Ambitieux et complet, le projet de programme d’éducation à la sexualité donne de la clarté et du contenu aux équipes pédagogiques. Publié le 5 mars, le document de 65 pages dresse une progressivité allant de la maternelle à la terminale. Discriminations, prévention des risques, violences sexuelles, consentement, mais aussi santé sexuelle et image de soi, les enjeux éducatifs sont importants. Malgré les nombreuses préconisations du rapport, la question des heures allouées à ces enseignements interdisciplinaires n’est toutefois pas réglée. La version définitive est prévue pour mai prochain.
« Justesse, pudeur, délicatesse et générosité »
Demandés par le ministre le 23 juin 2023, les programmes d’éducation à la sexualité de la petite section à la terminale visent à combler des lacunes soulevées depuis plusieurs années. « Les objectifs assignés par la loi ne sont pas suffisamment atteints et la mise en œuvre des séances reste très hétérogène », peut-on lire dans la lettre de saisine du ministre de l’Éducation. Le groupe de 18 experts du conseil supérieur des programmes (CSP) a donc rendu le projet de 65 pages attendu depuis novembre 2023 et accessible depuis ce 5 mars 2024.
La progressivité de l’éducation à la vie affective et « le nécessaire ajustement à l’âge des élèves » sont mis en avant. Le texte rappelle le caractère obligatoire de cette éducation dans les établissements publics et privés sous contrat. « L’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité se déploie avec la neutralité et la distance exigées par le principe de laïcité ». La prévention des violences sexistes ou sexuelles ainsi que la sensibilité des formes de harcèlement ou d’emprise sont aussi notifiées.
Les auteurs rappellent que le programme mêle le champ biologique, psychoémotionnel et l’espace et juridique et social. « La sexualité, jointe à la très grande variété des expériences tant sensibles qu’intellectuelles, des plaisirs et des désirs qui lui sont associés, participe de la recherche humaine d’une vie accomplie ». Des rappels sont aussi exprimés : « l’École doit se garder de toute intervention autoritaire ou dogmatique dans la construction de la vie affective et relationnelle ». Justesse, pudeur, délicatesse et générosité sont prônées pour les enseignants qui ont « la responsabilité principale » de cette éducation interdisciplinaire. Les partenaires extérieurs doivent être agréés. « Ces interventions sont systématiquement anticipées et coordonnées ; elles s’effectuent toujours en présence d’un ou de plusieurs professeurs responsables ». Le CSP met notamment en garde contre les instrumentalisations venant de militantisme ou d’idéologie. La publication rappelle aussi la possibilité d’impliquer les CPE, professionnels de santé et psychologues.
Des tableaux synthétiques pour une application facilitée
L’organisation du programme est la même de la maternelle à la terminale. Dans des tableaux synthétiques, les enseignants trouveront des objets d’étude associés à des compétences. Ce sont surtout les préconisations de démarches et d’activités qui permettent de concrétiser cette éducation à la sexualité jusqu’ici souvent parcellaire. Ces tableaux sont riches en exemples d’activités. Toutes les disciplines scolaires y sont représentées.
Le projet distingue 3 principes que sont l’unité, la progressivité, la complémentarité et 3 axes qui sont communs à l’ensemble des niveaux et des moments d’enseignement : « se connaître soi-même, vivre et grandir avec son corps » ; « rencontrer les autres et construire avec eux des relations, s’y épanouir »; « trouver sa place dans la société, y être libre et responsable ».
Quelles activités sont préconisées ?
À l’école maternelle, la découverte du corps et des émotions reste la priorité. En petite section les élèves sont invités à « repérer et nommer les ressemblances et les différences physiques entre les filles et les garçons ; identifier, par exemple à partir du « coin poupées », les parties intimes du corps, les nommer en partant des dénominations spontanées pour aller vers un lexique plus savant ». Un atelier de langage réflexif est préconisé en moyenne et grande section. « Qui peut ou ne doit pas toucher quelle partie du corps ? Qui peut ou ne doit pas me voir nu ? ». Les étapes de la grossesse, les émotions ressenties lors d’un conflit ou lors d’un exercice de mise en sûreté sont des aspects à évoquer au cycle 1. Les enfants sont amenés aussi à « distinguer les bons et les mauvais secrets » et pouvoir « alerter les adultes de confiance ». « Une attention soutenue est ainsi donnée au repérage d’enfants en danger, et plus largement à la protection de l’enfance ».
