À plusieurs reprises depuis janvier 2023, le SNES-FSU a pris l’initiative de vœux intersyndicaux avec la FCPE pour que l’heure d’enseignement en technologie soit rétablie en Sixième. « C’est pour mieux renforcer la discipline au cycle 4 » justifiait Pap Ndiaye. Le nouveau programme reste bien en deçà de cette affirmation pour le SNES-FSU. Grégory Anguenot, co-responsable du groupe Technologie du SNES-FSU, revient sur les programmes parus au bulletin officiel jeudi 29 février.
À la rentrée 2023, l’heure de technologie disparaissait en Sixième, entraînant des compléments de service, de nombreuses suppressions de postes et des fins de contrats pour les collègues non-titulaires. Cette mesure brutale et incohérente au regard des enjeux pour l’avenir, notamment l’importance de comprendre le monde et les objets qui le composent, a provoqué une profonde indignation chez les collègues et dans toute la communauté éducative.
Le nouveau programme de cycle 4 a été construit sans prévoir les moyens spécifiques pour la mise en œuvre (humains, de formation, d’heures, financiers…) et va mettre en difficulté les enseignant·es. Ils et elles continueront donc de faire face à une détérioration de leur situation. Le SNES-FSU a voté contre ces nouveaux programmes au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) du 18 janvier. D’une part, il est conçu sans pré-requis alors que la suppression de la technologie en Sixième crée des manques ! D’autre part, le programme ne s’appuie pas sur les divers champs technologiques (comme la production de produits, de services mais aussi des systèmes sociaux, …), ce qui ne permet pas aux élèves de se projeter vers l’ensemble des voies du lycée.
Les nouveaux programmes de cycle 4, sévèrement rejetés au CSE avec 42 voix contre, 17 abstentions et une seule voix pour, celle du MEDEF, paraissent néanmoins au BO sans aucune réécriture ni correction des problèmes soulevés.
A côté des enjeux
L’enseignement de technologie vise à préparer tous les élèves à relever et comprendre les défis technologiques, les enjeux et les impacts sociétaux de demain. Mais il est une nouvelle fois mal redéfini car les volontés institutionnelles ne mettent pas les moyens nécessaires pour faire évoluer positivement cette discipline et ne s’appuient pas sur la recherche pour en tirer des conclusions.
La technologie est une discipline d’action où le « faire pour apprendre » est essentiel. Concevoir, manipuler, fabriquer… ne peut se faire sans moyen matériel, organisationnel et de formation. Le nouveau programme reproduit les mêmes erreurs : un programme particulièrement lourd pour 1h30 par semaine, des connaissances trop ambitieuses et qui n’ont pas leur place au collège, des compétences demandées déconnectées du terrain comme l’approche spécifique aux sciences de l’ingénieur, propédeutique au lycée, avec un mélange de compétences informatiques orienté SNT. Cette construction des programmes où les savoirs théoriques et pratiques sont en confrontation, avec une certaine hiérarchie sociale, pose un problème de positionnement de la discipline.
La culture technique composante de la culture commune
La technologie vise bien au contraire à offrir une culture technique commune à tous les élèves. Pour le SNES-FSU, cet enseignement doit être organisé selon trois lignes directrices : la pratique technologique, la connaissance technologique et la nature de cette dernière.
Actuellement, l’objet technique est seulement abordé du point de vue de l’usager. Il aurait été pourtant plus pertinent de traiter du système technique uniquement en Troisième, car dans un premier temps les élèves devraient être en mesure de comprendre ce qu’est un objet technique. La démarche technologique n’est pas clairement identifiable dans ce programme. Le processus « penser, concevoir et réaliser » des solutions techniques est porteur d’une culture qui interroge l’environnement économique et social. Il aboutit à la mise en œuvre de solutions pour résoudre des problèmes et satisfaire des besoins. Pour rendre cette démarche plus clairement identifiable, le SNES-FSU demandait de regrouper sous un même thème réintitulé « Exploration et compréhension de l’objet au système technique : Usages, interactions et fonctionnement » les deux thèmes « Objets et systèmes techniques : leurs usages et leurs interactions à découvrir et à analyser » et « Structure, fonctionnement, comportement : des objets et des systèmes techniques à comprendre ». Ces deux thèmes sont en effet très similaires et indissociables.
