La nouvelle ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet, dispose de trois qualités pour mettre en œuvre une politique au service des élèves et de la Nation. D’une part, elle a été rectrice, expérience précieuse pour diriger ce ministère. D’autre part, elle ne manque pas de courage politique. En 2005, elle a démissionné de son poste pour indiquer son désaccord avec la politique de F. Fillon. Enfin, elle est universitaire. Sa formation pourrait l’amener à fonder sa politique sur les multiples connaissances scientifiques relatives aux questions éducatives. Elle n’a pas hésité d’ailleurs à y faire référence dans un article où elle a exposé ses conceptions de l’école française (Après-Demain, 2016).
Susceptible d’orienter l’action, la connaissance scientifique est concurrencée par deux autres variables. La première est la démagogie au fondement de cette tentation, partagée par tous les politiques, de subordonner leurs décisions aux idées de leur électorat. La seconde tient à la force des idéologies, systèmes de croyances qui orientent les modes de pensée et d’action. Pour l’école, le poids des idéologies influence chacun sur toutes les questions essentielles : les pratiques pédagogiques, les programmes scolaires, la place de l’État, la mixité sociale… Nicole Belloubet, dont la feuille de route est de poursuivre les multiples chantiers ouverts par G. Attal et E. Macron, va devoir arbitrer entre ces trois déterminants de la politique éducative. Deux des chantiers d’Attal font l’objet d’une analyse.
Le port de l’uniforme : le souhait fantasmé de l’uniformité
Le choix de Gabriel Attal de favoriser, voire généraliser, le port de l’uniforme, a pour objectif de créer de l’égalité entre les élèves qui ne pourraient plus se distinguer par le choix de leurs vêtements. Un tel projet méconnaît la réalité de l’école. L’inégalité entre les élèves tient à un ensemble de qualificatifs relatifs à leur statut scolaire (« intellos » vs « nuls »), leur identité sexuelle (« la pédale »), ou leur apparence physique, notamment leur taille (« le petit » vs « l’asperge »), leur poids (« la grosse »), la couleur de leur peau (« le black », « le beur »…), etc. Dans le quotidien des écoles, tous ces qualificatifs constituent des stigmatisations envahissantes (Galland, 2006 ; Merle, 2012). Le port de l’uniforme ne changera rien à ces harcèlements aux conséquences parfois dramatiques.
Un autre argument présenté en faveur de l’expérimentation de l’uniforme est de considérer que celui-ci favoriserait l’intégration des élèves, le sentiment d’appartenance à leur établissement, voire même plus de discipline et d’ordre. De telles affirmations sont fantaisistes. Plusieurs recherches (Ansari, 2022[1] ; Brunsma, 2010) ont montré que le port de l’uniforme n’exerce pas d’effet sur les problèmes de comportement tels que l’anxiété, l’isolement, l’agressivité ou la destruction de biens. Le port de l’uniforme n’exerce pas davantage d’effets sur les apprentissages scolaires, le sentiment d’appartenance à l’établissement et les aptitudes sociales des élèves (empathie, respect d’autrui…). Plutôt que d’expérimenter l’uniforme, le ministère G. Attal n’aurait-il pas dû, d’abord, étudier la littérature scientifique ?
Outre qu’il n’apporterait pas les effets positifs attendus, l’uniforme comporte plusieurs inconvénients. D’abord, si l’uniforme était généralisé à l’ensemble des élèves, la dépense pour l’État et les collectivités territoriales serait de l’ordre de 360 millions d’euros. D’autres dépenses dont l’utilité est incontestable devraient être prioritaires (heures de soutien aux élèves en difficulté, renouvellement du matériel informatique…). Ensuite, par leur définition même et leur standardisation, les uniformes sont mal ajustés à la morphologie de chacun. A contrario, le vêtement, souvent soigneusement choisi, est un élément de l’identité, une façon de se cacher et de paraître plus branché, plus ceci ou plus cela. Le choix du vêtement est une liberté et une composante des droits des élèves déjà insuffisamment respectés (Merle, 2023). L’école est suffisamment contraignante pour ne pas ajouter des contraintes supplémentaires pour les élèves, pour les conseillers d’éducation qui devront contrôler le port de l’uniforme, et pour les parents, souvent les mères, qui devront en assurer l’entretien.
