En fermant ce livre issu d’un colloque consacré aux espaces de l’école, on regrette que la conclusion écrite par le géographe Sylvain Genevois n’ait pas été placée en introduction. Car finalement, on a tous glané au cours de nos pratiques dans les classes, des idées sur les lieux où l’on travaille avec les élèves. Et s’il existe de « nouveaux espaces scolaires », tels qu’ils sont présentés ici, ces lieux sont bien en phase avec les formes de déterritorialisation contemporaines, notamment celles induites par le numérique. Du reste, les épisodes du Covid ont fait éclater les frontières plus fortement qu’on aurait pu l’imaginer, imposant tout à trac des enseignements « bimodaux » pour cause de « continuité pédagogique », poussant certains jusqu’à des « conférences performances » en ligne. Pour Genevois, ce dynamitage des oppositions « dedans/dehors » ou « présent/distant » préfigure une « déformalisation des lieux » qui accélère un mouvement déjà amorcé, dans les écoles primaires du moins, et que le cinéma, la vidéo, puis Internet avaient initié.
Modèle spatial de la classe et pédagogies différenciées
Dans la longue histoire des écoles rapportée par Jean-Pierre Chevalier, l’insistance du modèle spatial de la classe unique, « rectangulaire » témoigne de la rigidité d’un modèle où le confinement des élèves est apparenté à celui des ouvriers dans les usines. Même si, plus loin, Prairat conteste « l’hétérotopie monacale et militaire », la singularité des pratiques a été limitée par la non-mixité, l’intense « normalisation » des lieux à partir de 1887 et dont les « écoles normales » ont été les vecteurs pour les pratiques.
Certes, le colloque montre combien les pédagogies différenciées se sont glissées dans ces lieux où le « collectif frontal » a été écorné par la suppression de l’estrade. Les classes actives menées par les pédagogues Decroloy, Freinet et d’autres, les classes « flexibles », « en îlots » avec leurs « centres de poésie, de mathématique, de motricité, etc. » témoignent d’un forçage de l’espace pour initier des « zones d’apprentissage » de projets dans des espaces collectifs communs où peuvent cohabiter jusqu’à quatre classes ! La question des seuils (à franchir), de la table comme espace privé des élèves, voire de l’occupation de lieux informels montre, à l’instar de ce que Lussault avait écrit dans L’homme spatial (Seuil), que tout fait sens dès lors que s’instaure une relation initiale de pouvoir qui devient une coopération.
Les expériences avec les professeurs stagiaires montrent que dans ces micro-systèmes spatiaux, la création de « topographiques pédagogiques » parvient à faire d’une salle de classe « un lieu de création ». Qui nous conduit, naturellement dans l’ouvrage, à une réflexion foucaldienne sur les hétérotopies, donnant la possibilité de cartographier les spatialités des élèves (des ados, dans le livre) dans les établissements.
Nouveaux espaces scolaires
Des expériences brésiliennes et portugaises sur « les corps dans l’espace » sont rapportées, puisant dans les réflexions de Paul Robin et son « éducation intégrale ». Plus militante enfin, la relation des écoles au cœur de la lutte du mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) permet de penser « les écoles pour la lutte », montrant comment 1 800 écoles publiques (dont certaines construites par les habitants eux-mêmes) au Brésil ont pu réaliser des espaces pédagogiques préparant les enfants à ce qui les attend dans leur vie d’adulte.
Que l’ouvrage puisse se clore sur les apports de l’enseignement bimodal lors de la crise covidienne est dans l’ordre des choses. Pour l’instant, le bilan n’est pas très engageant, les élèves étant, du reste, peu interrogés dans cette séquence qui ne devrait que se poursuivre dans les années à venir. Genevois a un bel aphorisme : « Aux lieux qui ancrent, les pédagogues préfèrent les liens qui unissent ». Qu’on suive les expériences menées ici à Paris, Versailles, en Normandie ou au Brésil, on n’est que convaincu de voir l’espace être perçu comme un outil qui donne toute sa dimension pédagogique à la présence aux élèves.
Gilles Fumey
(Inspé de Paris)
Géographie et pédagogie : Penser et inventer les espaces d’apprentissage, sous la direction de Guilhem Labinal, ISTE Editions, 2023. ISBN papier : 9781784058548
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