La publication des textes budgétaires et réglementaires concernant la réforme du collège dissipe le brouillard sur les groupes entretenu par G. Attal et N. Belloubet. La réforme du collège aboutit à une chute drastique des moyens, une mise au pas pédagogique des enseignants et un séparatisme social accepté. Sous le couvert de cette réforme, le gouvernement anticipe la réduction du nombre d’enseignants en raison de la future chute démographique. Une tribune signée François Jarraud.
Une comédie surjouée
« Qu’importe qu’on les appelle groupes de niveau ou de besoin. L’important c’est qu’il y ait la mesure et qu’elle permette la progression de tous« , affirme Gabriel Attal, devant les chefs d’établissement, le 14 mars. Depuis plusieurs jours, le Premier ministre et la ministre de l’Éducation nationale jouent avec les mots et semblent s’opposer.
La publication, le 22 février, du décret annulant 700 millions au budget de l’Éducation nationale disperse cette comédie surjouée entre un Premier ministre et sa ministre. La note de service organisant la réforme du collège confirme de son côté ce que dit le budget. La réforme se fait dans des conditions budgétaires très dégradées.
Un budget amputé
Rappelons qu’en décembre 2023, Gabriel Attal avait annoncé une augmentation du nombre d’emplois dans le second degré, soulignant même que ce serait la première depuis 2017. Il devait y avoir 594 emplois supplémentaires. Avec les 1500 équivalents emplois correspondant à la suppression de la 26e heure de 6e, il pouvait prétendre à plus de 2000 emplois pour assurer les groupes réduits de niveau. Le ministère allait même plus loin, promettant d’affecter 830 emplois pour atteindre un total de 2300 équivalents emplois pour la réforme du collège, soit 1150 professeurs de français et autant de maths.
Cela semblait déjà largement insuffisant au regard des promesses ministérielles. Selon le ministère, le groupe des élèves faibles concerne un quart des collégiens en français et un tiers en maths. Pour les 4 premiers mois de l’année scolaire 2024-2025, en suivant la promesse de groupes réduits à 15 élèves, il aurait fallu 7750 professeurs dans ces deux disciplines. Des professeurs venus d’on ne sait où…
Le décret publié le 22 février a changé le paysage. Il supprime 87 millions de salaires dans le second degré. Cela représente la rémunération annuelle de 1740 enseignants. Et pour les 4 mois de septembre à décembre 2024, c’est l’équivalent de 5220 emplois de professeurs qui disparaissent. C’est cette réalité budgétaire qui s’applique à la rentrée. On voit mal dans cette situation comment le ministère pourra mettre en place des groupes réellement réduits en 6e et 5e à la rentrée. Il n’en a plus les moyens.
Des moyens insuffisants pour des groupes vraiment réduits
La note de service sur l’organisation des groupes le confirme. « Il n’est pas attendu nécessairement de créer plus de groupes que de divisions si les effectifs le permettent« , précise la note. « De même, le nombre d’élèves par groupe est laissé à l’appréciation de l’établissement« . Cela corrobore ce que les principaux disent depuis l’arrivée des dotations horaires dans les établissements. Ils n’ont pas les moyens nécessaires à la création de groupes réduits d’élèves faibles. Et il est admis par la note de service que le groupe faible peut correspondre à la taille d’une classe normale. Voilà qui confirme que ce sont bien des classes de niveau, en français et en maths, et pas des groupes de besoin, qui seront mis en place dans la grande majorité des cas à la rentrée.
Les 479 millions de salaires supprimés dans l’éducation nationale (131 dans le 1er degré, 87 dans le 2d, 164 dans la « vie de l’élève », 88 dans le privé et le reste dans l’enseignement agricole) constituent, de très loin, la plus forte baisse de masse salariale de tous les ministères. Ces 500 millions ne sont pas retirés par hasard à la rue de Grenelle. C’est exactement ce qu’estimait la Cour des Comptes dans un rapport de juillet 2023 au regard de la baisse démographique à venir d’ici 2027. Le gouvernement anticipe cette baisse, comme le demandait depuis 2022 la droite sénatoriale. Le faux débat groupe de niveau / groupe de besoin occulte ce choix budgétaire et ce désengagement de l’État. Regardez mon doigt et pas la lune…
Des classes de niveau
Mais la réforme du collège, ce sont aussi des modifications pédagogiques. La plus importante consiste à séparer les élèves faibles des autres. La note de service a beau permettre de façon dérogatoire des temps de regroupement des classes, entre 1 et 10 semaines. On voit mal comment cela pourra se faire au-delà des premières semaines de l’année dans un système où les services des enseignants sont définis hebdomadairement.
