En lançant le Grenelle de l’éducation en 2020 – « une concertation inédite par son ampleur et ses modalités » – le ministère de l’Éducation nationale a souhaité « une évolution profonde du système éducatif et des métiers des personnels de l’Éducation nationale ». Il précise : « Le Grenelle de l’éducation, en croisant les regards et en permettant un dialogue riche, a impulsé une réflexion de fond dont découlent 12 engagements […]. Ces engagements marquent une étape majeure pour la transformation de notre système éducatif ». Véritable feuille de route pour les réformes qui impactent actuellement notre système éducatif, le Grenelle de l’éducation serait une synthèse d’apports divers et variés qui permettraient de faire évoluer le système éducatif afin de « renforcer le service public d’éducation ».
Quelle école de la confiance ?
A y regarder de plus près, certaines réflexions ont été rapidement écartées des débats. Elles ne figurent pas dans les engagements pris par le ministère. C’est le cas de toutes les propositions d’évolution de la gouvernance vers plus de décentralisation, largement prônées par la recherche et les organismes internationaux, dont plusieurs intervenants s’étaient fait l’écho. Un bon exemple est l’approche par la confiance. Lors de « l’incubateur du Grenelle de l’éducation : une concertation large avec la société civile », le dirigeant d’une société d’assurance bien connue des enseignants – celle qui a construit son image sur le militantisme – était venu témoigner de sa pratique du management par la confiance dans un atelier présidé par un célèbre écrivain, chagriné par l’école. Ce dirigeant précise : « Nous avons mis en place un nouveau type de management, reposant sur trois piliers : le sens, la confiance et une nouvelle culture managériale. Le sens, parce que la motivation ne doit pas venir du seul espoir de la récompense ou de la crainte de la sanction ; la confiance, qui incarne l’autonomie laissée aux individus sur la façon dont d’exercer leur métier ; la relation managériale parce qu’elle doit reposer sur la bienveillance, l’attention à l’autre plus que sur la concurrence et l’émulation. » Il précise : « C’est plus facile pour les collaborateurs que pour les manageurs, qui ont davantage à perdre a priori. Il leur faut passer d’un management classique et vertical (je donne des ordres et je veille à leur bonne exécution), à un management par l’envie et la confiance qui donne à chaque individu le désir de puiser en lui-même, qui lui permet de s’engager. […] Quand on recherche un objectif non de performance, mais d’épanouissement des collaborateurs, on obtient aussi… la performance ! Il y a une grande symétrie entre ce qui se passe au sein d’une organisation et l’image qu’elle donne d’elle-même. C’est vrai pour une entreprise comme pour un service public ! »
Ce témoignage avait été largement relayé par les services de communication du ministère. Il permettait de montrer la volonté s’inspirer des approches innovantes qui avaient fait leurs preuves dans certaines organisations. L’approche par la confiance venait en résonance avec le slogan de l’époque : « L’école de la confiance ». Au sein de l’atelier où ce témoignage avait été présenté, plusieurs intervenants avaient alors souhaité prendre la balle au bond. Puisque nous sommes « L’école de la confiance », allons-y ! Reconnaissons les enseignants comme des ingénieurs pédagogiques. Arrêtons de les infantiliser. Redonnons du sens à leur métier en leur accordant notre confiance. Arrêtons l’approche prescriptive descendante, comme le font les autres systèmes éducatifs et comme le préconisent les organismes internationaux. Donnons davantage d’autonomie aux établissements scolaires pour que les enseignants construisent collectivement les activités pédagogiques permettant de répondre aux attendus nationaux… Pendant un bref instant, plusieurs intervenants à l’atelier s’étaient permis de rêver, mais on leur a rapidement signifié que leurs pistes de réflexion ne répondaient pas à la commande. Cette partie des débats a été occultée et l’approche par la confiance n’a pas été reprise dans les engagements du Grenelle de l’éducation.
Sortir d’une vision administrative de l’éducation
Faut-il parler de management en éducation ? Le mot est tabou, car il renvoie à l’imaginaire des entreprises privées. Cependant, dans une de ses acceptions, le management désigne la conduite de l’action collective vers le changement. Occulter la réflexion sur le management en éducation, c’est nier l’importance des approches collectives et/ou refuser d’entrer dans une logique de changement. Or actuellement, un des enjeux majeurs pour les systèmes éducatifs est de sortir de la vision administrative. Celle qui est prescriptive du changement sans aucune reconnaissance de la capacité collective d’innovation pédagogique existant au sein des établissements scolaires. Celle qui considère les enseignants comme des exécutants. Celle qui repose sur une logique de contrôle plus que d’épanouissement.
Le management privé, qui a pour finalité la recherche du profit, n’a pas sa place en éducation. Il faut toujours le rappeler et adopter une vigilance collective face à d’habiles communicants qui cherchent à l’introduire de façon dissimulée. Pour autant, doit-on refuser de s’ouvrir aux pratiques éprouvées de management public ? Celles qui reposent, avant tout, sur les valeurs et les principes de service public. Celles qui ont permis d’ériger, au sortir de la guerre, tout un secteur public reconnu comme une fierté hexagonale, avant que le libéralisme vienne imprégner la norme culturelle dominante ?
La raison d’être d’une organisation de service public est le service public lui-même et son management consiste, avant tout, à s’assurer d’une vision partagée qui donne le sens à l’action publique. En la matière, toutes les pratiques de management ne produisent pas les mêmes effets. Elles conditionnent fortement la motivation, l’implication et la créativité des enseignants. De nos jours, de nombreux systèmes éducatifs cherchent à faire évoluer les pratiques de management afin de favoriser l’innovation pédagogique dans le sens d’une plus grande réussite éducative. Il s’agit de sortir de l’approche administrative en introduisant davantage d’horizontalité…
Stéphane Germain