Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, est aujourd’hui coordinatrice ULIS. Elle partage son expérience avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogique. Dans cette chronique, elle évoque le quart d’heure lecture en ULIS.
Dans le collège dans lequel j’exerce cette année, le quart d’heure lecture est installé de façon pérenne. Après la pause du midi, les élèves regagnent la salle du premier cours de l’après-midi, mais avant de commencer la séance de la discipline prévue, tout le monde lit. Cela génère des horaires peu intuitifs : le quart d’heure lecture a lieu de 13h22 à 13h36, et tous les cours suivent eux aussi des horaires qui intriguent les non-initiés. Mais les habitudes sont installées et cela fonctionne bien. J’en suis ravie : le quart d’heure lecture est un moment que j’affectionne. Dans mon précédent collège, il avait été testé quelques temps, mais avait rapidement périclité. Pourtant, j’adorais voir les élèves s’installer, piocher un livre dans les bacs ou sortir le leur de leur cartable et bouquiner. Nous pouvions partager des expériences littéraires, transmettre des envies. Au fond de la classe, je proposais une lecture offerte mathématique à celles et ceux qui en avaient envie. C’était une véritable pause, et une douce façon de se remettre au travail.
Or cette année, je n’exerce plus en tant que professeure de mathématiques, mais en tant que coordonnatrice ULIS. Cela change pas mal de choses. Presque tout, en fait, sauf le fait que j’enseigne à des jeunes gens en construction.
Dans mon nouveau métier, le quart d’heure lecture prend une résonance toute particulière : le développement des compétences d’expression et de compréhension de l’écrit et de l’oral est une des priorités dans le dispositif ULIS. Pour que les élèves qui en bénéficient puissent être au monde, comprendre leur environnement et l’actualité, prendre place de façon active dans la société, il faut comprendre, interpréter, parler, répondre. Mais c’est compliqué : ces élèves n’ont guère envie de lire. Au début de l’année, je les ai laissés choisir leurs lectures ; à part deux élèves, les autres digéraient tranquillement, sans jamais tourner de page, capables de tenir devant eux un livre à l’envers sans sourciller.
Se reposer c’est bien, mais il y a des temps pour cela. Le quart d’heure lecture n’est pas le quart d’heure digestion. J’ai donc proposé des lectures. Mais cela a posé d’autres difficultés : la plupart des élèves jouaient le jeu puisque c’était moi qui leur confiais un livre ou une revue, mais ils avaient besoin d’aide pour comprendre. Lorsqu’ils étaient très peu nombreux cela demeurait possible, mais la plupart du temps j’ai trop d’élèves simultanément dans le dispositif pour être partout à la fois. Zut de zut, comment faire ?
J’ai de nouveau changé de modus operandi : très bien, nous lirions tous ensemble le même livre, sauf les élèves qui lisent vraiment. J’ai sélectionné les excellents Le feuilleton de Thésée et La naissance du monde en 100 épisodes, édités tous deux chez Bayard Jeunesse. Les deux ouvrages faisant des liens avec des contenus étudiés pendant des séances dans le dispositif ULIS, c’était parfait. Le succès a été immédiat : les élèves ne voulaient plus s’arrêter et s’installaient précipitamment pour que nous ayons le temps de lire plusieurs épisodes. Mais un autre obstacle s’est rapidement présenté : les élèves ne voulaient pas rater d’épisode. Or je n’ai jamais les mêmes élèves selon les jours, ni même d’une semaine sur l’autre. J’en retrouve certains le lendemain, d’autres trois jours plus tard, certains sont présents avec moi une fois par semaine au quart d’heure lecture alors que d’autres sont là tous les jours… Impossible d’assurer le suivi du récit. En revanche, les frustrations étaient explicites.
Bon, très bien, me suis-je dit, il doit bien y avoir une solution. C’est au cours de la période 3 que j’ai trouvé ma solution : alors que je dépoussiérais les bibliothèques, je n’ai pas résisté à feuilleter un des opus des livres dont VOUS êtes le héros (édités chez Folio Junior) qui patientent tranquillement là. Plusieurs tomes figurent en double, mon mari et moi les ayant dévorés lors de nos adolescences respectives. Ah tiens, si j’essayais ça : la feuille de personnage serait celle du groupe, et un élève (ou moi, selon les cas) lirait la suite de l’aventure. Les élèves prendraient les décisions ensemble, lanceraient les dés à tour de rôle, et il ne serait pas très grave de rater un épisode, car c’est facile à résumer.
J’ai réalisé un essai, histoire de voir si cela prendrait. Non seulement le succès a été immédiat, mais cette fois, la non continuité éventuelle ayant été annoncée en amont, la lecture a pu être poursuivie sur deux semaines sans changement de support. Je n’ai même pas besoin de résumer : les élèves s’empressent de se raconter l’histoire les uns aux autres le jour même, à la récréation ou entre deux cours. En effet secondaire positif, les élèves savent à présent ce qu’est un livre dont on est le héros ; comme je voulais leur en faire réaliser un l’année prochaine, à partir des productions d’écrits liées à notre projet Code en bois, c’est très bien. Et puis cela nous a permis d’introduire les probabilités, beaucoup de lexique, et je projette de proposer des dictées à partir d’extraits d’épisodes, travaillées en amont au filtre de la maîtrise de la langue. Pas de façon systématique, car le vocabulaire est particulier, comme dans le dernier épisode qui parlait d’une « gigue joyeuse » et d’un « message télépathique ». Mais cette expérience, qui durera ce qu’elle durera, permet encore de développer une culture commune, de travailler avec plus d’appétence la maîtrise de la langue et même des mathématiques et un peu d’histoire. Deux élèves ont réclamé un livre dont on est le héros pour le lire eux-mêmes et mener leur aventure personnelle, équipés d’un crayon et d’un dé. Finalement, j’ai de plus en plus de lecteurs autonomes.
Et puis moi aussi, j’attends la suite : notre personnage va-t-il finir par réussir sa quête épique, avec panache et brio ?
Claire Lommé