Depuis 2019, les modalités de l’EAF ont eu un effet dévastateur : l’approche de la littérature s’est réduite pour beaucoup à un empilement d’explications linéaires. Peut-on résister à la tentation ou à l’injonction du bachotage pour redonner de la vitalité, de la variété et du sens à la lecture des œuvres littéraires au lycée ? Sous la direction de Magali Brunel et de Sébastien Hébert, un ouvrage, à la fois théorique et pratique, nous redonne de l’espoir et de la force pour favoriser l’engagement des élèves dans la lecture. Il porte avec bonheur jusqu’au lycée le vent de réflexion et de créativité qu’avait insufflé en 2022 un premier tome consacré au collège.
L’ouvrage est particulièrement intéressant par sa volonté d’articuler la recherche et l’expérience. La première partie pose un cadre théorique en éclairant différents thèmes, enjeux ou notions : la temporalité de la lecture, le développement d’une relation esthétique aux œuvres, la question de l’interprétation, le double défi de la contextualisation et de l’actualisation, la place de la littérature contemporaine, les possibles d’internet … La seconde partie montre concrètement comment ces principes peuvent se déployer dans la classe : elle livre d’inspirantes pratiques autour d’œuvres, diverses en genres et en époques, de Rimbaud, Racine, Diderot, Pommerat, Colette, Balzac, Gaël Faye, Louise Labé.
Car notre métier, notre ambition, nous rappelle ici Olivier Barbarant, Inspecteur général, c’est bien d’être « professeurs de rencontres », « créateurs d’attention », « déclencheurs de mémoire ». C’est pourquoi il nous revient « d’inventer les chemins qui mettent en présence réelle les élèves et les œuvres ». D’ailleurs, le préambule du programme du français au lycée, souligne Magali Brunel, nous y convie fermement : « La discipline vise à transmettre (…) le plaisir de la littérature, à encourager les pratiques de la parole, de l’écriture et de la lecture qui sont au cœur des humanités, pour favoriser chez les élèves « une appropriation personnelle des œuvres ». Faisons un rêve, partagé par beaucoup d’enseignant·es de lettres : que l’esprit du programme (faire advenir un « sujet lecteur ») se retrouve un jour dans la lettre des instructions (actuellement, préparer les épreuves canoniques du commentaire, de la dissertation, de l’explication linéaire, de la question de grammaire …).
Pour peu qu’on parvienne à orchestrer « un va-et-vient entre créativité et analyse, entre écrit et oral, entre singulier et collectif » (Claire Augé, Magali Brunel), le défi (rimbaldien ?) nous est lancé : favoriser au lycée une « émancipation créatrice » de l’enseignement du français lui-même, imaginer dans nos classes « le lieu et la formule » d’une « future Vigueur ».
Jean-Michel Le Baut
« Lire les oeuvres littéraires au lycée », sous la direction de Magali Brunel et Sébastien Hebert, Editions l’Harmattan, ISBN 978-2-336-40654-1
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Le tome 1 dans Le Café pédagogique