Manon Plasschaert est une ancienne élève allophone arrivée des Pays-Bas à l’âge de dix ans. Après avoir poursuivi sa scolarité en France, elle s’est dirigée vers des études d’anglais pour devenir enseignante. Après avoir obtenu le CAPES, elle a enseigné en Guyane pendant plus de dix ans avant de retrouver l’académie de Toulouse où elle multiplie les casquettes au service de l’enseignement des langues étrangères et de la langue française langue étrangère.
Comment êtes-vous venue à cette question du plurilinguisme?
En Guyane, il y a plus de 40 langues en présence sur le territoire et les enseignants sont donc bien obligés d’adapter leur enseignement. J’ai commencé à me passionner pour les questions liées au plurilinguisme, à l’enseignement du français langue seconde et la formation des enseignants. J’ai alors passé le CAFFA puis repris mes études en MASTER 2 recherche Didactique des Langues parcours FLES à l’Université de Grenoble Alpes car je sentais qu’il me manquait un bagage théorique. J’ai ainsi rédigé un mémoire de recherche intitulé « Faire évoluer les représentations sur le plurilinguisme en formation d’enseignants en zone d’éducation prioritaire : cas du contexte hétérogène guyanais », sous la direction de Nathalie Blanc. En 2021, lorsque je suis revenue enseigner en zone rurale dans l’Académie de Toulouse, j’ai été affectée au Lycée Jean Lurçat à Saint-Céré dans le Lot en tant que TZR en anglais et j’ai proposé d’effectuer quelques heures en FLS pour compléter. J’ai constaté que dans notre bassin il y avait un réel besoin avec les mobilités que nous connaissons aujourd’hui. Avec, Rémi Poumeyrol, notre précédent Chef d’établissement, nous nous sommes donc démenés pour pouvoir ouvrir une UPE2A au sein de notre établissement à la rentrée 2022. La même année ouvrait dans cette ville un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile. Dans ce dispositif UPE2A, j’accueille des élèves des collèges alentour ainsi que des lycéens à raison de deux journées entières par semaine et en parallèle nous avons également créé le dispositif Ouvrir l’École aux Parents pour la Réussite des Enfants (OEPRE) où l’on enseigne avec une collègue le français langue étrangère (FLE), le fonctionnement du système scolaire en France et les valeurs de la république aux parents allophones.
Vous êtes formatrice sur le plurilinguisme. Comment le valoriser dans l’enseignement ? Quelle place pour la langue maternelle ?
J’enseigne en UPE2A à hauteur de 12 heures par semaine, ce n’est donc pas un temps complet. En parallèle, j’ ai été recrutée par l’association Dulala en juillet 2023 en tant que formatrice dans le sud-ouest de la France. L’un des objectifs de cette association est de faire du multilinguisme un levier pour favoriser l’égalité des chances et lutter contre les discriminations. Depuis les années 70 la recherche montre que le plurilinguisme est un atout pour le développement linguistique, cognitif et pour les questions liées à l’identité. La prise en compte de la diversité linguistique et la valorisation de chaque langue, quel que soit son statut sont donc essentielles et notamment en contexte éducatif. Les élèves que nous accueillons sont peut-être allophones, mais ils sont surtout plurilingues. Il est important de valoriser les connaissances qu’ils ont acquises à travers leurs trajectoires géographiques et linguistiques.
Ces deux activités professionnelles se complètent très bien, je garde un pied dans la formation et un pied dans la recherche tout en étant dans ma classe. Cela me permet de tester en permanence les nouveautés et c’est motivant autant pour moi que pour les élèves.
J’utilise les langues des apprenants au quotidien dans ma classe. Elles sont présentes dans les affichages, dans les échanges et dans les activités pédagogiques. En UPE2A, on a la chance d’avoir un nombre d’élèves restreint et un nombre d’heures d’enseignement assez élevé, ce qui permet de travailler par projets. Ainsi, on organise des échanges avec les élèves de classe ordinaire, notamment ceux des cours de lettres et d’histoire-géographie, mais nous participons aussi à des ateliers de théâtre avec le théâtre de L’Usine de Saint-Céré et l’atelier théâtre du lycée. Nous participons au concours du Kamishibaï plurilingue de Dulala en collaboration avec le fablab de notre ville. En zone rurale, c’est primordial de pouvoir s’appuyer sur toutes ces structures de proximité !
À l’occasion de la semaine des langues, vous proposez un projet. Pourriez-vous le présenter ?
Cette année pour la semaine des langues, les élèves de l’UPE2A et les parents de l’OEPRE ont organisé une après-midi autour de la diversité linguistique présente dans notre lycée et notre ville. Ensemble ils ont créé un forum des langues avec des affiches expliquant les spécificités de leurs langues et de leurs systèmes d’écriture puis ils ont proposé un quiz à l’attention des personnes ayant visité le forum. Suite à cela, les visiteurs pouvaient choisir de participer à un atelier de jeux de société plurilingues ou un atelier d’animations interculturelles animées par un animateur de la maison des Associations de Saint-Céré, Mouhamed Ali Mlayhi. C’était une première édition de ce forum des langues qui mériterait probablement d’être développé. De mon point de vue, le gros succès de l’édition de cette année est que nous avons mis en place un partenariat avec une structure essentielle de la ville et que nous avons réussi à faire de sorte que les parents s’investissent et prennent du plaisir à venir dans l’établissement partager ses moments avec leurs enfants, mais aussi avec les autres élèves.
Comment enseigner les langues toute l’année ? Des astuces, des rituels, des projets en classe ?
En ce moment, pour l’enseignement des langues, je m’inspire beaucoup du théâtre. L’Académie de Toulouse et le CASNAV ont mis l’accent sur ces formations et là aussi je suis convaincue par ce que peut apporter cette discipline ! Je pense que ça peut aider les élèves à apprendre à s’exprimer, à maîtriser leur voix, mais aussi leurs corps. Avec mes élèves, on ne monte pas de pièce, mais cela passe par des petites activités théâtrales de cohésion d’équipe et d’écoute. À chaque cours on travaille par exemple sur les virelangues en français et pour la semaine des langues nous avons exposé un mur sonore avec des virelangues multilingues. J’espère aussi que ces activités théâtrales que nous mettons en place avec le théâtre de l’Usine, mais aussi avec mon collègue Hervé Laroussinie, de l’atelier théâtre du lycée, permettront bientôt à mes élèves de proposer une lecture de leur kamishibaï plurilingue à la médiathèque ou au spectacle du lycée.
Propos recueillis par Djéhanne Gani