La FSU-SNUipp, « après avoir usé toutes les voies de dialogue officiel » , a pris « ses responsabilités au vu de la gravité de la situation » et « lance publiquement l’alerte » sur l’état de l’École. « Choc des savoirs, carte scolaire, conditions de travail des personnels : l’école publique est à un point de rupture, au bord de l’effondrement comme beaucoup de services publics », a déclaré Guislaine David, porte-parole. « Si rien n’est fait, c’est l’école publique qui va s’effondrer ». Et ce constat, le syndicat se base sur les réponses d’une enquête menée auprès des enseignants et enseignantes du premier degré entre décembre et mars.
Une rentrée 2024 sous très haute tension…
Selon le syndicat, pour la carte scolaire 2024, ce sont 2 227 classes qui fermeront sur tout le territoire. « C’est la troisième année consécutive de carte scolaire “négative” qui crante une volonté politique d’accélération des fermetures de classes au détriment des effectifs de classe et du service public d’éducation » explique Guislaine David mentionnant des enseignants, des parents d’élèves et des élus locaux la forte mobilisation. « Ces fermetures de classes posent la question des effectifs par classe dont la ministre dit que la moyenne a baissé, mais c’est mécanique. Avec les dédoublements, il y a plus de classes, donc la moyenne baisse… ». Pour rappel, la France bat toujours le triste record des classes les plus chargées des 22 pays de l’Union européenne membres de l’OCDE avec 22 élèves par classe contre 19 (et 26 au collège contre 21…). D’ailleurs, 46% des répondants à l’enquête déclarent que les effectifs des classes sont trop chargés.
Quant au choc des savoirs, le syndicat estime qu’il entraînera « un tri social dès l’âge de 10 ans qui renforce les déterminismes sociaux » et « une stigmatisation organisée par l’institution ». « La mise en place des “groupes de besoins” – qui restent des groupes de niveaux – va se matérialiser dès la rentrée prochaine au collège, avec un impact direct sur le premier degré. Ce qui va se passer concrètement dans les écoles, c’est que les enseignantes et les enseignants de CM2 seront sommés de trier des enfants de 10 ans, en les cataloguant dans les catégories de bons, de moyens ou de mauvais élèves ». « Nous ne trierons pas nos élèves », assène la responsable syndicale. « Mais le « choc des savoirs » c’est aussi les évaluations nationales à tous les niveaux, le pilotage par ces évaluations, les programmes en écriture et la labellisation des manuels. C’est l’imposition de pratiques pédagogiques, la perte de la professionnalité enseignante, de l’expertise des enseignants et de la liberté pédagogique ». « Le Choc des savoirs est une réforme injuste, qui prépare une école inégalitaire et dont les personnels ne veulent pas, qui nous est imposée dans un contexte d’exaspération, d’usure et de lassitude profonde de la profession. Alors que tous les indicateurs sont dans le rouge, le Choc des savoirs intervient comme la goutte de trop », complète-t-elle.
… Dans un contexte déjà très dégradé pour l’école publique
Pour la FSU-SNUipp, « tous les indicateurs sont au rouge ». Rien ne va, affirme le syndicat, ni du côté de l’attractivité du métier, ni des conditions de travail, ni du dialogue social…
« La crise d’attractivité est profonde et structurelle. On assiste au déclassement salarial de la profession, à la hausse des démissions et des ruptures conventionnelles, à des concours qui ne font plus le plein… Depuis des années, les chiffres se suivent et se ressemblent. La profession a besoin de lucidité et de volontarisme politique ». Un répondant de l’enquête sur deux estime que sa rémunération est insuffisante.
Quant aux conditions de travail, c’est justement à la suite de « l’explosion des signalements et des fiches du registre santé sécurité au travail (RSST) sur tout le territoire » que le syndicat a lancé sa consultation. Plus de 4 200 témoignages qui permettent de prendre la mesure de « la forte dégradation des conditions de travail dans les écoles ».
70% des répondants alertent sur les conditions de l’inclusion, qui se font sans moyens, sans formation, sans enseignant·es spécialisé·es et un manque criant de places dans les établissements adaptés aux besoins des élèves. « Ils n’arrivent plus à faire classe correctement », explique Blandine Turki, co-secrétaire générale. « Le modèle de l’enseignante ou l’enseignant seul dans la classe qui gère toutes les difficultés dans la classe n’est plus entendable ». « 70% des collègues alertaient sur les soucis de l’inclusion dans l’étude d’Éric Debarbieux et Benjamin Moignard », rappelle-t-elle. C’est aussi le manque de remplacements qui met à mal la profession, 48% des enquêté·es demandent l’augmentation de personnels remplaçants. 68% d’entre elles et eux placent d’ailleurs l’annulation des suppressions d’emploi en première priorité pour l’école.
En plus du manque de moyens, le contexte politique « chaotique abîme la confiance et le dialogue social ». « L’Éducation nationale vit une année inédite », commente Guislaine David. « Déjà trois ministres successifs depuis la rentrée scolaire, des périodes d’incertitude et de latence entre les nominations, des tensions relayées au sein de l’exécutif sur la politique éducative… du jamais vu pour un ministère dont dépendent l’avenir de 12 millions d’élèves et 1,2 million de personnels ! C’est une véritable crise politique que vit le ministère de l’Éducation nationale ». « Les ministres passent, heureusement que les enseignants restent encore… » ironise-telle. « Cette situation d’instabilité au ministère a provoqué une année blanche pour le dialogue social, ce qui n’empêche pas l’exécutif d’imposer une réforme fébrile contre l’avis de la profession ».
« L’exécutif doit revoir de toute urgence ses priorités : ce dont le service public d’éducation a besoin, ce n’est pas de mesures fébriles ou cosmétiques – l’uniforme n’est pas une “réforme”, mais d’un plan d’urgence pour l’école, d’une volonté politique solide et durable pour engager un vrai choc de moyens et d’attractivité », a conclu le syndicat. « Le budget de l’Éducation nationale n’est pas un coût : c’est un investissement pour l’avenir qui ne peut être appréhendé d’un point de vue strictement comptable. L’exécutif gagnerait à construire avec la profession, à s’appuyer sur des professionnels engagés et mobilisés, plutôt qu’à faire contre les personnels ».
Lilia Ben Hamouda