Enfin au premier cycle, les enseignants viseront à « favoriser une utilisation mixte et ouverte à tous de tous les coins jeux ». Une réflexion en grande section est préconisée sur l’inversion de personnages venant d’albums stéréotypés « en lien avec les modèles exprimés par les enfants ». L’identification des différentes formes du cadre familial doit permettre aussi à chacun de comprendre sa propre histoire de famille.
À l’école élémentaire, le programme entend apporter « des connaissances scientifiques plus précises » aux élèves. Le droit à être soi-même sans être pris à parti ou stigmatisé et le rôle des modèles sociaux sont des points de réflexion fléchés. On remarquera que certaines indications peuvent avoir une double lecture : « les professeurs veillent à ce que les activités proposées aux élèves soient respectueuses de leur personnalité et de leurs goûts et effectivement ouvertes à tous ».
Dans les tableaux analytiques, il est préconisé « d’identifier, à partir de documents variés, les effets de la croissance et du développement communs à tous les enfants, garçons et filles, depuis la naissance jusqu’à l’âge de six ans (comportement et anatomie) et de nommer précisément les parties du corps, dont les parties intimes, en utilisant les termes scientifiques » en classe de CP. Pour les changements de la puberté, sont précisées les classes de CM1/CM2. Jusqu’alors, ces aspects pouvaient être parfois étudiés seulement en fin de cycle 3, soit en 6e.
Le CSP propose de réaliser une cartographie des espaces de l’école pour évoquer l’intimité et la pudeur en CE1/CE2. A travers des œuvres littéraires, la diversité d’expression des sentiments sera abordée en CM1/CM2. « Qu’est-ce qu’aimer ? Peut-on avoir été amoureux et ne plus l’être ? » sont des exemples de discussions réflexives à engager. Les écoliers apprendront aussi à distinguer le oui du non et à « comprendre qu’une hésitation ou un doute ne comptent pas pour un oui ».
Les élèves apprendront aussi à repérer les stéréotypes dans les catalogues de jouets dès le CP pour ensuite se poser des questions dans les énoncés de problèmes en CE1. L’idée est « de prendre conscience que les stéréotypes de genre varient selon les lieux et les époques ». En CE2, ils pourront même reformuler les problèmes non égalitaires en un problème égalitaire. Le sport n’est pas en reste avec la proposition de tournois sportifs mixtes.
Enfin, l’accent est mis en CM2 sur « l’analyse des incidences des idéaux de beauté diffusés par les médias (réseaux sociaux, publicités) sur l’image et l’estime de soi ». À travers toutes les préconisations, les auteurs invitent les enseignants à se référer aux textes inspirants comme la Convention internationale des droits de l’enfant ou le vade-mecum sur les violences sexuelles intrafamiliales.
« La co-animation des séances est à privilégier »
Au collège, le projet de programme insiste sur les changements du corps à étudier en classe de 6e, notamment les menstruations. Il est aussi préconisé « d’observer et analyser la diversité des représentations du corps sexué à partir d’œuvres artistiques (peinture, sculpture, etc.) ou littéraires (anciennes ou contemporaines) ».
Puis en 5e, la prévention des discriminations passe par le questionnement des normes et des stéréotypes. « Comprendre que l’égalité n’empêche pas la différence ». Les classes sont invitées à définir la place des hommes et des femmes au sein de la famille. « La réalisation de saynètes en lien avec les situations cybersexistes ou cyberviolentes (lues ou jouées par les élèves) » vise à mieux comprendre ces notions en lien avec le droit à l’image et la protection de la personne.
En classe de 4e, la sexualité est envisagée comme « une réalité complexe qui implique le physique et le psychique, le personnel et l’interpersonnel », mais aussi « comme un cheminement personnel singulier et comprendre sa diversité d’expression ». Pour étudier les représentations de la sexualité dans l’espace public, le programme propose aussi la création par les 4e au CDI d’affiches publicitaires ni sexualisées ni sexistes.
Le bonheur, le plaisir et le désir sont fléchés en classe de 3e. Ces sujets sont pourtant étudiés jusqu’alors en cours de SVT en classe de seconde GT. Le projet de programme projette « d’étudier les bienfaits et les risques liés à la sexualité et de réfléchir à la notion de santé sexuelle ». La médiation par une œuvre littéraire ou artistique est conseillée, mais sans donner un exemple précis. Enfin, les auteurs engagent à inscrire la sexualité dans la définition et le respect des droits humains. L’évolution des lois comme celle de 1982 qui dépénalise l’homosexualité pour les mineurs de plus de 15 ans en France est citée en exemple.