Alors même que les connaissances scientifiques ne montrent pas l’intérêt du port de l’uniforme, pourquoi une telle politique est-elle défendue par G. Attal ? La raison tient en partie à une idéologie qui associe l’uniforme, celui des militaires, gendarmes et policiers, à l’ordre et la discipline. Mais les élèves ne sont pas des fonctionnaires et les écoles ne sont pas des casernes ! L’histoire de l’école le montre suffisamment. Au XIXe siècle, si l’uniforme réglementaire imposé par Napoléon dans les internats des lycées impériaux créés en 1802 a progressivement disparu, les lycéens, petite minorité de garçons appartenant aux catégories les plus aisées, portaient généralement des tenues distinctives, redingote et gilet à boutons. Ces tenues des plus classiques n’ont nullement empêché, de 1870 à 1888, plus d’une centaine de révoltes dans la centaine de lycées existant à cette époque. La plus célèbre, celle de 1883, opposa 60 agents de police à 300 « insurgés », élèves du prestigieux lycée Louis le Grand (Lec F., Lelièvre C., 2007). Les dégâts matériels furent considérables ! Penser que l’uniforme à l’école apporterait égalité et discipline est une idée fausse, façonnée par l’idéologie et l’inculture historique.
Si l’ignorance de l’histoire scolaire et la croyance aux vertus sécuritaires de l’uniforme ont pu inspirer le projet du port de l’uniforme, le projet de G. Attal, soutenu par E. Macron, est aussi, et peut-être surtout, classiquement démagogique. F. Fillon et M. Le Pen étaient favorables à l’uniforme lors de la campagne présidentielle de 2017. Ils ne faisaient que reprendre une antienne familière aux partis politiques de droite (Lelièvre, 2023). Pour le pouvoir actuel, la tentation démagogique est d’autant plus grande qu’une majorité d’enquêtés sont actuellement favorables au port de l’uniforme, surtout les électeurs du Rassemblement National (83 % d’entre eux), des Républicains (78 %) et du camp présidentiel (76 %) (Sondage HuffPost, octobre 2023). Pour éviter la fuite de son électorat vers la droite, E. Macron et G. Attal sont tentés – les politiques tombent toujours du côté où ils penchent – de mettre en œuvre les mesures proposées par leurs concurrents politiques les plus proches.
Cette démagogie politique, sur l’école comme sur d’autres sujets, est vouée à l’échec. Outre que les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie, les sondages sur le port de l’uniforme relèvent, pour une grande part, de la construction de l’opinion. Si les questions posées avaient été, en reprenant la formulation du sondage HuffPost, « Dans quelle mesure êtes-vous favorable à plus ou moins de surveillants dans les établissements scolaires ? », ou bien « Dans quelle mesure êtes-vous favorable à plus ou moins d’élèves par classe ? », les enquêtés auraient probablement été favorables à ces deux mesures dont l’utilité dans le quotidien des établissements n’est nullement contestable. La manipulation opérée par le sondage est de créer l’illusion d’une opinion sur des questions qui n’intéressent par forcément, voire pas du tout, les enquêtés. Consultés par vote électronique, les élèves de la cité scolaire Touchard-Washington au Mans (Sarthe), directement concernés, ont largement participé et rejeté à 78 %, l’idée d’une tenue unique. L’expérimentation souhaitée par G. Attal semble déjà un échec faute d’établissements volontaires. L’évaluation de cette expérimentation sera de surcroît biaisée. Elle ne reposera pas sur des établissements tirés au sort mais sur des établissements volontaires, par définition non représentatifs.
Stratégie électorale, le débat sur le port de l’uniforme relève aussi d’une stratégie du buzz. L’obsession des politiques est d’occuper l’espace médiatique, façon directe d’éviter l’émergence de questions plus centrales. Pendant que les uns et les autres dissertent sur l’intérêt du port de l’uniforme, les médias ne s’intéressent plus à la crise du recrutement des professeurs, au nombre d’élèves par classe particulièrement supérieur en France par rapport à la moyenne européenne, à la faiblesse des salaires des professeurs, à la forte inégalité de la réussite selon l’origine sociale, etc. Cette stratégie du buzz est une façon de détourner l’attention et, mieux encore, d’accréditer l’idée que le port de l’uniforme apporterait des solutions aux problèmes de l’école. Une politique éducative digne de ce nom ne peut se réduire à une manipulation de l’opinion.