Au CSE, le SNES-FSU a demandé une clarification des différentes les démarches mentionnées dans le programme et des précisions concernant les approches pour l’apprentissage, afin d’éviter toute confusion. Les réponses n’ont pas été apportées. En effet, il aurait été important de mettre l’accent dans le programme sur la démarche de projet, car en technologie c’est à travers celle-ci que d’autres démarches peuvent émerger. De plus, certaines démarches du programme du cycle 4 publiés ce jour, demeurent très spécialisées et complexes. Elles nécessitent des bases solides en ingénierie et en design, que les élèves n’ont pas en fin de cycle 3.
Le cahier des charges rétabli dans le programme
Le SNES-FSU demandait aussi la reprise du thème « Création, conception, réalisation, innovations : des objets à concevoir et à réaliser ». Il aurait été en effet judicieux d’insister sur l’étude et la démarche de projet, en mettant en avant l’importance du cahier des charges pour définir clairement les besoins auxquels la réalisation du projet doit répondre, ainsi que les contraintes qu’il doit respecter. La notion de cahier des charges était absente du projet de programme, le SNES-FSU demandait de la rétablir car sans cahier des charges, il n’y a pas de projet. Ce point a été retravaillé et apparaît dans le programme publié.
Les compétences et connaissances requises doivent être étroitement liées à la technicité. Les élèves doivent être capables à la fin du cycle de développer plusieurs aspects : une familiarité pratique avec divers outils, machines, instruments, matériaux, appareils numériques, processus et procédés ; une connaissance technologique approfondie comprenant les principes de fonctionnement, l’analyse et la modélisation des systèmes fonctionnels, ainsi qu’une compréhension du processus de création d’un cahier des charges ; et des attitudes critiques envers le monde technicisé, en développant un regard critique sur les activités d’étude, de conception et de réalisation pilotées par un besoin exprimé.
Au collège, l’objectif n’est pas de former des futur·es ingénieur·es, mais plutôt de préparer les jeunes à répondre aux questions essentielles qu’ils et elles se posent comme « À quoi ça sert ? Comment c’est fabriqué ? Comment cela fonctionne ? ». Le SNES-FSU demandais l’ajout d’un thème spécifique sur « l’informatique et la programmation » avec un programme étroitement lié aux compétences visées. Cette demande n’a pas été prise en compte et le SNES-FSU déplore le manque de lisibilité de notions fondamentales concernant l’informatique, telles que la maîtrise de l’environnement informatique (matériel, logiciels, système d’exploitation) et numérique (lié à l’utilisation des technologies numériques : communication, médias numérique…).
En conclusion
Les contenus de ce nouveau programme restreignent les relations liées à « l’objet technique » aux seuls aspects des besoins et des impacts environnementaux. Cette approche se concentre principalement sur la « matière, l’énergie et l’information », limitant ainsi la technologie au champ industriel. Elle met l’accent sur les composants matériels de l’objet, son utilisation de l’énergie, et les informations qu’il traite, sans tenir compte des dimensions sociales et humaines du milieu technique. Cette approche néglige les questions essentielles sur la façon dont les objets techniques influencent les comportements humains, les relations sociales, et les valeurs culturelles. Il faut en finir avec une orientation disciplinaire calquée sur les sciences et technologies industrielles du lycée qui ne convient pas aux collégien·nes. Ensuite, il faut repenser les programmes comme une discipline d’enseignement général, obligatoire pour tous les élèves du collège, de la Sixième à la Troisième, afin qu’elle redevienne une discipline d’action et de raisonnement, en s’appuyant sur la pratique des élèves et la pédagogie de projet. Par ailleurs, le SNES-FSU demande la réouverture d’un concours de recrutement spécifique en technologie, sans laquelle la discipline court un risque majeur.
Grégory Anguenot