Le choix des groupes ne sera pas celui de groupes de besoins. La note de service précise que c’est à partir des évaluations nationales de 6e que seront constitués les groupes. Ce seront des groupes de niveau. On aura donc un groupe faible défini au début de l’année. Il aura dans la plupart des collèges la taille d’une classe ordinaire. Et il continuera toute l’année. Dans ces conditions, il est probable qu’à la fin de l’année, le groupe faible sera toujours faible et celui des forts toujours fort. Le destin scolaire des enfants sera fixé à 11 ans.
Séparer plutôt que coopérer
Avec cette séparation des élèves en français et en maths, c’est aussi la vie de la classe qui est affectée. Une classe c’est une alchimie qui se construit où chacun trouve sa place et où peut se construire l’aide des plus forts aux plus faibles. C’est cette coopération qui est détruite par la réforme. Le nouveau collège habitue les collégiens à la règle que Blanquer a inscrite dans sa réforme du lycée avec les spécialités. Plus de classe, ou si peu. C’est le chacun pour soi plutôt que la coopération.
Notons la sérieuse erreur de raisonnement de la note de service. Son diagnostic est exact. Mais après ça se gâte. « Les 10 % des élèves français les plus faibles, issus très majoritairement de milieux défavorisés, obtiennent un score inférieur aux élèves des autres pays dans la même situation », écrit le ministère. On pourrait imaginer qu’il apporte des moyens supplémentaires pour ces élèves. Mais ce qui compte c’est « la nécessité de mieux faire réussir les collégiens, des plus fragiles aux plus avancés » alors que « les élèves dits « à l’heure » en seconde générale et technologique obtiennent des résultats parmi les meilleurs des pays de l’OCDE« … La réforme du collège n’est pas faite au profit des défavorisés…
Des enseignants sous contrôle
Passons du côté des enseignants. La note de service opère un changement majeur. Elle impose des pratiques pédagogiques sous surveillance du chef d’établissement. « Enseigner en groupes en français et en mathématiques repose sur un travail collectif des équipes pédagogiques, condition indispensable du progrès des élèves. En concertation avec les professeurs, le chef d’établissement arrête l’organisation des enseignements de français et de mathématiques », indique la note. « Les heures de ces enseignements sont alignées dans l’emploi du temps, de manière commune à plusieurs classes, sur la totalité de l’horaire hebdomadaire. Les professeurs définissent des objectifs d’apprentissage communs par période sur lesquels repose la progression de chacun des professeurs« . La note renvoie à un « vademecum » publié sur Eduscol comprenant des programmations et des séquences pédagogiques.
C’est un dernier aspect de l’abaissement du collège. La réforme Attal impose aux professeurs des collèges ce que la réforme Blanquer a réussi à faire dans le premier degré. Une prise en compte des évaluations nationales pour constituer des groupes classe, alors que d’autres facteurs sont tout autant légitimes, comme tout ce qui concerne la vie scolaire par exemple. Un encadrement des pratiques pédagogiques au point de faire marcher tous les professeurs de l’établissement au même pas. Elle installe aussi le chef d’établissement comme l’expert pédagogique qui dicte leur façon de faire aux enseignants, ce qui est totalement nouveau.
Un acte politique
Par petites touches, budgétaires d’un côté, organisationnelles de l’autre se construit un nouveau collège. Un collège en manque de moyens parce qu’on préfère utiliser les dividendes de la baisse démographique ailleurs que dans l’éducation. Un collège qui sépare les riches et les pauvres et les enferme dans des destins scolaires inscrits dès 11 ans. Un collège qui soumet les enseignants à la hiérarchie locale et réduit leur liberté pédagogique. Ce nouveau collège est bien un acte politique.
François Jarraud
Rapport sur le décret du 21 février (journal officiel)
700 millions prélevés sur l’Éducation nationale