Les groupes de niveaux : une question scolaire centrale
L’idée de « groupes de niveaux » a été lancée par G. Attal dans le cadre de son « choc des savoirs ». Le principe en est désormais connu. Dès la rentrée scolaire 2024, dans chaque classe de sixième et de cinquième, en mathématiques et en français, devraient être créés trois groupes de niveaux : faible, moyen et fort. Les groupes d’élèves faibles devraient bénéficier d’un nombre d’élèves réduits à 15 afin de combler leurs lacunes. Pour ne pas figer les situations scolaires, la composition de ces groupes serait périodiquement revue afin de tenir compte des progrès des uns et des difficultés des autres. Ainsi présenté, le principe des groupes de niveaux peut paraître séduisant à une personne ignorante des réalités des élèves et des recherches scientifiques. Ces groupes peuvent faire l’objet de trois critiques incontournables.
D’abord, il existe un consensus scientifique sur les effets délétères de l’étiquetage des élèves sur leur progression scolaire. L’appartenance à un groupe d’élèves faibles exerce un effet négatif sur l’image de soi scolaire, la motivation, les capacités attentionnelles et, in fine, le niveau des apprentissages. Cet étiquetage scolaire constitue une prophétie auto-réalisatrice. A contrario, la progression des élèves faibles est favorisée par la présence de pairs aux compétences supérieures. Ces « locomotives » de la classe sont également utiles aux professeurs pour faire progresser l’ensemble des élèves. L’objectif louable de ne pas assigner en permanence un élève à tel ou tel groupe nécessitera des évaluations incessantes, source permanente de stress et de perte de temps au détriment des apprentissages. Mais surtout, ces changements de groupe sont pour une grande part illusoires. Au cours d’une année scolaire, la quasi-totalité des élèves progresse. La probabilité est forte pour que, malgré leurs progrès, une bonne part des élèves du groupe des faibles y demeure toute l’année. Peut-on imaginer une pratique pédagogique plus démotivante ?
Ensuite, en raison de la corrélation bien établie entre origine sociale et niveau scolaire, constituer des groupes de niveaux dès l’entrée en sixième implique nécessairement un tri social. Le groupe des forts sera majoritairement composé d’élèves d’origine favorisée et la situation inverse caractérisera le groupe des faibles. Il est en effet établi que dès l’âge de deux ans les inégalités sociolinguistiques (lexicale, syntaxique, grammaticale) sont particulièrement fortes selon l’origine sociale (INED, 2019). Il faut de longues années d’apprentissage aux enfants de milieux populaires pour s’imprégner de la culture scolaire grâce à la qualité de leurs professeurs et à leur socialisation avec des enfants des autres milieux sociaux. Avec des groupes de niveaux séparant dès onze ans les enfants de niveaux scolaires et sociaux différents, G. Attal propose une organisation scolaire qui, dans l’histoire de l’école, a constitué un frein puissant à l’égalité des chances. Inspirés par le passé, les groupes de niveaux ne peuvent que renforcer l’inégalité des chances scolaires.
Enfin, les comparaisons internationales montrent l’inefficacité des groupes de niveaux. Le système éducatif allemand est structuré, à la fin du primaire, par trois orientations principales. Le Gymnasium, équivalent du lycée français du XIXe siècle, filière la plus réputée, prépare au baccalauréat (abitur) ; la Realschule, jusqu’à 16 ans, prépare aux formations professionnelles mais permet aussi d’accéder au lycée ; la Hauptschule, jusqu’à 15 ans, débouche sur l’apprentissage. Suite aux résultats décevants de l’école allemande à l’évaluation PISA 2000, une majorité des landers a décidé de suivre l’exemple des systèmes éducatifs plus performants, tels que la Finlande, et de développer activement un collège unique, la Gesamtschule, susceptible de scolariser tous les élèves à la fin du primaire (Merle, 2012).
