« Les élèves ne s’intéressent qu’à la note ! », se désole souvent le corps enseignant. Dans l’environnement numérique qui est désormais le nôtre, les outils d’enregistrement audio peuvent-ils faciliter et transformer l’évaluation de copies écrites jusqu’à la rendre plus efficace ? Professeure de français au collège Amédée Laplace à Créteil, Émilie Nowaczyk en a tenté l’expérience. Bilan : les élèves ont tous et toutes écouté sans exception l’enregistrement audio personnalisé de l’enseignante, certains l’ont même réécouté 2 mois plus tard pour le 2ème brevet blanc, chaque élève a produit à son tour une « rétroaction audio » pour une « pause réflexive » sur l’épreuve. Pour l’enseignante, « comme l’audio rend les encouragements plus personnels, ils apprécient, et la note, même faible, est accompagnée de mots motivants et de conseils : elle tombe donc moins comme un couperet que comme une marge de progression. »
Nous sommes habitué·es aux corrections écrites : techniquement pour l’enseignant·e, comment produire des corrections audio ?
Techniquement, c’est en réalité assez simple : il suffit d’un téléphone équipé d’un enregistreur audio, ou d’un ordinateur à la rigueur. Je corrige en français par exercice : d’abord, les dictées, ensuite la grammaire, puis la compréhension, puis les rédactions. Une fois la rédaction de chaque copie corrigée, je m’enregistre en ayant la rédaction bien en tête. Je trouve que c’est peut-être la rédaction qui pose le plus de problèmes de compréhension de la note. Cela leur semble peut-être trop arbitraire. Si on veut vraiment expliciter, donner des conseils, etc., comme on le fait pour un brevet blanc, écrire à la main prend mine de rien un temps fou.
Comment partager ces corrections audio ?
Le partage peut se faire de différentes manières : personnellement, mon établissement est doté de Pearltrees, auquel je forme mes élèves. C’est donc très simple, je partage mon audio via mon téléphone et l’application. Je mets dans un dossier « audio brevet blanc 1 » puis je partage individuellement à chacun son audio. C’est cette étape qui est un peu fastidieuse et qui prend un peu de temps. Je dirais une heure pour deux classes. Sinon, pour partager autrement, il est tout à fait possible de passer par un ENT ou par des QR code à coller sur les copies, je sais que des enseignants le font déjà.
Y a-t-il des différences de contenus entre les corrections écrites et les corrections audio ?
Evidemment. Comme je le disais, à l’écrit, sur chaque copie, cela prend un temps infini d’expliciter la note. On ne sait d’ailleurs pas si ce qu’on écrit sera lu, compris, etc. Oralement, finalement, je dis beaucoup plus de choses : je parcours la copie en même temps que je parle, j’explique, j’explicite les attendus en rédaction, ce qui pose problème dans l’écrit de l’élève mais aussi ce qui est bien, et je donne des conseils. On a rarement le temps d’écrire tout cela sur les copies. Dans un audio, en 3 minutes, j’ai dit l’essentiel.
Qu’est-ce que les appréciations orales apportent selon vous de plus que les appréciations écrites ?
Quand les élèves reçoivent leur copie, ils regardent leur note, ils prennent rarement le temps de lire les remarques faites, surtout s’ils sont déçus. L’envie est forte de mettre la copie dans un coin, voire de la jeter, pour l’oublier et nier le problème. Un audio est plus personnel, peut-être plus simple à écouter qu’à lire, je ne sais pas, en tout cas, mes élèves ne lisent que très peu mes commentaires écrits, mais ont tous écouté sans exception l’audio que j’ai fait. Certains m’ont même dit l’avoir réécouté pour le 2ème brevet blanc deux mois plus tard pour se souvenir de ce à quoi ils devaient faire attention.
Vous amenez les élèves à produire eux-mêmes des rétroactions audio pour une « pause réflexive » sur le brevet blanc : de quoi s’agit-il ?
Pour vérifier leur appropriation, et surtout les amener à se poser des questions sur leur travail, je demande aux élèves de réfléchir à leur brevet blanc.
Dans la première phase, ils doivent prendre des notes sur leurs ressentis lors de cet examen blanc : stress ? révisions ou pas ? comment ? combien de temps ? comment je me suis senti lors de l’épreuve ? quelles difficultés ai-je rencontrées ? etc. L’idée est de les pousser à ne pas juste subir cette épreuve blanche sans y revenir ensuite.
Dans une deuxième phase, ils reçoivent leur copie avec mon audio et doivent produire un oral qui reprend leurs impressions lors de l’épreuve, mais aussi un bilan de ce qu’ils ont réussi ou raté, accompagné de conseils et objectifs pour progresser (qu’ils se font à eux-mêmes donc). Ce retour audio de leur part doit tenir en 3 minutes. Cela permet également de travailler l’oral, même si je ne suis pas entièrement satisfaite du rendu des élèves. Il faudra que j’adapte mes consignes pour les aider à faire vraiment un oral, et pas un texte écrit qu’ils lisent en s’enregistrant. C’est un défaut assez classique : on sait combien la réalisation d’un véritable oral est difficile, plus encore en 3ème, puisqu’ils ne l’ont jamais fait avant.
Pour finir, ils me partagent leur audio comme j’ai fait pour le mien : ils mettent sur Pealrtrees puis me le partagent. Cela nécessite de travailler les compétences informatiques : être capable de bien nommer le fichier, de le mettre sur Peartrees en privé, puis de le partager à la professeure. Pour les collègues n’ayant pas Pearltrees, on peut imaginer l’envoi via ENT, voire par mail.
Pour beaucoup d’élèves, l’évaluation est toujours vécue sur le mode du couperet sanction/récompense : en quoi vous semble-t-il nécessaire de changer nos dispositifs pour changer le rapport des élèves à l’évaluation ?
Mon objectif est toujours de valoriser mes élèves, de leur donner confiance, mais également de ne pas leur mentir et d’être exigeante avec eux. Grâce à cette expérimentation, j’ai pu les encourager, même si la note était faible. Cela n’a pas de prix. Comme l’audio rend en plus ces encouragements plus personnels, ils apprécient et la note, même faible, est accompagnée de mots motivants et de conseils : elle tombe donc moins comme un couperet que comme une marge de progression.
Je pense que toute la nécessité est là : faire de l’évaluation une voie de progression vers un mieux, quel que soit le niveau de départ. C’est cela qui est un long travail.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Ressources de Fanny Couturier sur l’évaluation audio