« Du mythe de Narcisse aux réseaux sociaux »
Au lycée, le programme s’applique pour toutes les filières, les enseignants d’élèves en CAP sont invités à s’appuyer sur le projet pour l’adapter en 2 ans. « La classe de 2d explore les tensions entre l’intime et le social ; la classe de 1re invite à considérer les conduites, les tentations, les plaisirs et les risques ; la classe de terminale rassemble les acquis permettant à l’élève de vivre sa sexualité en jeune adulte responsable, respectueux de sa propre liberté comme de celle des autres ». On retiendra que l’interdisciplinarité est indispensable à la mise en œuvre du programme. Les auteurs conseillent aussi « de ne pas limiter l’actualité d’une question vive aux seules références ou exemples contemporains ». Il est conseillé d’étudier aussi des œuvres plus anciennes et de toutes les cultures.
En 2d, les équipes pédagogiques sont invitées « à conduire une réflexion sur la question du narcissisme et de la recherche de la validation de son image par les autres. En co-animation, par exemple : SVT, EPS, philosophie, avec le personnel pôle santé-social. » La frontière de l’intime, du privé et du public sont à questionner ainsi que la notion d’obscénité qui pourra être interrogée à travers l’analyse de cas de censure.
« Lâcher prise en restant maître de soi » , les lycéens de 1re s’interrogeront sur « les éléments jugés nécessaires pour qu’une fête soit réussie et pourront réfléchir au rôle de l’excès, à son lien au plaisir, à ses risques ». Les attitudes à adopter face notamment aux infections sexuellement transmissibles sont à remobiliser avec les acquis de SVT de 2d. Les désirs et dénis de grossesse sont à étudier ainsi qu’une réflexion sur la notion de parentalité. Enfin, l’étude de la séduction de la parole pourra « faire émerger l’idée que la relation sexuelle n’est pas obligatoire pour exprimer son amour ou son affection ».
En terminale, les lycéens pourront « s’interroger sur les différences entre excitation, sentiment, désir et distinguer différents types de plaisir ». Les auteurs évoquent une « fabrique culturelle de l’excitation » provenant de notre société d’images, de réseaux qui ne laisse que peu de place à l’imaginaire. La différence entre érotisme et pornographie pourra aussi être analysée. Enfin, dans l’objet « La liberté d’être soi parmi les autres », les élèves « s’interrogeront sur le sens d’une « Marche des fiertés », où l’identité et l’orientation sexuelles sont collectivement affirmées, par opposition à la difficulté du processus individuel de révélation volontaire de son orientation sexuelle ou de son identité de genre (« coming-out » en anglais) ».
Une éducation à la sexualité en heure de vie de classe ?
Pour mettre en œuvre un programme, aussi ambitieux soit-il, la question des heures est incontournable. Les auteurs se réservent bien d’avancer ici un nombre d’heures. La co-animation exigée demande pourtant des moyens.
Jusqu’alors « le Code de l’éducation (article L 312-16) prévoyait au moins trois séances d’information et d’éducation à la sexualité dispensées chaque année dans les écoles, les collèges et les lycées. Ce nombre, constituant un minimum, est susceptible d’être augmenté si cela paraît nécessaire », indique le rapport. Les experts du CSP indiquent que les heures de vie de classe peuvent aussi être mobilisées pour l’éducation à la sexualité.
Pour une mise en œuvre « régulière et complète » du programme, les points les plus importants sont sans doute à la page 64 du dossier avec 6 préconisations clés. Les auteurs indiquent la nécessité d’avoir dans chaque établissement une équipe en charge de la programmation des séance l’année n-1. Cette planification doit être préparée et validée en conseil des maîtres ou en conseil pédagogique. « Elles sont inscrites dans le calendrier annuel de l’établissement et des classes. »
« Un positionnement anticipé des séances » est demandé ainsi qu’« un document repère édité et actualisé chaque année à destination des élèves, indiquant les personnes référentes au sein de l’établissement ou les centres de ressources extérieurs (proches de l’établissement) auxquels les élèves peuvent faire appel en cas de besoin ». Les intervenants extérieurs doivent disposer d’un agrément dûment vérifié et actualisé.
Il est étonnant que la formation des enseignants sur ces nombreux objets d’étude ne fasse par l’objet de recommandations particulières. La mise en œuvre effective du programme se fera-t-elle sur la base d’enseignants volontaires ?
La version définitive du programme d’éducation à la sexualité est attendue pour le mois de mai prochain.
Julien Cabioch
Dans le Café