Toutefois, dans la Gesamtschule, pour les mathématiques et leur langue maternelle, les élèves étaient séparés selon leur niveau scolaire avec, au minimum, un groupe d’élèves forts, susceptibles de réussir l’abitur. Le résultat de cette politique est connu. Dans les évaluations Pisa 2022, les élèves allemands ont un niveau proche des élèves français et les inégalités de compétences selon l’origine sociale sont quasi aussi importantes (DEPP, 2023). D’autres pays ont fait un choix exactement contraire, notamment la Pologne. En 2000, le système éducatif polonais se caractérisait par huit années d’école primaire, de 7 à 14 ans, et débouchait sur une orientation précoce. La réforme a consisté à réduire d’une année la durée du primaire et de créer, pour tous les élèves, l’équivalent d’un collège unique d’une durée de trois années. Le choix d’une orientation générale, technique ou professionnel a donc été reporté à l’âge de 16 ans. Suite à cette réforme, les résultats scolaires des élèves polonais aux évaluations Pisa ont sensiblement progressé de 2000 à 2012 (Le Donné, 2016). En 2022, le niveau moyen en mathématiques des élèves polonais de 15 ans est de 489 points, bien supérieur à celui des élèves français (474 points). L’école polonaise n’est pas seulement plus efficace, elle est aussi plus équitable : l’écart de performances des élèves selon leur origine sociale est, contrairement à l’école française, largement en dessous de la moyenne européenne (note d’information, n°48, 2023, figure 3). La comparaison entre les réformes des systèmes éducatifs allemand et polonais est édifiante. Une scolarité commune à tous les élèves favorise l’efficacité et l’équité. Souhaités par G. Attal, les groupes de niveaux provoquerons l’effet contraire.
Finalement, l’effet délétère des groupes de niveaux est triplement montré par les recherches scientifiques, l’analyse historique et les comparaisons internationales. A ces trois raisons qui devrait déboucher sur l’abandon de la réforme, il faut ajouter trois remarques complémentaires.
D’une part, les ressources supplémentaires en heures de cours nécessaires à la mise en place des groupes de niveaux vont entraîner la suppression d’une grande part des systèmes d’aide déjà existants (soutien personnalisé, travail en demi-groupe, etc.). D’autre part, le texte proposant des groupes de niveaux a été unanimement rejeté par le Conseil supérieur de l’éducation. Mieux vaut éviter le conflit dans une institution scolaire déjà caractérisée par la crise des vocations et les démissions.
Enfin, l’instauration de groupes de niveaux nécessite des ressources humaines considérables qui seront réparties de façon égalitaire dans tous les collèges alors même que leurs besoins sont radicalement différents. Pour réduire la forte inégalité de réussite selon l’origine sociale, les collèges au recrutement les plus populaires et dont les élèves sont les plus en difficulté doivent bénéficier de davantage de ressources afin, notamment, de réduire le nombre d’élèves par classe, politique particulièrement efficace (Piketty et Valdenaire 2006 ; Bourgen, Grenet, Gurgand, 2017). Une école plus efficace et plus équitable nécessite une différenciation des moyens, idée centrale ignorée par le projet Attal.
Pourquoi, alors même qu’il n’existe pas d’arguments en faveur de la création des groupes de niveaux, G. Attal en souhaite-t-il, même devenu premier ministre, si résolument sa mise en œuvre ? Certes, le projet est globalement soutenu par la droite et l’extrême droite. Il demeure toutefois largement rejeté. Le projet d’Attal est moins démagogique qu’idéologique. Il ne fait que prolonger les idées de la majorité des élites politiques, économiques, intellectuels et religieuses des siècles passés, souhaitant toujours réduire la scolarité des enfants d’origine populaire ou les scolariser à part. En concevant les groupes de niveaux, G. Attal prolonge cette tradition du séparatisme scolaire et social. Cette orientation conservatrice est confirmée lorsqu’il déclare que l’hétérogénéité des classes « condamne certains à stagner et empêche d’autres de s’envoler ». Outre que son affirmation est une contrevérité scientifique, le propos révèle un idéal de l’entre soi, un projet d’une école ségrégationniste où chacun resterait à sa place. G. Attal est dans une logique de reproduction, un partisan plus ou moins conscient de l’apartheid scolaire (Felouzis, 2005).
