scolaire. C’est à la fois une question de tradition culturelle, de vie scolaire et de coût de fonctionnement. Alors que c’est un problème criant avec des répercussions graves, rares sont les établissements où on ose l’aborder en France.
L’introduction du tutorat entre adultes de l’établissement, l’ouverture des classes est un autre nœud gordien du système. Dans les pays où il se pratique, Singapour par exemple, il est associé à un espionnage quotidien des professeurs et à une gestion hyper hiérarchisée de leur carrière. C’est ce qu’a bien montré une autre conférence du Cnesco. Les tentatives institutionnelles françaises à travers les « constellations » sont loin d’avoir convaincu tous les enseignants… D’autres recommandations s’adressent aux pouvoirs publics, par exemple sur la médecine du travail ou l’entrée dans le métier. Là aussi on retrouve des blocages institutionnels forts.
L’intérêt de la conférence du Cnesco est ailleurs. Le Cnesco démontre que la question du bien-être est importante car elle conditionne la réussite scolaire des élèves et l’épanouissement des personnels. Il démontre aussi qu’elle nécessite une véritable révolution culturelle dans le système scolaire. La comparaison internationale montre que certains pays arrivent à dépasser les obstacles. Et nous ?
François Jarraud
Interview de présentation de la conférence (Agnès Florin et Éric Dugas)
La conférence : compte-rendu de la 1ère journée
La conférence : compte-rendu de la 2de journée
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