Conclusion : centralisation, flou argumentaire et confusions conceptuelles
Le principe des groupes de niveaux se caractérise par un renforcement de la centralisation. Quels que soient les effectifs scolarisés, les innovations pédagogiques mises en place, le recrutement social de l’établissement, le niveau scolaire des élèves… les groupes de niveaux devraient devenir l’organisation scolaire unique, excluant toute adaptation locale. L’opposition unanime aux groupes de niveaux, outre leurs effets délétères incontestables, tient aussi à ce caporalisme ministériel, à une décision majeure de transformation structurelle de l’école française décidée par quelques « experts » soigneusement choisis et parfois complaisants. Il est pour le moins étonnant que la nouvelle ministre de l’éducation, qui affirmait en 2016 que « Le système éducatif français doit évoluer vers plus de décentralisation territoriale et fonctionnelle » (Après-Demain, 2016), se soit convertie à une conception de l’action publique strictement inverse à ses convictions antérieures.
Une autre caractéristique du projet Attal tient au flou de son argumentation. L’ex ministre de l’éducation a condamné « l’uniformité » des collèges et, dans le même temps, veut imposer celle-ci. Les groupes de niveaux ont pour objet de gérer « l’hétérogénéité » des classes alors même que celle-ci est déjà réduite dans chaque établissement en raison de la multiplication des options (Son et Riegert, 2016). La cohérence argumentaire de la réforme échappe. Tous les professeurs et parents savent parfaitement qu’il existe des collèges scolarisant massivement des enfants d’origine populaire au niveau scolaire faible et, inversement, des collèges au recrutement social particulièrement aisé et d’un bon niveau scolaire. Pourquoi faudrait-il impérativement réduire cette hétérogénéité déjà limitée? L’ex ministre de l’éducation nationale, faute de présenter une argumentation convaincante, demeure cantonné au registre de l’affirmation et de l’imposition : « Les groupes de niveau vont se mettre en place, les organisations syndicales sont opposées, mais j’assume de dire que cette mesure est nécessaire » (Les Echos, 9 février 2024). Faut-il rappeler au nouveau premier ministre que la posture du chef, le fameux « j’assume » et l’adjectif « nécessaire », ne sont pas des arguments ?
Enfin, les débats relatifs aux groupes de niveaux favorisent les confusions conceptuelles. Les groupes de niveaux ont notamment pour objet de « gérer l’hétérogénéité » qu’il faudrait absolument réduire grâce à la création des groupes de niveaux. Toutefois, cette hétérogénéité n’est rien d’autre que la mixité sociale et scolaire. Pour cette raison, les groupes de niveaux sont contraires à l’objectif de mixité sociale affirmé par la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République : « L’autorité de l’État compétente en matière d’éducation veille (…) à l’amélioration de la mixité sociale au sein de ces établissements » (article 58). La ministre Belloubet n’échappe pas à cette confusion conceptuelle. Elle ne peut à la fois défendre les groupes de niveaux et affirmer que « le risque, celui que je ne laisserai pas advenir, c’est la sélection par l’échec, un refus de mixité scolaire et sociale dans les classes ». Elle doit faire un choix entre ségrégation et mixité sociale.
Il existe des solutions à l’impasse actuelle. Par exemple, sur les quatre heures hebdomadaires de cours, une heure par semaine, dans un groupe de 15 élèves, pourrait être consacrée à la compréhension de notions difficiles. Dans le cadre de travaux dirigés, les élèves pourraient travailler en autonomie partielle, dans des groupes de deux ou trois, dont la composition serait en partie variable à chaque séance. Ces groupes seraient constitués d’élèves de niveaux scolaires plus ou moins hétérogènes. Certains élèves sont tout à fait disposés à aider leurs camarades. Outre qu’il s’agit d’une action altruiste et valorisante, cette aide développe leurs compétences cognitives et socio-émotionnelles. Dans la devise de la République, la liberté, la solidarité et la fraternité sont considérés ensemble. Favoriser les pratiques coopératives entre élèves est une façon de créer des solidarités, des amitiés et des habitudes de travail insuffisamment présentes. Produit de l’ignorance des pratiques pédagogiques novatrices, de l’inculture scientifique, des réflexes démagogiques et du poids d’une idéologie conservatrice, le projet Attal des groupes de niveaux doit être résolument combattu.
Pierre Merle
Professeur émérite de sociologie
[1] https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00220679809597575